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24 novembre 2011 4 24 /11 /novembre /2011 20:56

 

INTIMITE X - NINA STANDBYME, SYDNEY, AUSTRALIE.

 

D’accord, je n’aime pas mes parents je le reconnais, tu as raison, ils sont détestables, ambitieux, arrivistes, carriéristes, tout ce que tu veux, je suis d’accord avec toi, ils ont cette obsession de la réussite sociale qui tient les individus au ras du sol alors que nous savons tous les deux que là n’est pas la vie, mais peu importe, ce que j’aime encore moins c’est ton obsession à toi d’attendre leur mort pour vivre sur leur argent.

 

 

 

 

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19 novembre 2011 6 19 /11 /novembre /2011 14:10

 

 

IRINA BADLOOK, HOLSWORTHY, PROVINCE DU SOUTH WEST, GRANDE BRETAGNE

 

Je comprends, savez-vous, je comprends que mon corps ne vous satisfasse plus, je comprends que vous rechigniez à la tâche, que la besogne vous en coûte au-delà du supportable, je me vois dans les miroirs chaque jour m’affadir, les peaux pendantes, la chair flasque, et les yeux des hommes qui me fuient désormais, je comprends que vous aussi vous m’évitiez, trouviez mille prétextes pour tenir ce corps à distance, moi-même si j’étais à votre place j’en ferais certainement de même, je comprends que la seule vue de ma peau, et encore plus son toucher, ne soient plus suffisants à vous procurer une érection propice à la pénétration, même si la plupart du temps je n’en demande pas tant, vous le savez, je comprends tout cela, ce que je comprends moins, cher imbécile, c’est que vous aviez trouvé en moi une femme idéale, oui oui je parle déjà au passé, notez-le bien, une femme, certes plus tellement jeune, mais riche – dois-je vous rappeler que vous vendiez du matériel agricole au porte à porte quand nous nous sommes connus ? – très riche même, libérale, ouverte, compréhensive, une femme qui connaît assez les hommes pour savoir qu’une seule femme ne leur suffit pas et qui vous laissait courir vos frasques pour peu qu’elles se fussent tenues à l’écart du village voisin, une femme qui engageait même des femmes de ménage plutôt jeunes et jolies, voyez jusqu’où j’ai été capable d’aller, intelligentes de surcroît – saviez-vous que toutes possèdent au minimum une licence –, une femme qui vous avait en quelque sorte recruté, je pèse mes mots, recruté, pour vieillir à ses côtés, mener la barque du domaine, et de temps en temps, de loin en loin, quoi qu’il ait pu vous en coûter, satisfaire à quelque caprice de la chair.

Non, taisez-vous. Vous êtes chez moi, vous n’avez aucune contradiction à m’apporter et vous n’aurez aucune explication à donner à ceci.

Regardez bien.

On l’a trouvé dans la corbeille de votre salle de bain. Pas moi non, je n’ai jamais fouillé les poubelles de ma propre demeure, c’est Sonia qui me l’a apporté, peut-être poussée par la jalousie, allez savoir, je ne comprendrai jamais comment vous avez pu lui inspirer une telle dévotion, à moins qu’avec elle vous ne vous surpassiez, mais passons, vous semblez hébété, voulez-vous un miroir monsieur, constater combien votre mâchoire inférieure s’approche dangereusement du parquet, ne comprenez-vous pas la signification de ceci ? à moins que la vérité ne vous afflige, et cela oui je le comprendrais, car voyez-vous, ce que je ne peux tolérer dans cette histoire c’est que vous ayiez pris sur vous de pratiquer votre coupable commerce sous ce toit même, c’est à dire chez moi.

Taisez-vous, je vous dis. Inutile de rajouter du ridicule à l’humiliation. Je sais ce que vous allez dire monsieur, je le sais, ne prenez pas la peine d’échafauder le moindre mensonge, à l’avance vous ne serez pas cru, et ce… cette chose, ce petit sachet anodin à l’intérieur duquel se trouve une ouate toute encore imprégnée de fraîches menstrues ne peut pas appartenir à Sonia. Ne me demandez pas comment je le sais, je le sais, c’est tout.

J’aurais pu tout accepter sauf ça.

Pas que vous rameniez chez moi une traînée.

On ne fait pas chez moi ce genre de chose sans que je n’en sois à l’avance avisée.

On ne baise pas chez moi sans mon consentement.

Allez maintenant monsieur, tout est dit, retournez à votre porte à porte, il se présentera certainement sous peu un autre colporteur.

 

 

  capestang 1

 

 


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13 novembre 2011 7 13 /11 /novembre /2011 14:14

 

POLICE NATIONALE, LYON, FRANCE, UNE PATROUILLE DANS LA NUIT DU 31 DECEMBRE 2009 AU 1er JANVIER 2010, 23h20.

  

  

La radio crache l'information : un passant a signalé une bouteille de gaz sur un trottoir, rue du Frais cresson bleu.

Ils sont les plus prés, c'est à eux d'y aller.

Laurent Vertueux, 32 ans, dit « l'Intello », gardien de la paix et Jean-Michel Rousse 48 ans, dit « La Rouquine », sous-brigadier de police, en patrouille ordinaire dans la nuit du 31 décembre 2008 au 1er janvier 2009.

Une bouteille de gaz.

Un 31 décembre.

Pourquoi pas Ben Laden en parachute, aussi.

Et pourquoi ça tombe sur eux ?

Pourquoi est-ce que ce genre de saloperie tombe toujours sur eux ?

 

Merde, tu peux me dire pourquoi ce genre de saloperie, ça tombe toujours sur nous ?

Ta gueule et conduis, prends la rue des Poches crevées, on remontera quai des Fleuves impassibles et ce sera la première à droite.

On appelle le déminage ?

Un 31 décembre ? Tu veux finir en steak haché ou quoi ? Tsss ! Le déminage ! Tu voudrais pas la patrouille de France, aussi ?

Oh tu me gonfles, je dis plus rien.

C'est ça, ça nous fera des vacances.

 

Rue du frais cresson bleu, le 27, sur le trottoir, effectivement, devant le rideau baissé d'un marchand de légumes, bien en vue à côté des bacs à ordures, une bouteille de gaz.

Une bouteille de gaz bleue comme on en voit partout sauf sur les trottoirs, la nuit du 31 décembre au 1er janvier.

Une bouteille de gaz qui ne semble reliée à rien.

Mais on ne sait jamais, avec les engins modernes, aujourd'hui.

Ils en ont vu, des trucs.

Une bouteille de gaz.

Y'a de ces tarés.

Faut aller voir.

C'est pas les phares de la bagnole qui leur en diront plus.

Sinon ils risquent d'y passer la nuit.

La nuit du 31 décembre au 1er janvier.

Comme si y'avait pas d'autres moments pour se débarrasser des bouteilles de gaz.

 

Sauf si c'est exprès.

Sauf si c'est exprès.

 

Mais il n'y a pas grand monde dans les rues à cette heure, les gens sont chez eux à préparer la fête.

Avec leurs amis, leurs enfants.

Qui ferait péter une bouteille de gaz dans une rue déserte ?

 

Ils ne prennent même pas la peine de sécuriser l'endroit.

 

Un couple passe, étroitement enlacé, sans un mot. Laurent devine d'instinct que la jeune femme a passé sa main sous le pull du garçon, à même la peau.

Ce geste anodin le renvoie aussitôt à sa propre solitude, sa vie de merde, une fois sorti de l'uniforme.

Il soupire :

 

J'y vais ?

Vas-y.

 

Jean-Michel envoie Laurent. Pas qu'il ait la trouille mais faut descendre de la caisse.

Pas la peine d'avoir peur, si ça doit péter ils n'auront pas le temps de s'en rendre compte.

Et si ça doit péter, de toute façon, les deux y passeront et ils le savent.

S'ils devaient avoir la trouille pour un truc comme ça.

 

La bouteille est vide.

Comment peut-on laisser une bouteille de gaz vide sur un trottoir ?

Y'a de ces tarés.

Ça fera une bonne raison d'arrêter la patrouille, ramener la bouteille de gaz au central.

 

Et se réchauffer un coup.

 

 

 

 

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4 novembre 2011 5 04 /11 /novembre /2011 21:16

 

RENCONTRE ENTRE SEVERINE CIMEZY-LI ET VALENTIN VOGUET, VOL AIR FRANCE 7847, 18 AOUT 2011, QUELQUE PART AU DESSUS DE L'UKRAINE.

 

Pardonnez-moi mademoiselle mais la question me démange depuis notre départ, si vous étiez une espionne vous ne seriez-pas assise à côté de moi par hasard, n'est-ce pas ? Ces... ces gens-là ne font jamais les choses au hasard, ils contrôlent tout, alors en réalité je me dis que vous êtes peut-être une espionne, ce qui me pousse à considérer que je représente un intérêt quelconque pour les services secrets américains... Américains bien entendu, on n'imagine pas des services secrets autres qu'américains. La CIA, un truc comme ça, ce n'est pas parce que vous avez les cheveux noirs et les yeux en amande que vous n'appartenez pas à un service secret américain... Ils ont des ressources inconnues de tous... Je ne sais pas, votre question me pose un vrai problème : suis-je digne ou pas d'être espionné. J'aurais tendance à répondre oui, non pas que je me sente au dessus du commun des mortels, non pas que je croie ma personne plus importante qu'une autre mais voyez-vous, je suis, comment dire, je détiens des secrets de fabrication de la plus haute importance dont j'ai la formule chimique là, dans l'attaché-case que je ne quitte jamais. J'aurais pu vous dire que je me rendais à la foire internationale de Shanghai pour vendre du vin ou des parfums mais à quoi bon, vous savez pourquoi je suis là, je sais pourquoi vous êtes là, inutile de biaiser entre nous, n'est-ce pas. Alors dans quelques minutes, je vais commander un café, vous verserez un soporifique dans mon verre et ensuite vous me volerez mes formules dans l'attaché-case dont le code à molette, sous la poignée, est 1213. Au mieux un soporifique. Mais non, n'imaginons pas autre chose. Un soporifique. Vous ne prendrez pas le risque de tuer quelqu'un dans un avion en vol, c'est le pire des endroits pour dissimuler un cadavre encombrant... Et même, tenez, vous ne me volerez rien du tout, vous ouvrirez mon attaché-case et vous ferez des photos des documents grâce à l'appareil miniaturisé placé dans la monture de vos lunettes, c'est la seule explication que je peux donner à ces lunettes d'ailleurs, car une femme aussi fine que vous ne s'encombrerait jamais d'une monture aussi épaisse... Oui bien sûr que je plaisantais, le vrai code est 0007, croyez-vous que je donnerais le code de mon attaché case à une inconnue juste parce qu'elle est assise à côté de moi dans un avion, fut-elle aussi attirante que vous l'êtes... D'ailleurs à propos de 007, avez-vous remarqué qu'il s'en sort rarement sans les américains, un peu comme si les anglais avaient une dette envers eux, et qu'ils voulaient ainsi faire preuve de bonne volonté... Non sérieusement je ne vous aurais jamais donné le code juste parce que le hasard nous à placé côte à côte... ah mais non, suis-je sot, ce n'est pas le hasard puisque vous êtes une espionne, il vous a suffi de pirater le serveur de la compagnie aérienne depuis votre chambre d'hôtel pour avoir la liste et la place des passagers, et puis d'intervertir deux sièges, tout simplement... et dans votre mallette, là, il y a je suppose de quoi communiquer avec la planète entière sur les appareils les plus sophistiqués du monde, c'est à cela que sert l'argent du contribuable américain, à payer à leurs espions les appareils les plus sophistiqués du monde pour pouvoir annoncer les mauvaises nouvelles avant les autres. Vous riez ? Ce n'est pas drôle pourtant, je me sens suivi depuis que je suis arrivé à Paris. Je ne sais pas, une impression. Comme quand quelqu'un lit votre journal par dessus votre épaule dans le métro, voyez... Alors j'ai pris mes précautions, mon attaché-case explosera au visage de quiconque essaiera de l'ouvrir sans le code. Ça va être un carnage. Je préfère vous prévenir, je m'en voudrais de détruire si beau visage... Est-ce de ma faute si c'est à Pékin que je vais ? Après tout notre constitution prévoit la libre circulation des personnes... Non, pas des secrets industriels, vous avez raison, mais vous-même, notez bien, je ne sais pas ce que vous allez faire à Pékin... Non bien entendu, vous n'êtes pas obligée de me le dire, rien ne vous y oblige... Nnnnon, non non, je ne parle pas le Chinois, mais ce n'est pas un problème, dans notre milieu tout le monde parle anglais... Alors là, je ne sais plus quoi dire... si vous ne me croyez pas, je ne sais plus quoi dire. Je ressemble aussi peu à un scientifique ? Vous les imaginez comment les scientifiques ? Tous comme des savants fous genre Retour vers le futur ? Allons, un peu de sérieux, ceci me donnerait à croire que vous n'êtes pas une véritable espionne, mais si vous êtes une véritable espionne votre but est de me laisser croire le contraire, tout cela se tient, donc vous êtes réellement une espionne. Qu'allez-vous faire à notre arrivée ? Me braquer un pistolet dans le dos et m'emmener dans un de ces endroits improbables caché de tous où vous me torturerez pour savoir quels sont mes contacts à Pékin ? Oh oui je vois bien un truc comme ça, je me vois attaché à une chaise dans une pièce glauque, sanguinolent, peut-être un œil déjà pendouillant hors de son orbite, un bras cassé, des plaies partout, et vous, virevoltant autour de moi et prenant de temps en temps un objet contondant sur une desserte à côté pour m'infliger un nouveau supplice et faire monter ma douleur d'un cran... Mh vous croyez ? Moi je ne crois pas, c'est vrai qu'ils font ça dans les films mais souvent on ne sait pas trop pourquoi. Là vous auriez une excellente raison puisque je m'apprêterais à vendre des secrets industriels aux Chinois... Ou alors votre mission dans cet avion consiste à me séduire et à m'emmener dans un hôtel où vous aurez tout le loisir pendant mon sommeil, repu que je serai de votre corps et de vos attentions, de me dérober les documents et de les vendre pour votre propre compte, mais je préfère vous prévenir tout de suite cela ne plaira pas à vos chefs. Bien entendu, je préférerais la seconde hypothèse à la première, et dans le cas où vous envisageriez la torture à mon endroit, sachez qu'il ne vous sera même pas utile de me présenter un scalpel sous le nez, je parlerai tout de suite, je ne supporte même pas l'idée de mon corps en souffrance. D'ailleurs je pense que je me suiciderai avant de devenir trop vieux. Mais passons, je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps, même si nous avons devant nous encore neuf longues heures de voyage. Vos chefs, vous savez, ce sont des gens très puissants, ils vous retrouveront n'importe où dans le monde, et même si vous arriviez à faire payer les Chinois un maximum, ce dont je doute, vous useriez le pactole accumulé à circuler de planque en planque pour éviter de vous faire prendre. Mais vous le savez, vous vous feriez prendre, non, cette idée de la jouer perso, oubliez-là, elle ne vous apporterait que des ennuis. Ah bon, voilà qu'ils éteignent les lumières, je suppose qu'ils veulent qu'on dorme, n'en profitez pas pour me piquer d'une seringue, je vous en prie, j'espère me réveiller dans le même état, si toutefois je parviens à m'endormir, vous dormiriez, vous, avec un espion assis à vos côtés qui n'attend qu'une occasion pour pratiquer sur vous toute sorte de sévices ? Non hein, eh bein voilà, c'est que je ne suis pas rassuré moi, avec vous à côté, vous voudriez bien changer de place avec quelqu'un d'autre ? Mon dieu mais vous dormez, je rêve elle dort, mais enfin mademoiselle, une espionne ne s'endort pas comme ça, ou alors vous faites semblant, c'est ça, hein, vous faites semblant pour m'amadouer, et puis crac, mais n'y pensez même pas, si vous croyez que je vais m'endormir, vous vous fourrez le doigt dans l’œil, je veille, moi, mademoiselle, je ne suis pas tombé de la dernière pluie, on ne me la fait pas à moi, qu'est-ce que vous croyez, allons vous pouvez rouvrir les yeux, je vous ai deviné, non, elle a l'air de dormir vraiment, ils sont bien entraînés les espions, aujourd'hui, et bon, qu'est-ce que je vais faire moi, de tout ce temps ?

 

 


 

  HONGREFLET

 

 

 

 

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25 octobre 2011 2 25 /10 /octobre /2011 21:32

 

 

LUCIEN BALLAGUER, SAINT-AFFRIQUE, (REGION MIDI-PYRENEES, FRANCE), 11 AOUT 2011

 

Ce 11 aout 2011 au moment ou commence le journal de 13 heures, Lucien Ballaguer, soixante dix-huit ans, sent une douleur fulgurante le traverser dans la région du cœur. Pas une de ces petites douleurs musculaires due à une mauvaise position prolongée, non, ce que ressent Lucien ce jour-là c'est une vraie douleur, comme si un objet effilé avait pénétré là pour y causer ses ravages – couteau, aiguille, lame, poinçon etc –, un couteau ne provoquerait pas une douleur différente, une douleur reçue comme un avertissement.

Epuisé, au bord du gouffre, Lucien s'assied à la table du salon en laissant s'égrener au loin la bonne parole télévisuelle. Face à lui, sur le mur opposé, au dessus du buffet bas, se trouve le portrait de Rosine, radieuse dans son immobilité, calme. Lucien lui envoie un petit sourire triste, tu vois ma Rosine, prépare-toi à me revoir, je ne vais pas tarder à te rejoindre.

Tous les jours Lucien parle à Rosine, lui raconte sa journée, les petites nouvelles de la petite communauté de Saint-Affrique, les mariages des jeunes, mais ce soir, il s'en tiendra à cette nouvelle-là, prépare-toi, ma Rosine, prépare-toi, je viens.

Il l'a échappée belle, il le sait, n'a pas besoin de médecin pour affirmer cela, il l'a échappée belle.

D'ailleurs, il ne va pas l'appeler, le médecin, ni le Samu, à quoi cela servirait-il ? A être embarqué vers l'hôpital, subir des tests, se trouver encore dans la douleur à traverser et dans l'annonce de sa fin prochaine. De cela il n'a pas besoin, sa fin prochaine, il la pressent maintenant de façon aiguë. Au lieu de cela, la douleur calmée, Lucien sort sur le pas de sa porte, appelle les jeunes assis sur leurs scooters, sur la place, et leur demande une cigarette.

La première depuis quatorze ans.

Il reste dehors à la fumer, pour éviter de le faire sous l'œil accusateur de Rosine.

La première bouffée lui déchire les poumons.

Dès la deuxième, le bonheur afflue jusqu'à l'extrémité de ses doigts, comme si on avait injecté un baume rajeunissant dans ses veines. Il se laisse envahir par la sensation, grisé, emporté, heureux.

A la troisième c'est comme s'il n'avait jamais arrêté.

La fumée l'excite et le calme à la fois.

C'est pas à l'hôpital qu'il aurait pu faire ça.

Le cœur ? La belle affaire. Ça ou autre chose.

Une voix le tire de sa rêverie : il en veut une autre le papy ? Les jeunes le regardent en souriant.

Oui, le papy en veut bien une autre, ou plutôt non, le papy voudrait bien qu'ils aillent lui acheter un paquet avec leur scooter, ils pourront garder la monnaie pour l'essence.

Un paquet entier.

Ce qu'ils veulent, n'importe quelle marque, les plus chères.

Lucien se dit que les gens au bord de la mort – il a entendu ça des dizaines de fois dans sa vie –, les gens au bord de la mort, revoient défiler en eux les épisodes les plus marquants de leur vie. Il n'en est pas là, c'est évident, cette fois il s'en sortira, mais ces pensées mortifères, au lieu de le plonger dans l'abattement, lui ramènent en mémoire, non pas ces épisodes-là, mais le souvenir de Mathilde.

Mathilde, surtout.

Il n'aurait eu qu'un geste à faire, ce jour-là, et il ne l'avait pas fait. Il ne l'a jamais prise dans ses bras. Ce jour-là ils étaient seuls dans son arrière-boutique, au milieu de vieux papiers et de boîtes de fil de couture, c'était un été, Mathilde l'avait entraîné là pour lui montrer une lettre d'une amie commune, elle portait une robe légère, ils étaient à quelques centimètres l'un de l'autre, à inventer des prétextes de conversation pour faire durer le moment. Mathilde était offerte, tout entière tendue vers lui, il pouvait sentir son souffle sur lui, il pouvait voir loin dans son décolleté, sa robe remonter un peu trop haut sur ses cuisses, il n'aurait eu qu'à ouvrir les bras, elle y serait tombée. Mais il n'avait rien fait, n'avait pas bougé, avait laissé passer là, se dit-il maintenant, la plus belle femme de sa vie. Même cinquante ans plus tard Lucien a encore en mémoire l'odeur de Mathilde ce jour-là. La semaine suivante elle avait quitté Saint-Affrique sans un mot pour personne et depuis il n'avait plus entendu parler d'elle. Certains affirmaient qu'elle était partie faire institutrice en Algérie et qu'elle y aurait été tuée pendant la guerre dans un attentat. Mais ce ne sont que des ragots.

Depuis, il ne s'est pas passé un jour sans que Lucien ne pense à Mathilde. Habituellement de manière fugace, comme une idée nous traverse parfois et s'enfuit sans se laisser saisir. Aujourd'hui, il avait ouvert les vannes.

Tiens, là, si Mathilde passait le pas de sa porte, il ne toucherait plus une cigarette.

 

Lucien entend de loin enfler le bruit des scooters.

 

 

 

  feuilles

 


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18 octobre 2011 2 18 /10 /octobre /2011 13:29

 

 

INTIMITE IX – GĖRARD NOSEUX, LE TOMBĖRARD (REGION POITOU-CHARENTES, FRANCE)

 

Et toi tu reviens comme ça sans rien dire. Qu'est-ce que tu crois ? Qu'il suffit de passer la porte et de dire c'est moi ? Je vois bien que c'est toi. Tu crois que je peux tout pardonner parce que je suis bon, mais ma bonté a des limites. Et même : je ne suis pas bon. Tu t'es trompée sur mon compte, je ne suis pas bon. Tu l'as cru mais non. Je cache au fond de moi une capacité illimitée à être borné, stupide, fermé, égoïste, inapte au partage, rétif au pardon. Tu sais que le pot de moutarde était presque plein quand tu es partie ? Tu le sais ? J'avais fait le pari avec moi-même que si tu revenais avant que le pot soit terminé, je serais magnanime. Là il est trop tard. Tu as failli. La semaine dernière j'ai fait un pot au feu. Pour moi seul oui, et alors ? J'en ai mangé pendant quatre jours. Ces quatre jours ont représenté ton dernier sursis ; chaque soir je me désespérais davantage en mangeant mon pot au feu en voyant descendre la moutarde à vue d’œil, mais je n'ai pas triché, j'ai été honnête avec moi-même, je n'ai pas cherché à minimiser mes cuillerées, je n'ai pas cherché à l'économiser, je voulais être juste avec toi aussi, intransigeant mais juste, ne pas te donner plus de chance qu'il ne t'en fallait, je mettais autant de moutarde que d'habitude, ni plus ni moins, alors vois-tu, aujourd'hui, tu arrives trop tard, le pot de moutarde, je l'ai fini avant-hier.

Avec du poulet froid.

 

 


  CAVE1

 

 

 

 

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4 octobre 2011 2 04 /10 /octobre /2011 20:41

 

UN EXEMPLAIRE DU LIVRE : VINDICIAE CONTRA TYRANNOS, SIVE DE PRINCIPIS IN POPULUM POPULIQUE IN PRINCIPEM LEGITIMA PROTESTATE, STEPHANO IUNIO BRUTO AUCTORE, PUBLIÉ À BÂLE (SUISSE) EN 1579, MAIS PORTANT EDIMBURGI (EDIMBOURG, GRANDE-BRETAGNE) COMME LIEU D'IMPRESSION SUR LA PAGE DE TITRE : SES DIFFÉRENTS POSSÉSSEURS JUSQU'À NOS JOURS.

 

 

 

[AVERTISSEMENT : Au même titre que les autres entrées de l'Inventaire, l'article qui suit, bien que les données bibliographiques soient exactes, doit davantage être considéré comme partie intégrante du champ littéraire que comme source d'information historique]

 

 

[NOTE PRELIMINAIRE : Cet ouvrage, dont on pourrait traduire le titre par « Diatribe contre les tyrans » a été mis à l'Index librorum prohibitorum, la liste des livres interdits par l'Eglise romaine dès sa parution. L'auteur n'y remettait pas en cause le principe monarchique du pouvoir mais les abus qu'un monarque pouvait perpétrer dans le cadre de l’exercice du pouvoir. Autrement dit, et pour résumer, il s'agissait d'une attaque violente contre le massacre de la Saint-Barthélémy, dont à tort ou a raison, on attribuait la responsabilité à Charles IX et à sa mère Catherine de Médicis.

Bien entendu, ce nom de Stephano Iunio Bruto est un pseudonyme ; aujourd'hui encore on ne sait exactement qui l'a rédigé et l'ouvrage est attribué à trois auteurs : Hubert Languet, qui toute sa vie a œuvré à l'expansion et à la protection des églises protestantes, Philippe de Mornay (dit Duplessis-Mornay), qui, en tant que conseiller du roi de Navarre, futur Henry IV, aurait grandement contribué à la promulgation de l'Edit de Nantes, ou encore Théodore de Bèze, théologien protestant réfugié en Suisse.

Voilà pour la grande histoire, nous ne nous y attarderons pas davantage, le lecteur averti saura aller puiser chez les véritables historiens les controverses liées aux Guerres de religions.

Il faut pourtant préciser encore qu'un livre mis à l'Index pouvait avoir des destins très différents. Certains y étaient simplement inscrits et tombaient ensuite dans une indifférence molle sans que l'affaire n'enfle davantage ; d'autres pouvaient être brûlés sur un bûcher érigé en place publique, leur auteur et leur libraire – car l'éditeur au sens où on l'entend aujourd'hui n'existait pas encore – poursuivis, condamnés, et emprisonnés.

Tiré à neuf cents exemplaires, l'édition du Vindicae fut saisie sur les terres catholiques et, après l'opprobre jetée à son encontre par l'inquisition, tous les exemplaires saisis furent détruits. Les bibliothèques publiques françaises n'en compteraient que quelques exemplaires, aucun à la bibliothèque nationale d'Italie de Rome, et bien entendu, un exemplaire à la Bibliothèque Vaticane].

 

 

1581-1811 : Bibliothèque de l’évêché puis de l'archevêché de Paris.

 

L'exemplaire qui nous intéresse ici a appartenu dans un premier temps à Pierre de Gondi, Cardinal et évêque de Paris, puis à son successeur, Henri de Gondi, autrement nommé Cardinal de Retz. Il est à noter toutefois que le Cardinal de Retz n'y fait jamais allusion dans ses Mémoires.

Ajoutons que la bibliothèque d'un évêché doit être considérée comme propriété de l'évêque, même si, la plupart du temps les ouvrages sont transmis d'un évêque à l'autre, du moins jusqu'à la Révolution française. Ainsi, celui-ci, bien à l'abri au cœur du système ecclésiastique put-il survivre à tous les interdits pour la raison principale que les théologiens, au même titre que les censeurs, se devaient de connaître ce qu'ils voulaient condamner. La raison accessoire tient au fait que le Cardinal de Retz n'était membre du clergé que pour des raisons politiques, son apostolat ne devant pas grand chose à une excessive ferveur religieuse. Par la suite, nul laïc n'ayant accès à ladite bibliothèque, personne ne trouva à redire à la présence du Vindiciae contra tyrannos sur ses étagères.

 

 

1811 : Jean Lemanant.

 

L'église, alors désorganisée par les caprices de Napoléon, relégua à l'ultime plan de ses préoccupations du moment la bonne tenue de ses bibliothèques. S'ensuivirent même quelques pillages au cours d'un desquels notre Vindiciae fut empoché au hasard sur un coup de tête par un serviteur de l'archevêque, et quitta à jamais le monde feutré et protégé de sa séculaire bibliothèque pour plonger dans le grand monde.

Jean Lemanant avait de toute façon décidé de quitter son office pour s'enrôler dans l'armée napoléonienne et s'en aller lui aussi à la découverte du monde. En arrivant chez lui le jour de son larcin, il jeta le livre dans un coin, lui attribuant pour seule valeur celle d'une ultime prise de guerre ; il embrassa son épouse, s'enivra, s'endormit et dès le lendemain matin s'en alla porter la fureur de la guerre à travers l'Europe.

Jean Lemanant ne revint jamais de la lointaine Russie, le 7 septembre 1812, lors de la bataille de la Moskova, alors qu'il montait à l'assaut d'une redoute, un tir de canon lui emporta la partie supérieure du corps.

L'épouse, à l'instar de son mari ne sachant ni lire ni écrire, encore moins le latin, envoya le livre rejoindre la poussière du grenier, trouvant même stupide cette idée de son mari de choisir un livre comme cadeau d'adieu. Un livre, ça ne servait à rien et ça n'avait jamais rempli l'estomac, si encore il avait pris des fourchettes d'argent.

Notre Vindiciae aurait pu rester à jamais dans son grenier si Grégoire Lemanant, oncle de Jean, n'avait décidé d'occuper le jour même la place encore chaude laissée vacante dans le lit de son neveu. Louise, l'épouse délaissée ne vit pas grand mal à cela étant donné que l'oncle en question était encore en pleine forme et ne donnait pas dans l'ivrognerie comme son imbibé de mari.

Grégoire dénicha vite l'ouvrage dans le grenier et s'empressa de le vendre à un boutiquier qui tenait échoppe près des quais de la Seine pour un franc de l'époque, c'est à dire, l'équivalent d'un kilo de pain environ.

 

 

1811-1846 : Henry Pascal de Peyragude

 

 

Grand collectionneur de livres sur la Réforme et la contre-Réforme Henri Pascal de Peyragude vient exprès à Paris une fois par an se fournir chez divers boutiquiers de sa connaissance. Parmi ses points de chute figure l'échoppe du bouquiniste Rouart. Cette fois, ce 20 mai 1811, à peine a-t-il fait quelques pas à l'intérieur de la boutique, son regard est attiré par une reliure de cuir sombre, sans nerfs, avec au dos la seule inscription, dorée à l'or fin « Contra tyrannos ». Un habillage sobre typique de l'art des relieurs du 16e siècle. Son cœur se met à battre au rythme d'un cheval au galop, il comprend tout de suite qu'il tient une rareté, il le flaire, il sent ces choses-là à l'instinct, à distance, il ne se trompe jamais. Cependant, ne voulant pas trop se montrer intéressé, il repose négligemment le livre et continue à fureter sur les étagères, l'air de rien. Mais on ne la fait pas à Calixte Rouard, le propriétaire de l'échoppe. Ce n'est pas pour rien qu'il a réussi dans ce métier, il a tout de suite repéré l'étincelle allumée dans l’œil de son client, il a tout de suite compris son petit jeu ; allons s'il la joue fine, il pourra tirer un maximum de l'ouvrage. Il peut même frapper un grand coup, un des plus beaux de sa carrière, s'il se débrouille bien. Il s'approche de l'étagère, s'empare de notre ouvrage, le ramène vers son comptoir, et commence à l'emballer. Aussitôt Peyragude, inquiet, s'approche :

 

 

― Je voulais justement prendre ce livre-ci

― Ah mais c'est qu'il est déjà vendu, citoyen Peyragude, voyez, je suis en train de le préparer, l'acheteur doit passer cet après midi.

― Voilà qui est fort désobligeant... Eh bien, quel que soit le prix que vous l'avez vendu, je vous en offre le double.

― Le double ? Holà, et ma parole, qu'en faites-vous ? Il faudrait bien plus que cela pour me la faire oublier.

― Soit, alors... à combien estimez-vous la valeur de votre parole, citoyen Rouart ?

― Disons qu'une bourse pleine d'une centaine de francs ne serait de trop pour me causer des trous de mémoire et me faire supporter le juste courroux de votre concurrent.

 

Peyragude tire alors une bourse de son habit, la jette sur le comptoir, s'empare de l'ouvrage avec une certaine avidité et sans un mot quitte la boutique. La bourse complète. La bourse initialement prévue pour acquérir et ramener une malle de livres. Cent francs. Peyragude a supporté le voyage depuis Albi, la poussière, la fatigue, les dangers, il a supporté tout cela pour un livre, un seul livre, ce Contra tyrannos qu'il serre maintenant contre sa poitrine en un geste de possession fébrile. Après tout, pense-t-il encore, après tout le voyage de retour sera plus léger qu'à l'accoutumée, et ce livre-là sera la perle de ma collection.

 

La minute qui suivit le départ de Peyragude, Calixte Rouart ferma son échoppe et s'en alla porter la bonne nouvelle et l'argent en son foyer. Cent francs.

Un livre qu'il avait payé un franc.

 

Les trente-cinq années suivantes Le Vindiciae contra tyrannos occupa la place centrale dans la bibliothèque du manoir d'Henry Pascal de Peyragude, présenté de front sur un petit lutrin de bois ; nul n'avait le droit de le prendre en main en dehors de la présence du propriétaire des lieux.

 

 

 

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1846-1861 : Pierre Estienne

 

A la mort de de Peyragude, ce fut son neveu, Pierre Estienne qui hérita de sa maigre fortune et de tous ses livres – l'amas de livres, disait-il, car pour lui cela n'était qu'un amas, responsable à ses yeux de la maigreur de la fortune de son oncle. Pierre Estienne vivota pendant deux ans en vendant des livres de temps en temps et puis décida un jour que cela suffisait, au lieu de dépenser le petit pécule du tonton, il devait au contraire le faire fructifier. En 1850 il s'embarqua pour la Cochinchine, « pacifiée » depuis quelques mois, dans le but de s'y implanter et de commercialiser vers la France du thé et du caoutchouc. A force de traîner dans les ports et d'écouter les marins décrire le paradis, l'envie d'abord, puis la détermination avaient grandi en lui jusqu'à le pousser à partir. Il avait alors trente deux ans et avait longuement pesé sa décision, il savait qu'il pouvait gagner une vie extraordinaire dans l'aventure, mais il savait aussi qu'il avait tout à y perdre. Finalement ce fut la conviction qui l'emporta. Il vendit la maison et les livres, et se trouva ainsi à la tête d'un petit capital qui lui permettrait de démarrer. Là-bas, soi-disant, la France donnait la terre à qui la voulait. Il garda toutefois le Vindiciae contra tyrannos, en mémoire de son oncle, et l'emporta dans ses bagages comme un morceau de France.

Pierre Estienne réussit dans la culture de l'hévéa et du tabac, car effectivement la terre était donnée et la main d’œuvre quasi gratuite. Il se construisit en quelques années une vie de planteur, à la fois rude et profitable, exactement le genre de vie dont rêvent les enfants en lisant des romans d'aventure. En 1861 la région de Saïgon, dans laquelle il était implanté, fut ravagée par une épidémie de typhus qui emporta Pierre Estienne. Avant de mourir, n'ayant aucun héritier, il légua sa propriété à un officier de l'armée, Alexis de Berton, avec lequel il s'était lié d'amitié ; il lui transmit également le Contra tyrannos, en lui faisant jurer de ne jamais le vendre.

 

 

1861 : Alexis de Berton

 

Grand catholique pratiquant, royaliste et latiniste émérite, Alexis de Berton trouva pour le moins fâcheux l'héritage de ce livre qui bafouait en même temps les préceptes de sa religion et l'autorité du roi. Garder ce livre chez soi c'était comme inviter le diable à sa table. Une idée impensable, une calamité omniprésente, une farce lugubre, un objet propre à attirer le malheur sur la famille et sa descendance pour des générations, bref une chose avec laquelle il ne pourrait plus vivre dans la quiétude d'un esprit en accord avec sa conscience.

Mais la parole d'un mourant était la parole d'un mourant. Alexis de Bertin était au pied du mur, seul face à lui-même, car ne pas obéir aux injonctions d'un mourant relevait du pêché, il se devait donc, quoi qu'il put lui en coûter, de conserver par devers lui l'écrasant fardeau de ce torchon bourré d'idées fausses et de contre-vérités.

Le dilemme le tortura des nuits entières.

Il s'en ouvrit enfin à son épouse, une femme pleine de sagesse et d'autorité, laquelle lui répondit :

 

― Il vous a demandé de ne pas le vendre, n'est-ce pas, il ne vous a pas demandé de le garder, qu'est-ce qui vous empêche de le donner ?

 

Alexis médita longtemps cette idée et puis répondit à son tour :

 

― Non ce ne serait pas loyal envers un ami, je ne peux pas faire ça, ce serait pire que garder le livre.

― Mais après tout, répondit-elle, si vous le donnez à un ami très cher, ce sera comme si rien ne s'était passé, les amis de vos amis doivent aussi être les vôtres, donc les vôtres sont les siens.

― Ma foi, Ernestine, savez-vous que je commence à percevoir là le début d'une solution ?

― Vous m'en verriez heureuse.

 

Alexis de Berton trouva le syllogisme audacieux et juste, ce qui lui permit de soulager sa conscience tout en se débarrassant du brûlot protestant. Il le confia avec mille préventions à son ami Adolphe Delay, sous officier, grand éradicateur d'indigènes, lequel eut beaucoup de mal à comprendre le luxe de précautions prises par son ami. Pour lui ce n'était qu'un livre : un objet comme un autre, inapte à modifier la marche du monde, pas plus que sa propre vision de la vie.

 

 

1861- 1904 : Adolphe Delay, puis Adélaïde Labattut.

 

Adolphe Delay ne possédait en tout et pour tout que trois livres dans ses cantines militaires :

  • Traité d'artillerie navale / par le lieutenant général sir Douglas Howard. - Paris : J. Corréard, 1853.

  • Bataille de Preussisch-Eylau, gagnée par la Grande-Armée, commandée en personne par S.M. Napoléon Ier, sur les armées combinées de Prusse et de Russie, le 8 février 1807 : avec trois plans et deux cartes. - Paris : Imprimerie Impériale, 1807.

  • De l'incompatibilité entre le judaisme et l'exercice des droits de cité et des moyens de rendre les Juifs citoyens dans les gouvernemens représentatifs. Par M. Moureau (de Vaucluse), avocat à la Cour royale de Paris. - Paris : Crochard, 1819.

 

Un livre de plus ne lesterait donc pas ses bagages outre mesure, d'autant, disons-le que c'est à peine si, après être entré en possession du Vindiciae, il y a jeta un coup d’œil. Juste le temps constater qu'il était rédigé en latin et lui faire remonter en mémoire les heures douloureuses passées sur des versions latines, écrasé qu'il se trouvait alors sous le poids de son irrémédiable aversion pour cette langue que plus personne n'utilisait en dehors des curés.

C'est tout juste s'il ne cracha pas sur le livre.

Mais par respect pour son ami Berton il promit de le garder et le rangea avec les lettres de sa mère.

Puis il l'oublia.

Puis il rentra en France pour lutter contre les Prussiens.

Puis il mourut à Sedan.

 

Sa dernière pensée, voyant monter vers lui un bataillon entier de Prussiens assassins, fut que la guerre avait ceci de stupide qu'elle prenait même ceux qui avaient foi en elle pour établir l'équilibre du monde.

 

On ne se donna pas la peine de lui tirer dessus, on lui traversa le cou d'une baïonnette et on le laissa là se vider de son sang.

 

Sa mère ne voulut garder aucun souvenir de son fils tant elle avait pleuré sur cette carrière militaire qui l'avait entraîné vers des pays dont elle ignorait tout. Comme s'il n'y avait pas assez de dangers ici. Elle donna le Vindiciae et les trois autres livres à sa sœur, Adélaïde Labattut qui les conserva comme les reliques précieuses d'un saint vénéré.

 

 

 

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1904-1932 : Arsène Langrand

 

 

Le 17 aout 1904, par la vertu de ses précédentes épousailles avec Joséphine Labattut, et après le décès du père d'icelle, Arsène et Joséphine Langrand héritèrent du château paternel, du domaine viticole y attenant, ainsi que de la bibliothèque abritée dans le château. Tout à la joie de cette nouvelle condition de nanti, c'est à peine si Arsène Langrand remarqua, de chaque côté de l'immense cheminée du salon d'apparat, les boiseries vitrées derrière lesquelles se dévoilaient des trésors de bibliophilie. Arsène Langland était un terrien, un pragmatique, les livres ne l'intéressaient pas, il ignora donc avoir un jour possédé, puis perdu, puis récupéré, le Vindiciae contra tyrannos.

 

Le 7 juillet 1920, le livre est dérobé lors d'une soirée par Juste Falicheux, grand adepte de conspirations de toute nature et fervent adhérent de diverses sociétés secrètes parmi les plus en vue du moment – si l'on peut dire.

Juste Falicheux était l'initiateur et le responsable d'une de ces sociétés, celle-ci vraiment très secrète, dont l'objectif consistait à révéler au peuple les voies de la sagesse ancestrale, et à lui dévoiler les arcanes de la conception et de l'avenir du monde. Il lui avait donné pour nom Groupe des sept et en avait lui-même coopté les six autres membres, la seule condition à leur admissibilité étant qu'ils fussent, comme lui mais un peu moins, persuadés de la survenue d'un monde nouveau dont la pierre angulaire serait le chiffre sept.

Sept est évidemment le chiffre magique par excellence : les sept jours de la création, les sept planètes, les sept pétales de la rose, le chandelier à sept branches, les sept trompettes de Jéricho, les sept pêchés capitaux, les sept portes du paradis, etc. Lui-même, Juste Falicheux, vivait au numéro soixante dix-sept de l'avenue des Sept degrés de la perfection, il n'y a pas de hasard.

Accessoirement, le chiffre sept représente la fin d'un cycle de vie et la survenue d'un changement extrêmement positif pour tout le monde. Il suffisait donc que le monde se décille, et Juste Falicheux serait celui par qui viendrait la vérité. Les guerres, les révolutions, les attentats anarchistes, la mise en place d'états à visées matérialistes, tout cela ne représentait que les derniers soubresauts d'un monde qui touchait à sa fin.

Le premier objectif du Groupe des sept était de se procurer un exemplaire du Contra tyrannos et d'en faire une étude approfondie, de lui extirper ses secrets, car le sujet de ce livre n'était qu'une couverture, un leurre, il fallait aller au delà des apparences : dissimulée dans ses pages, ce livre contenait la Révélation, et ils allaient la lui arracher.

 

Mais remontons quelques mois avant le vol du livre. Le 14 novembre 1919, Arsène Langrand, son ami de toujours avait invité Juste Falicheux à un grand dîner où se trouvait réuni le gratin mondain de leur bonne ville – madame Langrand aimait ainsi de temps en temps exposer sa fortune et faire étalage de sa générosité. C'est au cours de cette soirée, après le repas, que Juste Falicheux, s'ennuyant à mourir, s'empara au hasard d'un livre dans la bibliothèque de son ami. Il s'agissait bien sûr de notre Vindiciae contra tyrannos. Sur le moment il n'y prêta guère attention et le remit en place après avoir jeté un coup d'œil sur la page de titre.

Rentré chez lui, Juste Falicheux se fit cependant la réflexion que, le hasard n'existant pas, il ne s'était pas emparé de ce livre par hasard, il devait y avoir une raison cachée ; il se mit donc à la chercher.

Au terme de quelques heures de recherches, il aboutit au résultat suivant :

  • en accordant à chaque lettre de l'alphabet la valeur numérale de sa position (A = 1, B = 2 etc.)

  • en comptabilisant les lettres du titre,

  • en comptabilisant de même les lettres du nom de l'auteur,

  • en additionnant le tout,

    on parvenait, mais oui, au chiffre sept.

Ainsi, avec les lettres de Vindiciae contra tyrannos, on obtenait le nombre 254, lequel nombre lui-même contracté (2+5+4) donnait 11, lequel donnait le chiffre 2.

Avec celles de Iunio Bruto on arrivait à 122, dont la contraction était 5.

2 + 5 = 7.

Le prénom de Stéphano, n'avait été apposé avant Iunio Bruto, c'était une évidence, que pour détourner les soupçons des non initiés. Un piège extrêmement facile à déjouer pour qui sait la vérité.

A partir de là, le Groupe des sept écuma les bouquinistes de France à la recherche du livre. Ils n'étaient pas au courant bien entendu de l'extrême rareté du titre – l'eussent-ils été qu'ils y eussent vu une preuve supplémentaire de la pertinence de leur quête. Mais passons. Après des mois de recherches infructueuses, et malgré ce qu'il lui en coûtait, Juste Falicheux se résolut, lui qui toute sa vie avait été un modèle d'honnêteté, à voler le livre à son ami car, à ses yeux, l'intérêt général du monde passait avant la somme des intérêts particuliers.

Arsène Langrand, peu versé dans la chose philosophique et littéraire, nous l'avons dit, ne se rendit même pas compte de la disparition du livre, une bibliothèque ne représentait pour lui qu'un élément de décoration, ou un signe extérieur de bon goût.

A partir de cette date et pour quatre ans le livre devint donc la propriété du Groupe des sept.

 

 

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(1920-1924 : Groupe des sept )

 

 

Jamais livre ne fut autant lu, parcouru, disséqué, traduit, exploré, analysé, fouillé, dépecé, commenté, que notre Vindiciae contra tyrannos durant les quatre années pendant lesquelles il appartint au Groupe des sept.

Outre Juste Falicheux, le groupe comprenait François-Joseph Beugnon, 53 ans, ouvrier imprimeur, Marcelin Puech, 56 ans, propriétaire terrien, Victor Franquette, 19 ans, sans profession, Joseph Valmaigne, 63 ans, correspondant local de l'Académie des sciences, Danton Teisseydre, 51 ans, cafetier, Marinette Teisseydre, 49 ans, caissière de café.

Il y eut d'abord des études individuelles, chacun voulant être le premier à percer le mystère, mais après sept échecs successifs, on se décida à pratiquer des séances collectives pendant lesquelles chacun lançait les idées les plus farfelues, les plus éloignées en apparence du sujet de préoccupation du groupe pour essayer de décoder le message envoyé par l'auteur. On passa des nuits à compter, à additionner la numérotation pages, d'abord sans tenir compte des erreurs d'impression, puis en tenant compte des erreurs d'impression, on compta et recompta chaque mot de chaque page, puis chaque lettre de chaque mot, on couvrit des cahiers entiers de calculs de toute sorte, on s'acharna à isoler toutes les lettres G du livre, on en mit le nombre en équation, on le divisa par le nombre de pages, par le nombre de mots, par le carré de la distance entre Rome et Jérusalem, puis on fit de même avec le septième mot de chaque page, puis avec la septième page de chaque chapitre, on renouvela l'ensemble de ces travaux en prenant le livre à l'envers, on mesura le livre dans le sens de la hauteur, de la longueur, dans son épaisseur, on combina les résultats les uns avec les autres sans plus de résultat (d'autant qu'on avait ignoré le fait qu'à l'époque de la fabrication du livre on ne mesurait pas en centimètres), on fit encore mille et un calculs tant il est possible de dupliquer et de renouveler à l'infini ce genre d'arguties.

On alla même jusqu'à penser que le secret du livre se trouvait sous le cuir de la couvrure et on s'employa à l'aide des lames les plus fines à décoller le matériau de son support – pour un résultat tout aussi nul que les précédents. Après quatre années de nuits blanches et de recherches de toute sorte, les membres du groupe furent bien obligés de convenir que, si secret il y avait, ils n'avaient pas été capables de le percer. Juste Falicheux traversa donc la douloureuse épreuve de devoir remettre l'ouvrage en place sur les rayonnages de son ami, en sachant pertinemment que personne ne viendrait plus l'y chercher pour lui arracher son mystère.

 

A aucun moment l'idée n'effleura Juste Falicheux qu'il aurait pu se tromper.

 

Physiquement, le livre sortit de ces quatre années de tripatouillages dans un état de délabrement que ne lui avait valu, ni son voyage à l'autre bout du monde dans l'humidité de la Cochinchine, ni même ses précédents trois siècles et demi d'existence. Le plat supérieur n'était plus rattaché au corps d'ouvrage que par quelques filaments de ficelle, le veau de couvrure était râpé, élimé, déchiqueté par endroits, des cahiers entiers se détachaient de la reliure, et la dorure même avait été effacée par les frottements répétés de ces chercheurs de l'impossible – mais de tout cela ils se moquaient, ce n'était pas un intérêt bibliophilique qu'ils portaient à l'ouvrage mais un culte mystico-scientiste.

 

Le Groupe des sept ne sortit pas non plus indemne de l'expérience. A la suite de la folie qui s'empara de Victor Franquette – qui lui valut un internement dans un asile dont il ne sortit jamais –, le groupe décida de se dissoudre, et Juste Falicieux s'en fut porter son besoin d'irrationnel vers d'autres conspirateurs aux visées moins empreintes d'absolu.

 

Après avoir été remis dans la bibliothèque de son légitime propriétaire, le Vindiciae y reposa en l'état jusqu'à ce que, ruiné par des placements hasardeux et par les répercussions de la crise économique, Arsène Langrand, alors aux portes de la vieillesse, soit obligé de vendre le château et sa bibliothèque.

 

 

 

1932-1952 Augusta & Apollinaire Fichot, puis Helmut & Aloys Loss

 

 

Le château fut acheté par un escroc qui pensait avoir atteint le niveau suprême du bien-être après avoir dépouillé des centaines de benêts de leurs économies. Il fut assassiné à peine trois mois plus tard par l'épouse d'un des escroqués dont il voulait faire sa maîtresse. Mais auparavant il avait eu le temps de revendre la bibliothèque dont il ne voulait pas. Dont il voulait même se débarrasser au plus vite. Essentiellement des livres du 17e et 18e siècles. Plus quelques 16e et une poignée d'incunables et de manuscrits patiemment collectionnés par Arsène Langrand. Il y en avait pour une fortune, il en récolta à peine de quoi s'offrir une Alfa Roméo 1930 d'occasion. La bibliothèque en son entier fut achetée par Apollinaire Fichot, un libraire qui possédait un manoir dans la campagne Dijonnaise. Mais Fichot faisait dans le livre neuf et scolaire, les livres anciens intéressaient encore trop peu de monde pour en faire un commerce rentable ; s'il avait acheté ces livres c'était pour son plaisir personnel, et parce que, prétendait-il, la littérature française aurait dû cesser toute activité à la fin du 18e siècle. Son épouse Augusta partageait les mêmes points de vue. Ensembles ils dressèrent le catalogue de la bibliothèque, mirent à part les pièces rares – dont le Vindiciae qui fut ici estimé à la juste valeur de sa rareté –, et firent imprimer un ex-libris qui portait la phrase « Superbiam Burgundi » [Fierté d'être Burgonde] car ils étaient Bourguignons d'origine, et en dessous, joliement disposé en demi-cercle « Pertinet hic liber ad Fichot - Divodurum», [Ce livre appartient à Fichot – Dijon] ; le centre de l'ex-libris était orné de la gravure d'une naïade pseudo-antique aux voiles quasi transparents. Ensuite, patiemment, soirée après soirée, ils collèrent à l'intérieur du plat supérieur de chacun des livres l'ex-bris attestant de sa propriété. Lorsqu'il tomba une deuxième fois sur notre Vindiciae, ne pouvant souffrir plus longtemps de le voir dans ce piètre état, Apolinaire Fichot le porta lui-même avec mille précautions chez un relieur de ses connaissances, Nicodème Trichareau qui tenait boutique à Dijon, rue des Peignes de corne, lequel, découvrant l'objet, ne put réprimer une grimace.

 

― Vous savez m'sieur Fichot, je suis relieur, pas magicien, ce qu'il lui faudrait, à votre livre, c'est tout refaire.

― C'est bien ce que je suis venu vous demander, maître Trichareau, refaites, refaites.

 

Ainsi fut-il fait et notre Vindiciae retrouva belle figure, même si, disons le, les techniques de restauration étaient encore tout à fait balbutiantes. Un mois plus tard le Vindiciae réintégrait la bibliothèque du manoir, cousu de neuf, habillé de chagrin vert foncé, et paré dans son dos de quatre nerfs et de pièces de titre de cuir rouge portant fleurons et gravures d'or. On ne peut pas dire que cette reliure était dans l'esprit du 16e siècle mais au moins le livre était-il à nouveau protégé des agressions du monde extérieur pour de nombreuses années.

Huit exactement.

Car lorsque l'invincible armada germanique déferla sur le pays, au mois de juin 1940, Augusta et Apollinaire Fichot furent chassés de leur manoir pour que la Wehrmacht, sous le commandement ici du genaralleutnant Helmut Loss, y établisse son quartier général. Apolinaire essaya de plaider sa cause en présentant au commandant une édition originale en allemand des Souffrances du jeune Werther de Goethe, lequel commandant apprécia la délicatesse mais envoya néanmoins notre homme se faire loger ailleurs sans le moindre scrupule – c'est la guerre, cher ami, et à la guerre le vainqueur a toujours raison.

 

Contrairement aux propriétaires des lieux, dans un premier temps les livres n'eurent pas à souffrir de cette présence guerrière, le commandant était homme de culture et ne supportait pas que l'on traitât mal ni le vin ni les livres. Notre Vindiciae continua à reposer en paix jusqu'à ce jour du printemps 1943 où Helmut Loss reçut de Berlin l'autorisation de rentrer chez lui se reposer une semaine avant de repartir prendre le commandement d'une division d'infanterie sur le front Russe. Au moment de son départ, herr Loss voulut emporter un souvenir, une prise de guerre, et c'est presque naturellement qu'il se tourna vers la bibliothèque. Il pensa au Goethe, bien entendu, mais son œil fut aussi attiré par la reliure neuve du Vindiciae ; il les empocha et s'en repartit retrouver sa famille dans le centre de Dresde avant d'aller se faire tailler en pièces par les orgues de Staline.

 

Frau Loss ne fut jamais prévenue de la mort de son mari – de longs mois encore après la capitulation allemande elle gardait l'espoir de le voir revenir, il avait peut-être été fait prisonnier et allait arriver, un jour, les Russes ne pourraient pas garder prisonniers une armée entière, ils avaient suffisamment à faire avec leur propre reconstruction ; il allait arriver et se tenir là, face à elle, dans un long silence. Ensuite ils tomberaient dans les bras l'un de l'autre en pleurant. Mais revenir où ? Leur maison avait été entièrement rasée par les bombardements – comme toute cette bonne ville de Dresde, rayée de la carte –, en dehors des deux livres il ne restait plus rien de leur passé, de la vie de leur famille, plus un meuble, plus une photo, plus un bijou, juste des souvenirs, quelques souvenirs. Les deux livres étaient les seuls objets rescapés du cataclysme, Aloys Loss avait tout fait pour les sauvegarder – elle les avait même tenus serrés contre elle, dans la cave, un soir de bombardement, se donnant l'absurde défi de les protéger pour que son mari revienne vivant.

 

 

VF

 

 

 

1952-1991 Augusta Fichot

 

 

Le 20 février 1952, au milieu de l'après-midi, Augusta Fichot entendit teinter la cloche de la porte d'entrée. Après la guerre elle avait réintégré le manoir, miraculeusement passé au travers des bombardements d'avril 1944, et restitué à la famille par les autorités.

Augusta alla ouvrir.

Une femme inconnue d'à peu près son âge – une cinquantaine d'années – se tenait là, manifestement gênée, ou timide ; elle prit sur elle pour parler et s'adressa à Augusta avec un fort accent allemand. Aussitôt Augusta se braqua, elle avait juré ne plus avoir aucun rapport avec ces gens.

 

― Bonjour madame, je suis bien chez monsieur Fichot ?

― Qu'est-ce que vous voulez ?

― Eh bien, je... est-ce que je pourrais le voir ?

― Monsieur Fichot est mort.

― Oh pardonnez-moi, je suis désolée.

― Qu'est-ce que vous voulez ?

― Je... j'ai là avec moi des livres qui vous appartiennent... Je voudrais vous les rendre. Je m'appelle Aloyse Loss.

 

Tout en parlant elle avait sorti de son sac les deux livres emportés par son mari au moment de son départ. Augusta reconnut la reliure du Vindiciae, et fut aussitôt gagnée par l'émotion, elle avait fouillé et refouillé cent fois la bibliothèque à la recherche de ce livre chéri par son Apollinaire. Elle fit entrer l'Allemande, la fit asseoir dans le salon, alla préparer du café. Le temps de se calmer. Elle revint avec un plateau chargé, emplit les tasses, s'assit face à la visiteuse et lui demanda en la fixant dans les yeux :

 

― Vous êtes venue d'Allemagne exprès pour me rendre ces livres ?

― Oui.

― Je ne vous crois pas. Il y a autre chose.

― Pourtant c'est vrai.

― Je ne vous crois pas, on ne fait pas autant de kilomètres pour deux livres.

― Vous avez ma parole. Ces livres, je ne voulais pas les garder, ils ne sont pas à moi, c'est mon mari qui les a emmenés, il a dû les prendre ici. Je devais le faire, c'est tout.

― Comment m'avez-vous trouvé ?

― Il y a votre nom dans les livres, et la ville aussi, je suis venue à Dijon et j'ai cherché dans l'annuaire. Il y a deux Fichot, vous êtes la première que je visite. J'ai eu de la chance.

― L'autre c'est le frère de mon mari, il ne vous aurait pas laissé entrer. Et comment se fait-il que vous parliez aussi bien le français ?

― Je... j'étais professeur de français avant la guerre.

― Je vois. Vous aviez tout prévu, c'est ça ?

― Non, je vous en prie, j'aime votre langue, je... ne suis pas seule responsable de cette guerre... mon mari est mort aussi, enfin, il doit être mort.

 

Augusta sentit que la femme ne mentait pas, elle en était persuadée, et ce qu'elle faisait là en revenant rendre les livres était un acte courageux, elle dut le reconnaître.

Elle le reconnut.

Et, le reconnaissant, ses barrières s'abaissèrent. Sa haine contre un peuple entier s'effritait au seul contact avec un de ses membres. Elle s'en voulut de cela mais c'était ainsi, au delà de sa volonté : elle n'arrivait pas à détester cette femme. L'allemande avait beau être allemande, elle était surtout généreuse.

 

Un long silence s'installa au bout duquel Augusta murmura :

 

― Je ne devrais peut-être pas mais je vous crois. Et je vous remercie. Ce livre relié était un des préférés de mon mari, je vous suis reconnaissante.

― Dans ce cas prenez-les, tenez, ils sont à vous.

 

Augusta prit les livres, les ouvrit, les feuilleta, les tourna en tous sens, très émue, et releva la tête en souriant. Elle rendit le Goethe à sa visiteuse :

 

― Celui-ci je vous l'offre, vous aurez un souvenir de votre mari.

― Je vous remercie, ce sera la seule chose qui me reste de lui. Maintenant je vais vous laisser, je ne veux pas vous prendre davantage de temps.

― Non, attendez, ce soir vous êtes mon invitée, vous dormirez ici et vous repartirez demain.

 

Aloys Loss resta au manoir une semaine entière. Au bout de cette semaine les deux femmes, identiques dans leur souffrance, étaient devenues inséparables. Au moment de son départ Augusta fit promettre à Aloys de revenir. Aloys revint l'année suivante, et encore l'année d'après, puis ce fut Augusta qui alla en Allemagne, puis elles alternèrent la France et l'Allemagne pendant des années jusqu'à ce que leurs forces déclinantes ne leur autorisent plus le voyage.

 

A quatre vingts ans passés, alors que durant toutes leurs rencontres elles n'avaient jamais versé une larme, elles pleurèrent en même temps en voyant, chacune devant son écran de télévision, Helmut Kohl et François Mitterrand main dans la main à Douaumont.

 

Jusqu'à la mort d'Augusta, en 1991, le Vindiciae trôna seul sur la grande cheminée du salon et bénéficia chaque jour d'un regard, d'une caresse, d'une pensée particulière ; il fut pendant toutes ces années le lien matériel avec son mari, l'objet par lequel elle évoquait chaque jour sa mémoire et son souvenir. Chaque jour aussi elle remercia intérieurement Aloys Loss de le lui avoir ramené.

 

 

Depuis 1991 : Possesseur inconnu

 

Augusta mourut sans héritiers et sans avoir eu le temps d'envoyer le livre à Aloys. Ce furent ses deux neveux qui héritèrent de ses biens. Mais les neveux vivaient loin et avaient construit leur vie, ils vendirent la maison et firent expertiser la bibliothèque.

C'est ainsi que, au milieu de ses congénères précieux le Vindiciae se retrouva mis aux enchères à Paris, à l'hôtel Drouot, lors d'une vente consacrée aux livres anciens.

Deux personnes se disputèrent âprement le Vindiciae : une jeune femme blonde d'une trentaine d'années, en communication téléphonique permanente durant les enchères, et un homme d'une cinquantaine d'année au regard halluciné. Après quelques minutes ils furent seuls à surenchérir l'un après l'autre. Manifestement l'homme ne s'attendait pas à une telle résistance, il avait l'air agacé mais il semblait vouloir le livre par dessus tout. Les enchères grimpèrent à coups de 5000 francs et ressemblèrent rapidement à une lutte acharnée ; l'homme lançait des regards assassins à la jeune femme, mais elle faisait semblant de ne rien voir, continuant à prendre des ordres au téléphone ; la tension était extrême entre eux et, chose rare, la salle faisait un silence complet, comme si se jouait là sous ses yeux un drame shakespearien.

Finalement, c'est l'homme au regard halluciné qui emporta l'enchère pour la somme de 165 000 francs, soit environ 25000 euros, une somme considérable pour un ouvrage du 16e.

La jeune femme se leva et quitta la salle sans un regard en arrière.

A la fin de la vente, au moment où il se levait pour aller payer et prendre possession de son livre, le nouveau propriétaire du Vindiciae s'écroula dans l'allée centrale. La salle fit «  oh » et les commissaires se précipitèrent pour lui porter assistance ; l'un d'eux s'exclama « il est mort » ; la salle cria, il y eut un remue-ménage, chacun voulut regagner la sortie au plus vite, un début de panique s'installa. Pendant ce temps la jeune femme blonde avait fait le tour du bâtiment par l'arrière, était entrée dans la salle d'exposition des objets en vente, avait découpé la vitrine où se trouvait le Vindiciae, l'avait dérobé, et était ressortie par la même porte. L'opération lui avait pris moins d'une minute.

C'est ainsi que, l'espace de quelques jours le Vindiciae devint la vedette des médias.

Le lendemain de la vente, Libération titrait, faisant allusion au contenu du livre : « Un meurtre pas très catholique ». Sous le titre figurait un portrait pleine page de la jeune femme blonde. Car elle avait opéré devant toutes les caméras de surveillance de Drouot. L'enquêteur dépêché sur les lieux découvrit une minuscule pointe d'acier fichée dans la nuque du mort ; il en déduisit aussitôt que la blonde filmée avait un complice dans la salle qui lui, (ou elle) était le véritable assassin. Cela ne le conduisit pas bien loin car, malgré toutes les photos diffusées à la télévision et dans la presse, on ne retrouva pas la jeune femme.

La victime se nommait Valentin Capendeguy et n'était pas connu des services de police ; on ne trouva aucun livre chez lui.

 

Ce que l'on cherche toujours, deux décennies après ce spectaculaire incident, c'est ce qui, dans le Vindiciae, a pu justifier un meurtre.

 

Les esprits les plus imaginatifs y voient un des avatars de l'après-guerre froide : d'après eux le Vindiciae aurait servi de système de codage d'une liste de taupes soviétiques implantées dans les pays de l'ouest et plus particulièrement en Grande-Bretagne, une sorte de liste noire de tous les agents étrangers. La rareté du livre le rendait difficile à trouver, et rendait par là même cette fameuse liste impossible à décoder.

D'autres, les mystiques, étaient persuadés que le livre contenait la clé du mystère de la vie et de son sens. Un sage bien au dessus du commun des mortels aurait caché dans les pages du Vindiciae la lumière de notre devenir. Des gourous de toute nature vinrent s'épancher à la télévision sur la perte que représentait ce livre pour le bonheur de l'humanité.

D'autre enfin étaient persuadés que ce livre correctement lu aurait définitivement anéanti la religion catholique, qu'il contenait, caché dans ses lignes la raison fondamentale pour laquelle le pape devait être destitué et la hiérarchie catholique remplacée par une église juste.

 

 

 

***

 

 

En réalité, rien de tout cela n'a de sens.

Il existe depuis 1979 une réédition du Vindiciae publiée par les éditions Droz à Genève. De nombreuses bibliothèques publiques possèdent ce livre et on peut encore aujourd'hui se le procurer facilement. Le mystère ne tient donc pas au texte lui-même, pas plus qu'à sa rareté.

 

Il doit y avoir autre chose.

 

 

danger

 

 


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10 septembre 2011 6 10 /09 /septembre /2011 16:45

 

 

ROMANS INACHEVÉS (VI)

 

 

L'allemande sur la route. Juan-Carlos Alquiler (Chili)

 

Genre : Amertume sur le bitume.

 

Synopsis : Un garagiste de Pueblo Hundido, parti en dépannage, prend en stop une jeune allemande. Le jeune homme tombe aussitôt amoureux de la blonde beauté nordique. Il va tout quitter pour elle sans se rendre compte qu'il est manipulé et que la jeune allemande n'éprouve pour lui que du mépris, son seul objectif étant de se faire véhiculer gratuitement à travers le pays.

 

Première phrase : C'était pourtant un coup de fil ordinaire, un type en panne à quinze kilomètres – la routine, toutes les bagnoles du coin sont pourries.

 

Motif de l'interruption : L'auteur a soudain pris conscience de l'instabilité de la condition d'écrivain par rapport à celle de garagiste.

 

 

 

Un petit pois dans un ascenseur. Raymond Pagnol (France)

 

Genre : autobiographie complaisante de l'arrière-petit neveu du grand Marcel.

 

Synopsis : les souvenirs d'enfance de l'auteur, à l'école communale, dans les années cinquante, mêlés à une réflexion sur le temps qui passe et sur notre misérable condition de mortel.

 

Première phrase : Qu'est-ce qui est rond et vert, qui monte et qui descend ?

 

Motif de l'interruption : Raymond Pagnol voyait déjà chaque nuit avant de s'endormir les gros titres de La Provence : « Sur les traces de son grand-oncle » ou « Pagnol plus vivant que jamais » ou encore « Le génie héréditaire ». Hélas, son livre à peine commencé, les journalistes contactés restèrent à son égard d'une indifférence absolue, l'un d'entre eux exigeant même de lui qu'il « cesse son harcèlement téléphonique » affirmant que « son projet de barge n'intéressait personne ».

 


La fiancée des magazines. Kamila Chodkowski (Pologne)

 

Genre : roman pour jeunes femmes à la mode.

 

Synopsis : Après avoir chassé partout ses représentations de papier, un homme se met en tête de séduire et d'épouser le mannequin le plus en vue (et le plus riche) du moment.

 

Première phrase : Et allez, des sous-vêtements cette fois, partout son corps exposé, sur tous les abribus de la ville – quand nous serons ensemble je ne le tolérerai plus.

 

Motif de l'interruption : L'auteure est elle-même devenue mannequin.

 

 

 

Une mémoire italienne. Sandro Veneziano (italie)

 

Genre : Uchronie

 

Synopsis : Au sein de la bourgeoisie italienne des années vingt, les plus grands parmi les plus grands, triés sur le volet, sont réunis en conclave secret sur les bords du lac majeur dans une demeure isolée en surplomb au dessus du lac. Mais pourfendre le « minuscule agitateur » comme ils appellent Mussolini, ne leur suffit plus, certains sont prêts à passer à l'action, quitte à pactiser pour cela avec l'ennemi héréditaire de gauche. Les joutes oratoires et les affrontements foisonnent, les plus nombreux préférant appuyer le fascisme plutôt que d'ouvrir les vannes au stalinisme alors triomphant. Le conclave décide toutefois à une courte majorité de faire assassiner le Duce. La réussite de l'entreprise, le 12 novembre 1932 va déclencher une vague de persécutions féroces comme jamais le pays n'en avait connu, y compris au sein de la grande bourgeoisie, et plonger le pays dans le chaos.

 

Première phrase : Il y avait là dans la cour du Castello, plus de Bugatti que Rome tout entière devait en compter.

 

Motif de l'interruption : L'auteur ayant entrepris son œuvre pour dénoncer les dérives du fascisme en arrivait au bout du compte à justifier malgré lui la politique mussolinienne. Destruction du manuscrit.

 

 

 

 

rouille 2

 

 

 


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31 août 2011 3 31 /08 /août /2011 07:41

 

JEAN-LUC LEHAUFROY, LE GRAND PRESSIGNY, FRANCE, REGION CENTRE, 28 

OCTOBRE 2010

 

Au fond tu vois, c’est bien pratique que tu ne comprennes rien à ce que je dis, je peux dire n’importe quoi sans te vexer ou sans t’ennuyer, enfin sans t’ennuyer je ne sais pas, faut me le dire hein, je suis bien content d’être là, oui, bien content… Tu sais ce que ça fait de partir comme ça ? Tout lâcher ? Je ne m’en serais pas cru capable. Eh bein je l’ai fait. Va savoir ce qu’elle va penser l’autre, maintenant, va savoir ce qu’elle va imaginer, mais l’autre, ce qu’elle pense maintenant ça me passe à des milliers de kilomètres au dessus. Je n’ai plus de femme, je n’ai plus d’enfant, je n’ai plus de travail, je n’ai plus de maison, je n’ai pas un sou mais je suis bien. Je n’ai jamais été aussi bien. Je suis dans un camion, je ne sais même pas où il va, mais je suis bien. Allez roule, mon petit polonais, roule, le plus loin possible. Epicier. Tu te rends compte ? Oh, tu te rends compte ? Elle avait réussi à me transformer en épicier. À moi. Epicier de village, en plus. Moi qui écoutais les Clash quand j’étais jeune, elle avait réussi à me transformer en épicier ! Et à m’enfoncer jusqu’au cou dans cette vie de merde où il fallait faire des courbettes à de vieilles cathos recuites dans leur jus de cire d’église, ou à des folles qui te tiennent la jambe pendant des heures avec leurs problèmes d'arthrose et de cousine au stade terminal. Toute la journée j'entendais parler de maladies, on dirait que les gens n'ont que ça en tête, leur maladie... et la pensée que ça peut intéresser les autres... Et tout ça pour quoi ? Leur vendre trente centimes de carottes, trois carambars ou une pomme – pour moi seule vous comprenez ce sera bien suffisant. Et se taper en plus toute la bouffe périmée. C’est ça le quotidien d’un épicier de campagne, la bouffe périmée tous les jours à table pour pas la jeter. Je hais le jambon cuit. Je hais le jambon cuit et l’épicerie de campagne réunis. Levé à cinq heures et demie, couché à neuf heures après la caisse. Tu parles d'une vie. 

Quatorze heures de boulot par jour, ça te dit quelque chose ? Ouais bien sûr que ça te dit quelque chose à toi, y’a combien de temps que t’as pas dormi dans un lit ? Dix-sept ans que je la traînais, l’autre. C’était pas une femme c’était une prison à elle seule. Un trou noir. Un abîme de négativité. Elle absorbait tout l’énergie positive qui passait à moins de dix mètres d’elle et te la recrachait sous forme de hargne, de bile, de mauvaise humeur, ou alors elle te servait une soupe de concepts fumeux à base de mérite, de rectitude morale, et d’attachement indéfectible et éternel. Un vampire tu vois mon petit polonais, un vampire. Et moi j’étais attaché à ce vampire comme une balle de jokari à sa boîte, tu comprends ? Non, manifestement il comprend pas mais c'est pas grave, c’est fini maintenant, maintenant je trace la route.

La Pologne ?

Banco pour la Pologne.

 

 

tour eiffel 3

 

 

 

 

 

 

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24 août 2011 3 24 /08 /août /2011 20:33

 

MACHINES RESTÉES AU STADE DE PROTOTYPE (III)

 

MACHINE À LACER LES CHAUSSURES, GEORGIA ONMYMIND, XXe SIÈCLE

 

- Musée de la chaussure, Heber Springs, Arkansas, Etats-Unis.

 

L' Américaine Georgia Onmymind travailla la moitié de sa vie à la mise au point de cette machine considérée par elle comme un robot devant apporter le bien-être au genre humain. Georgia Onmymind souffrait en effet d'une déformation de la colonne vertébrale lui interdisant de se pencher en avant, et donc, par voie de conséquence, de nouer les lacets de ses chaussures. Lorsque, vers la fin des années cinquante du vingtième siècle sa machine fut enfin prête, elle convoqua la presse pour la présenter aux yeux du monde. Certes, la machine occupait encore vingt-trois mètres cubes de volume, mais ce n'était là qu'un détail qui se réglerait rapidement, une « simple question de miniaturisation », comme elle disait elle-même. Georgia Onmymind ne dévoila rien du mécanisme complexe de la machine, le laissa dissimulé derrière des pans de tissus, elle ne souhaitait pas que quelque industriel put la copier avant qu'elle ne détienne les brevets nécessaires à sa commercialisation ; les journalistes et le cameraman présents ne purent donc voir qu'une petite boîte posée sur le sol, sorte de pédiluve sans eau, dans laquelle il convenait de placer à l'intérieur d'une forme de fonte son pied gauche pour nouer le lacet de la chaussure gauche, puis son pied droit pour nouer le lacet de sa chaussure droite.

On ne sut ce qui se produisit exactement mais lorsque Georgia Onmymind plaça son pied gauche dans la machine, il y eut un bruit mat et la forme de fonte se referma sur la chaussure de notre héroïne, lui broyant le pied dans d'horribles craquements jusqu'à ce qu'un journaliste eut la présence d'esprit de couper l'arrivée d'électricité de la machine. Les premières paroles de Georgia, à son réveil sur son lit d'hôpital, furent : « simple question de réglage, faut que j'y retourne ».

Mais de fait, quelques mois plus tard, découragée par l'arrivée sur le marché des chaussures fermées par du Velcro®, elle renonça définitivement à son grand œuvre.

 

 

tuyaux noirs

 

 

 


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