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3 avril 2015 5 03 /04 /avril /2015 15:27

 

INTERVIEW DE MME B. EN VUE D'UNE ENQUÊTE SUR LES PRATIQUES SEXUELLES DES FRANÇAIS - 28 MARS 2015, LABORATOIRE DE SCIENCES SOCIALES APPLIQUÉES, UNIVERSITÉ DE LYON.

 

 

 

Voix off : Madame B ? C'est à vous, commencez.


Madame B. : Hum… J’avais 16 ans… J’avais seize ans et ça ne s'est pas bien passé.


Voix off : Commencez avant, s’il vous plaît.


Madame B. : Avant c’était pire... Comme toutes les filles, à 13 ans j'étais amoureuse d'un prof… Sinon rien. A cet âge, les filles sont tout entières tendues vers un seul objectif : découvrir l'homme, perdre leur virginité. Ce n'était pas mon cas, moi ce qui me dominait c'était la peur.


(Temps)


Voix off : Poursuivez.


Madame B. : J'avais peur d'avoir mal. La peur d'une souffrance inimaginable et que je ne pouvais comparer à rien de ce que j'avais déjà vécu. Cette obsession a étouffé ma vie pendant trois ans, ça me perturbait dans mes études, je percevais les garçons comme des tortionnaires en puissance, je ne pensais qu'à ça, j'en rêvais la nuit, des rêves de tourmente, des poursuites dans des couloirs obscurs, des choses comme ça qui me réveillaient et me laissaient épuisée, au matin. Alors je cherchais à me rapprocher des plus grandes pour en savoir davantage. Savoir, surtout la tolérance à la douleur. Mais les plus grandes m’ignoraient, se moquaient de mes questions. Je voyais le sexe des hommes comme un instrument capable de m’ouvrir en deux à partir de mon propre sexe, ce n'était pas rationnel, bien entendu, mais c’était ça mon problème, la distorsion que je mettais dans l’interprétation de ces actes fantasmés… Parce qu’il y avait une autre part de moi-même qui me disait que si tel était le cas, si les hommes étaient capables d’une si grande barbarie, il n'y aurait plus de femmes depuis longtemps, il n'y aurait plus d'humanité tout court, et que le but de cet instrument était justement la reproduction et non la destruction. Mais à quinze ans on n'est pas assez mûre pour se laisser convaincre par la raison, il arrive que les fantasmes l'emportent, surtout les fantasmes devant l'inconnu. Alors la peur, je l'ai gardée en moi de treize ans à seize ans…

(Temps)

Et puis il y a les regards des hommes déjà, des vrais hommes… Nous on est encore des enfants, seulement nos seins ont poussé et le regard des hommes sur nous n’est plus le même, ils nous regardent passer, nous suivent des yeux, nous détaillent… On se sent devenir différente, on ne sait pas exactement pourquoi, tout cela est diffus mais on se sent devenir différente… Certains… certains hommes osent venir vers nous, nous parler, alors on est flattée bien sûr, on se croit importante aux yeux des autres, mais moi, tout cela n’a fait qu’augmenter ma peur… Elle m'a habitée, totalement investi. C'est elle qui m'a décidé surtout, la peur. Je devais accéder à la connaissance pour mettre fin à cette peur irrationnelle, ne plus la laisser me dicter mon comportement. Souffrance ou pas il fallait y passer, toutes les femmes étaient passées par là, je devais aussi y passer. Voilà, c'est ça qui m'a poussé, la peur et le désir d’en finir, plus que l'envie, plus que quoi que ce soit d'autre.


(Temps)


Voix off : Pourquoi n’avez-vous pas parlé de cette peur à votre mère ?


Madame B. : Je ne souhaite pas répondre à cette question.


Voix off : Vous avez accepté de votre plein gré de répondre à toutesnos questions


Madame B. : J’ai accepté de répondre aux questions sur mavie, pas sur celle de ma mère.


Voix off : Vous êtes payée.


Madame B. : Je ne peux pas.


Voix off : Dans ce cas notre entretien est terminé. Au revoir.


(Long temps)


Madame B. : Ma mère… disons que ma mère n’aurait pas compris.


Voix off : C’est une façon détournée de ne pas répondre.


Madame B.  (en colère) : Ma mère était ignorante des choses du sexe. J’avais six ans quand mon père est parti et depuis je n’ai plus jamais vu ma mère avec un homme. Elle n’a fait l’amour que quelques fois dans sa vie, elle doit pouvoir les compter sur les doigts de la main, ce sont des choses que l’on comprend déjà de façon intuitive à seize ans, ça vous va cette fois ?


Voix off : Ça me va, merci. Reprenez votre récit, s’il vous plaît.


Madame B. : Je ne sais plus où j’en étais.


Voix off : Au moment où vous avez décidé de passer à l’acte.

 

Madame B. : Comme je vous l'ai dit ça ne s'est pas bien passé. Aujourd'hui, des informations sur ce sujet, il y en a partout. A l'époque c'était une vraie découverte, un plongeon dans l'inconnu. (Temps)


Voix off : Pours…


Madame B. : Laissez-moi un peu de temps s'il vous plaît, ne me pressez pas, je ne suis pas une machine, il y a des mots difficiles à dire.


Voix off : Contentez-vous de décrire ce qui s’est passé.


Madame B. : Le garçon avait dix-sept ans, c'était la première fois pour lui aussi. Il s’acharnait à vouloir coucher avec moi depuis des semaines. Jusque là je l’avais laissé m’embrasser et me caresser, mais tous les soirs après le lycée on rentrait ensemble, il habitait près de chez moi, et tous les soirs on passait devant un hôtel.


Voix off : Quel genre d’hôtel ?


Madame B. : Un hôtel normal.


Voix off : Qu’entendez-vous par normal ?


Madame B. : Normal. Sur une avenue. Pas un lieu de prostitution, si c’est ce que vous voulez savoir.


Voix off : D’accord. Poursuivez.


Madame B. : Tous les soirs il s’arrêtait devant l’hôtel et essayait de me convaincre d’y entrer avec lui. Tous les soirs c’était long et pénible, parce que je sentais que je n’avais pas grand-chose à lui opposer, c’est lui qui avait raison, nous étions à l’âge où il fallait le faire. Tous les soirs, cette étape de l’hôtel m’était une épreuve. A bout d’arguments, il allait parfois jusqu’à tirer sur mes vêtements pour m’entraîner.

Un soir j’ai vu un homme nous regarder. Il nous regardait avec insistance depuis le trottoir d’en face. J’ai été certaine qu’il avait compris la situation en quelques secondes ; je me suis enfuie en courant.


Voix off : Quels étaient les arguments de votre ami ?


Madame B. : Je ne me souviens pas très bien… il disait qu’il m’aimait et qu’il me voulait…


Voix off : Est-ce qu’il vous aimait ?


Madame B. : Il me voulait. A dix-sept ans les garçons ont une bite à la place du cerveau. Le reste c’est de l’enrobage.


Voix off : Ne pensez-vous pas que certains peuvent être sincères ?


Madame B. : Non. (Temps) Et puis un soir j’ai fini par céder. Sur une impulsion. Je ne m’étais même pas préparée. Quand nous sommes arrivés devant l’hôtel c’est moi qui l’ai pris par la main et l’ai tiré en avant.


Voix off : Pourquoi ce soir-là particulièrement ?


Madame B. : Je ne sais pas, je vous ai dit que cela avait été une impulsion.


Voix off : Est-ce qu’il s’était passé quelque chose dans la journée ?


Madame B. : Rien dont je me souvienne.


Voix off : Comment étiez-vous habillée ?


Madame B. : En vêtements de sport, la mode était aux vêtements de sport.


Voix off : Et l’hôtelier a accepté de louer une chambre à des mineurs ?


Madame B. : Oui. Je n’ai pas les détails, mais oui, nous avons pu accéder à une chambre de l’hôtel. 


Voix off : Continuez.


Madame B. : Eh bien, ça ne s’est pas passé du tout comme je le pensais, il n’y a pas eu de déshabillage romantique ni de coucher de soleil sur la mer ni de musique sirupeuse. Je me suis déshabillée à toute allure et je me suis glissée sous les draps.


Voix off : Pourquoi ?

 

Madame B. : On voit bien que vous êtes un homme. Pourquoi, pourquoi… la peur, toujours, l’angoisse, et un reste de pudeur, aussi.


Voix off : Et votre ami ?


Madame B. : Oh on ne peut pas dire qu’il était bien plus brillant que moi, mais il dissimulait, il savait dissimuler.


Voix off : Comment le savez-vous ?


Madame B. : Il me l’a avoué, par la suite.


Voix off : Vous l’avez revu souvent ?


Madame B. : Oui mais pas pour les mêmes raisons. D’ailleurs, il est toujours un ami.


Voix off : Bien. Revenez au récit, s’il vous plaît.


Madame B. : Il s’est déshabillé et est entré dans le lit. Il m’a prise dans ses bras. Il voulait jouer les affranchis, mais dès que son sexe a été en contact avec ma peau il a déchargé sur mes cuisses avant même d’entrer en moi.

(Temps)

J'ai trouvé ça répugnant. Tout de suite. D'instinct. Ce liquide chaud et poisseux m'a tout de suite dégoûté. Son odeur aussi. Depuis je n'ai pas changé d'avis. Toute la raison du monde, tout l'amour que j'ai pu porter à certains hommes n'ont rien changé à cela. Ce… ce liquide me dégoûte.

(Temps)

Je suis allée me nettoyer tout de suite et bien sûr monsieur a été vexé, il voulait s’en aller immédiatement, j’ai dû user de toutes mes ressources pour le retenir.


Voix off : Qu’entendez-vous par là ?


Madame B. : Que j’étais venue pour perdre ma virginité et que je ne voulais pas repartir avec.


Voix off : Non, qu’entendez-vous par « user de toutes mes ressources » ?


Madame B. : Vous êtes borné ou quoi ? Vous ne savez pas ce qu’est une femme ?


Voix off : J’aimerais savoir ce que vous entendez par « user de toutes mes ressources ».


Madame B. (soupir d’impatience) : Je lui ai fait du charme, puis du chantage, puis des attouchements et quand il a retrouvé sa vigueur, bien sûr il n’a plus été question de partir.


Voix off : Quel genre d’attouchements ?


Madame B. : Vous voulez un dessin ?


Voix off : Que s’est-il passé ensuite ?


Madame B. : Ensuite… eh bien c’est là que les choses ont commencé à se gâter. Il devait… Je ne sais pas… Sur le moment j’ai cru qu’il avait perdu la raison, ou qu’il y avait chez lui des fantasmes de viol, de possession brutale, parce qu’alors, il m’a littéralement sauté dessus.


Voix off : Pourquoi dites-vous « sur le moment » ?


Madame B. : Parce qu’ensuite j’ai changé d’avis. Quand j’ai connu d’autres hommes, je me suis rendu compte qu’ils avaient tous le même comportement. A un moment ou à un autre ils pensent la violence dans l’acte, ils vivent l’acte comme une lutte pour l’affirmation de soi plus que pour le plaisir.


Voix off : Pour vous il y a donc chez les hommes un lien entre sexe et violence ?


Madame B. : Oui.


Voix off : Tous les hommes sans exception ?


Madame B. : Oui.


Voix off : Mais vous n’avez pas eu de rapports sexuels avec tous les hommes, n’est-ce pas ?


Madame B. (en riant) : Pas besoin de les essayer tous, c’est comme un sondage, vous devez savoir ça, vous, à partir d’un échantillon suffisamment pertinent on peut établir une vérité globale.


Voix off : Admettons. Reprenez.


Madame B. : Je n’aime pas la façon dont vous dites « admettons ». Je ne suis pas un chien que vous pouvez renvoyer à son panier.


Voix off : Mes excuses.


Madame B. : Acceptées, mais ne recommencez pas.


Voix off : Voulez-vous reprendre s’il vous plaît ?


Madame B. : Il n’y a plus grand-chose à dire. Il a viré au rouge cramoisi et m’a sauté dessus ; il a écarté mes jambes de ses genoux, m’a pénétré d’un coup, a fait deux trois allers-retours avant de jouir à nouveau. Point final. Sauf que là, sa jouissance en moi, je l’ai reçue comme une humiliation. (Temps)


Voix off : Pourquoi ?


Madame B. : Je ne sais pas… j’avais l’impression qu’il avait déposé son truc en moi et que du coup je devenais sa chose…


Voix off : Avez-vous souffert ?


Madame B. : Je n’ai rien senti. Au point que j'ai cru qu'il ne s'était rien passé, que j'étais toujours vierge… C'est-à-dire que sur le moment je me suis dit que cela ne pouvait pas être ça… N’être queça, si je me fais comprendre.


Voix off : Parfaitement


Madame B. : Je… Le plaisir je l’ai découvert plus tard… Mais je persiste à penser, aujourd’hui encore, que les choses sont mal faites, mal organisées.


Voix off : Organisées ?


Madame B. : Oui, enfin non… disons que tout le monde ferme les yeux sur ce passage, alors que c’est un des plus importants … Peut-être si on le prenait en compte, les gens seraient moins malheureux, ensuite, dans leur vie… Il faudrait l’organiser, ce passage, le débarrasser du fatras et de la stupidité du romantisme, le considérer autrement… (Temps)


Voix off : Pouvez-vous développer cette idée ?


Madame B. : Eh bien il faudrait le considérer en tant que tel, pour lui-même, sans affect… Un acte clinique, presque… Les… les jeunes filles devraient perdre leur virginité avec des hommes aguerris, des hommes attentionnés qui prendraient soin d’elles.


Voix off : Vous avez dit tout à l’heure que tous les hommes…


Madame B. : Oui mais certains sont capables de faire des efforts, je le reconnais.


Voix off : Vous savez que votre idée tombe sous le coup de la loi ?


Madame B. : La loi n’a rien à voir là-dedans, et vous le savez. Laissons-là de côté pour le moment, les gens qui font la loi pensent en fonction de l’intérêt général et moi je ne parle que du particulier.


Voix off : Et les jeunes garçons ?


Madame B. : C’est la même chose… Je ne pense pas avoir appris quoi que ce soit à mon ami, ce jour-là, il est reparti avec ses idées reçues et sa méconnaissance des femmes…


Voix off : Je comprends mal, vous m’avez dit au début de notre entretien que quand les hommes ont commencé à vous regarder cela vous faisait peur. Vous avez même dit les « vrais hommes », par opposition, je suppose aux garçons de votre âge.


Madame B. : Bien sûr, parce qu’on est dans l’ignorance de ce qui va se produire, et on vit ces avances comme des agressions… Ces hommes, on ne sait pas ce qu’ils ont dans la tête, ça fait une énorme différence…


Voix off : Pourriez-vous reprendre le fil de votre histoire. Vous avez dit également que vous aviez ensuite découvert le plaisir.


Madame B. : Enfin, ce n’est pas aussi simple. Entre cette première expérience à seize ans, et la deuxième, quatre ans se sont écoulés, quatre ans pendant lesquels je n’ai pas touché un homme. Je ne voulais plus en entendre parler, je savais ce qu’il en était, du moins je croyais le savoir, et cela ne m’intéressait pas… pendant ces quatre ans je me suis demandé où était ce plaisir dont les filles parlaient, parfois, et en quoi il consistait. Ma première expérience m’avait laissé une impression si négative que les garçons en venaient à me fuir tellement ma réputation me précédait…


Voix off : Pendant ces quatre années, avez-vous envisagé de vous tourner vers les femmes ?


(Temps)


Madame B. : Je ne comprends pas la question.


Voix off : Vous la comprenez.


(Long silence)


Voix off : Pourquoi ne répondez-vous pas ? Qu’est-ce qui vous gêne dans cette question ?


Madame B. : Je vais vous répondre. La question me gêne mais je vais vous répondre. Je l’ai fait. Je me suis tournée vers une femme. Mais sans aller jusqu’au bout

(Temps)

Je… je n’ai pas été tout à fait honnête, c’est ça qui me gêne. Je me suis laissée séduire, ça me plaisait ce jeu de séduction entre filles, voilà, c’était comme un jeu pour moi… de franchir des tabous aussi, des interdits, je me sentais plus forte en dehors de la norme.


Voix off : Ce sont des pratiques anormales, pour vous ?


Madame B. : A cette époque-là, oui, c’est ce que je pensais.


Voix off : Et aujourd’hui ?


Madame B. : Aujourd’hui je considère que chacun est libre de faire ce qu’il veut. Ou de ne pas faire. Cela ne regarde personne.


Voix off : C’est encore une façon détournée de ne pas répondre.


Madame B. : Là vous vous trompez, ce que j’ai dit est très clair. Il n’y a pas d’échelle de valeurs pour moi, je les ai gommées, je dis que l’amour entre les gens n’a rien à voir avec les pratiques sexuelles, non, ce n’est pas ce que je veux dire, je m’embrouille, je…


Voix off : Je crois que j’ai compris


Madame B. : Laissez-moi terminer, c’est important, vous n’avez peut-être rien compris.

(Temps)

Ce que je veux dire c’est que l’amour devrait pouvoir se porter indifféremment sur un homme ou sur une femme, et que les pratiques sexuelles devraient alors suivre de façon naturelle, mais de cela, avec deux conditionnels dans la même phrase, on est encore très loin, encore aujourd’hui.


Voix off : Qu’est-ce que vous mettez derrière ces conditionnels ?


Madame B. : Vous nous pensez si libres que ça ?


(Temps)


Voix off : Pourquoi n’êtes vous pas allée jusqu’au bout ?


Madame B. : Je ne sais pas…


Voix off : La peur, encore ?


Madame B. : Non, je ne pouvais pas ressentir la même peur face à une femme, il y avait… je crois qu’il y avait encore un verrou qui n’avait pas sauté, dans ma tête, je n’ai pas pu franchir la dernière étape…

Mais j’ai fait souffrir cette femme, et ça je le regrette, c’est un des grands regrets de ma vie.


Voix off : L’avez-vous revue par la suite ?


Madame B. : Non. Je n’ai pas osé… Et puis quand j’aurais pu, quand j’en aurais eu la force, j’avais perdu sa trace.


Voix off : Que s’est-il passé pour vous faire changer d’idée au sujet des hommes ?


Madame B. : Je n’ai pas changé d’idée, je suis tombé amoureuse.


Voix off : Et ?


Madame B. : Et quoi ? Allez donc dire à un homme de trente ans que vous êtes amoureuse de lui mais que le sexe ne vous intéresse pas… Alors après bien des détours je suis entrée dans son lit. Ne me demandez pas de détails je ne vous les donnerai pas, cela ne vous regarde pas, mais enfin, j’espère pour vous que vous savez de quoi je parle, un homme de trente ans, ce n’est pas un garçon de dix-sept… il sait y faire.


Voix off : Pas de violence cette fois ?


Madame B. : Je n’ai pas dit ça. J’ai dit que cet homme avait eu le souci de mon plaisir. Je n’ai pas évoqué son comportement… Et puis il y a plusieurs façons d’exprimer la violence, une façon primaire, animale, et une autre, plus raffinée, plus en rapport avec la situation.


Voix off : Expliquez vous.


Madame B. : Non.


Voix off : Considérez-vous que cette expérience vous a fait entrer dans la norme ?


Madame B. : Non, je continue à penser ce que je vous ai dit au début. Et aussi qu’il y a tellement d’hypocrisie dans les rapports amoureux que cela étouffe le sentiment amoureux.


(Temps)


Voix off : Voyez-vous quelque chose à ajouter ?


Madame B. : C’est terminé ?


Voix off :Tant que vous souhaitez parler, vous pouvez le faire.


Madame B. : Oui, je le souhaite. Je n’ai pas fini. Je suis heureuse de parler de tout ça avec un homme. Même si je ne vous vois pas. Pourquoi restez-vous caché ? Avez-vous peur de moi ?


Voix off : Je représente…


Madame B. : Je sais ce que vous représentez. Votre voix aurait tout aussi bien pu être celle d’une femme. Seulement vous êtes un homme… Hein ? Vous êtes un homme ?


Voix off : Voulez-vous parler de votre vie aujourd’hui ?


Madame B. : Et votre voix est sensuelle. Descendez.


Voix off : Non.


Madame B. : Vous êtes le seul homme au monde à avoir entendu ce que je pense vraiment des hommes, je vous considère comme suffisamment averti. Descendez.


Voix off : Non.


Madame B. : Descendez, je sens que je vous aime déjà.


Voix off : Je…


Madame B. : Il ne pourra pas y avoir de malentendu entre nous, ce sera magnifique, vous m’emmènerez dans votre voiture jusqu’au bord de la mer, on se jettera dans les vagues, nous ferons l’amour sur la plage, vous irez pêcher des mérous que nous ferons griller, nous dormirons sur le sable, nous referons l’amour plusieurs fois dans la nuit, et puis demain matin nous déciderons de vendre la voiture, de rester là, et nos enfants grandiront autour de nous avec le spectacle de notre bonheur sous les yeux… allez, descendez.


(Temps)


Voix off : Cela s’appelle un dérapage.


Madame B. : Mais non idiot, cela s’appelle la vie. La joie de vivre. La liberté. Allez, venez.


Voix off : Vous avez tout inventé ?


Madame B. : Vous ne me connaissez pas, je peux être une femme très sensible, je suis sûre que vous allez m’aimer, quel âge avez-vous ?


Voix off : C’est moi qui pose les questions.


Madame B. : Vous allez vivre la meilleure époque de votre vie, ça va être formidable.


Voix off : Avez-vous tout inventé ?


Madame B. : Mais si vous préférez la montagne, moi ça m’est égal… Vous ne répondez pas, vous préférez la montagne, j’en étais sûre, moi j’irais au milieu d’un désert avec vous, et je creuserai la terre pour couvrir votre corps d’or et de lumière, je ferai un domaine où l’amour…


Voix off : Je crois que nous allons mettre un terme à l’interview.


Madame B. : Qu’est-ce que ça pourrait vous faire que j’ai tout inventé ?


Voix off : Vous faussez mes statistiques.


Madame B. : Mais rien ne vous dit que j’ai menti.


Voix off : C’est exact.


Madame B. : Rien ne prouve non plus que j’ai dit la vérité.


Voix off : Toujours exact.


Madame B. : J’ai pu mentir, comme j’ai pu dire la vérité, j’ai pu aussi ne dire qu’une partie de la vérité et vous cacher l’essentiel, j’ai pu dire l’essentiel et oublier les détails, j’ai pu forcer le trait de certains détails pour masquer une réalité d’ensemble, j’ai pu considérer la réalité d’ensemble au regard de la situation générale des femmes, je continue ?


Voix off : Non.


Madame B. : Qu’est-ce qu’on fait alors ?


Voix off : Vous, vous ne faites rien, c’est nous qui décidons.


Madame B. : Voilà une méthode bien dirigiste, c’est ça qu’on vous enseigne dans les universités ?

(Temps)

Le problème voyez-vous, c’est que travailler sur du matériau humain… c’est bien comme ça que vous dites, hein ?... travailler sur du matériau humain, c’est comme avancer de nuit dans un marécage, à tout moment vous pouvez perdre pied ou vous faire bouffer par un crocodile, et c’est ce que vous êtes en train de faire, je veux dire de perdre pied.


Voix off : Vous êtes... vous êtes intelligente.


Madame B. : Je sais. (Temps) Allez, faites pas la gueule, vous pourrez toujours effacer cette partie de notre entretien… et si vous ne descendez pas, je ne signe pas en sortant.


Voix off :Je ne dois pas avoir de contact avec les sujets.


Madame B. : Les sujets ? Je suis un sujet ? Vous me considérez comme un rat de laboratoire, c’est ça ? Descendez que je vous pète la figure… Allez, descend, si t’es un homme !


Voix off : Très drôle.


 

Madame B. : Pardonnez-moi, je m’amuse… mais parler de ma vie d’aujourd’hui, ça n’est pas dans notre contrat, n’est-ce pas ?


Voix off : Non mais si vous voulez le faire vous le pouvez.


Madame B. : Que voulez-vous savoir ?


Voix off : Ce que vous voudrez me dire. Etes-vous heureuse ?


Madame B. : Heureuse ? Vous vous la posez, vous, cette question ? Si vous étiez là je vous aurais giflé… Pour de bon cette fois… J’ai la gifle facile ces temps-ci…

(Temps)

Si être heureux c’est ne pas être malheureux, alors oui, cela m’arrive…

Mais je vois des gens vraiment heureux, il y a chez eux, je veux dire, dans leur cuisine, dans leur appartement, dans l'atmosphère qu'ils peuplent, quelque chose qui fait que l’on n’a pas envie de repartir… on ne sent pas de tensions entre eux… c’est… c’est troublant mais c’est rare… assez rare pour être considéré comme des contre exemples parfaits, des exceptions…

Je ne m’y reconnais pas, moi, je reste au bord de ces vies, je regarde, je fais partie de la masse pour qui le bonheur existe mais en dehors de soi.

Comme un paradis inaccessible.


(Temps)


Voix off : Je vous remercie madame B.


Madame B. : Il n’y a pas de quoi.


Voix off : Pensez-vous avoir été sincère ?


Madame B. : Oui, je ne vous connais pas.


Voix off : Que pensez-vous de cet entretien ?


(Temps)


Madame B. : Vous servez un maître pervers et exigeant.


Voix off : Je n’ai pas de maître.


Madame B : Vous devriez changer de métier.


Voix off : Voyez-vous quelque chose à rajouter ?


Madame B. : Oui. Aujourd’hui quand j’entends dire que la nature est bien faite, je gifle.

 

 

 

 

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8 août 2014 5 08 /08 /août /2014 18:14

 

PENSEES DE JORDI CAPDEVI SUR LA ROUTE ENTRE SAN FELIU DE CODINES ET CALDES DE MONTBUI, CATALOGNE SUD – NUIT DU 2 AOUT 2014, 2h30

 

 

Route, platanes, bandes blanches, phares, confusion, assaut de présences, et des trucs stupides qui arrivent comme ça par vagues, conduire la nuit c'est comme caresser la peau d'une femme, si la taille des êtres humains était de trois mètres, le monde serait différent, il doit tuer des bêtes en roulant, une femme qui s'habille en lamé a des arrières-pensées, le monde est une merde oubliée dans un coin par la balayeuse municipale, un an aujourd'hui, Gwenaëlle est un prénom prometteur, volupté et souffrance sœurs jumelles comme l'amour et la haine, un enfant disait bonjour aux passants mais les passants ne répondaient pas ils regardaient l'enfant comme un être anormal. Personne d'autre. La route comme une cuisse de femme, et au milieu coule la rivière, les gens chez eux, alors que lui non, la route caressée par la voiture, lui ne bute pas sur une autre, il en voit tellement, des gens sans rien, mais rien, rien de rien, vraiment, des gens sans rien, des gens dont la présence se résume à buter contre l'autre, et qui ne font rien pour changer ça, tiens, ça le ferait presque sourire, tandis que la voiture baise la route. Conduire la nuit pour rien, la route se donne, la voiture va, il doit y avoir un point de friction entre la roue et la route mais il n'y connaît rien, ni à la chaleur dégagée, toute friction produit de l'énergie, croit-il savoir, c'est ça, toute friction entre deux corps produit de l'énergie, conduire une voiture la nuit c'est aller nulle part, ne pas rentrer, surtout pas pour rentrer, qu'irait-il faire, rentrant ? Toute friction etcetera. Toute friction, putain, c'est pas rien, les gens disent : se perdre, il rit, personne ne se perd, au mieux on se noie, mais se perdre non, faut pas déconner, t'as beau savoir que tu ne sais pas où tu vas, de là à se perdre, il y a la route quand même, avec ses poils follets qui dépassent sur le côté, et les platanes sur les bords, dont les frondaisons disparaissent dans le noir, dont les frondaisons, il doit bien le reconnaître, dont les frondaisons forment une vulve géante au dessus de sa tête et là-bas aussi, vers le lointain, droit devant, une vulve qui s'ouvre sur son passage, et que la voiture va pénétrant au fur et à mesure de son avancée, longue et ininterrompue pénétration, non mais quel con, de ces pensées, je te jure, de toute façon, ils vont bien s'arrêter à un moment, les platanes, manquerait plus qu'une petite pluie là dessus, une petite pluie humidificatrice, tiens s'il pleuvait là, il serait capable d'arrêter la voiture au milieu de la route et de sortir sous la pluie debout les bras en croix comme on voit dans les films, le mec heureux sous la pluie les bras en croix, ou une femme, les vêtements collés au corps, la pointe des seins sous le chemisier, on voit de ces trucs dans les films on se demande pourquoi les gens font ça, comme s'il y avait un lien, la route est une salope qui se donne à tout le monde, le monde entier peut baiser la route, mais lui s'il pleuvait oui, barbouillé de la mouille du ciel, la pluie ne sent pas la femme mais l'odeur de la terre mouillée a la même sauvagerie, la même puissance, est-ce qu'il est parti chercher un camion en face ? pas plus que ça non, l'idée le met mal à l'aise, allons, revenons à la route, voilà, debout sous la pluie, bien, ne pas dormir ne veut pas dire aller chercher un camion, il a des problèmes de trous c'est un fait, de sacrés problèmes de trous, ce n'est plus une vie c'est une entreprise permanente de comblement, des trous dans les mots, dans le passé, les gens, les prénoms, les dates, les âges, les visages, les années, les calendriers, les maisons, les jardins, les acteurs, les images, un truc comme ça n'arrive jamais, se dit-il, personne n'a ce genre de problème de trous, il ne pense pas normal, non plus, de voir la trouée des platanes à l'image d'une vulve géante et se demande soudain, se voyant entrer dans une légère crise de panique, se demande soudain où est la normalité. La sienne et celle des autres. La sienne vis à vis de celle des autres. Celles des autres. Les autres ont une normalité bien à eux non ? La normalité de la norme. L'anormalité normée. La normalité des autres n'existe pas, elle s'arrête aux portes des appartements.

Un an aujourd'hui.

Allez, demi-tour, reste tellement de trous à combler.

 

 

 

 

  serviette

 

 

 

 

 

 


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19 juillet 2014 6 19 /07 /juillet /2014 13:13

 

CONVERSATION A BORD DU TGV LYON-MARSEILLE, 25 JUIN 2014, VOITURE 6, PLACES 12-14, ENTRE GILBERT FRELAMPIER ET HUGUES SCHTRAUBEN.

 

 

 

— J'ai appris que tu avais acheté une tondeuse à gazon ?

J'ai fini par me décider.

C'est bien.

Oui, c'est bien, ça me fait gagner du temps.

Tu l'as payée cher ?

11980 euros.

J'étais sûr que tu trouverais à redire.

Mais je n'ai rien dit.

Ton silence est plus éloquent qu'un reproche.

C'est que...

Ah, tu vois !

11980 euros, c'est une somme, tout de même, pour une tondeuse.

Peut être, mais attention, auto-portée, la tondeuse.

Ah. Si elle est auto-portée, ça change tout. (Temps) Mais dis-moi, tu as acheté une tondeuse auto-portée à 11980 euros pour tes cinquante mètres carrés de pelouse ?

Oui.

Est-ce que ce ne serait pas légèrement disproportionné ?

Je ne suis pas du genre à faire les choses à moitié.

Je ne dirai pas le contraire, mais tout de même, entre rien et ça, il y avait des paliers je suppose, des tas de tondeuses intermédiaires tout autant intéressantes.

Faut être sûr du matériel, sinon pas la peine d'investir.

Et puis tu vas la ranger où ta tondeuse lorsque tu ne t'en serviras pas ?

Je vais construire un appentis dans le jardin. J'ai pensé à tout.

Tu veux dire que tu vas prendre sur la pelouse pour ranger la machine qui te sert à tondre la pelouse ?

C'est ça.

Et que donc ta pelouse va passer de cinquante à quarante mètres carrés ?

Trente sept avec les trois mètres de petite terrasse que j'aménage devant l'appentis. Ça fait plus chic. Mais faut bien la ranger, la tondeuse.

D'accord mais si tu n'as plus de pelouse, elle ne te sert à rien ta tondeuse.

Tout de suite tu exagères.

Tu n'as pas de regrets ?

Non.

Hugues, regarde-moi. Tu n'as pas de regrets ?

Enfin... Comment dire, je dois reconnaître que je n'ai pas encore bien cerné le côté pratique de la chose. Tu vas me dire qu'une tondeuse est une tondeuse, et que sa fonction première reste la tonte de l'herbe trop haut poussée, mais la mienne, certes elle tond mais tu vois, je n'arrive pas à tourner au bout du jardin, elle est trop grosse, on dirait un gros animal coincé dans un couloir, faut que je reparte en marche arrière, que je reprenne l'allée d'accès au garage et là je peux tourner et repartir faire la deuxième bande de tonte en parallèle à la première, ainsi de suite jusqu'à la troisième bande. C'est pour ça que je l'ai achetée avec marche arrière, il y a des tondeuses auto-portées qui n'ont pas de marche arrière, elles sont moins chères, mais sans marche arrière ça ne me servait à rien puisque je ne peux pas tourner. Au fond je me demande si je n'ai pas fait une bêtise en achetant cette tondeuse.

D'autant que tu aurais pu aussi continuer à faire ça au ciseau à tondre.

J'aurais pu mais non, c'est hors de question.

Pourquoi. (Temps) Au fond, pourquoi ne pas continuer comme avant ?

J'en fais un principe.

Ou au moins une petite tondeuse électrique.

Pfff ! Electrique ! Et puis quoi encore ?

Bein quoi, pourquoi pas ?

Les tondeuses électriques ne font pas partie de mon idiosyncrasie.

Si tu veux que je te dise, ton idiosyncrasie, elle n'est pas très réaliste.

Cette phrase ne veut rien dire.

Peut-être mais tu as compris ce que je veux dire, tu as parfaitement compris, alors s'il te plaît, hein. (Temps). Tssss.11980 euros.

C'était ça ou rien.

Et tu n'as pas envisagé une seconde le rien ?

Non, j'avoue. Les propositions contradictoires ne font pas non plus partie de mon idiosyncrasie.

Il n'y a pas grand chose qui en fait partie, on dirait.

Si, par exemple la compassion que j'éprouve pour les Matis d'Amazonie.

Pardon mais c'est un peu facile, c'est loin l'Amazonie, elle est confortable, ton idiosyncrasie.

Chacun s’accommode avec la sienne comme il peut.

Quand on pense à tout ce qu'on peut faire avec 11980 euros. Je veux dire autre que d'acheter une tondeuse auto-portée. (Temps) Tiens, pas exemple, se payer un hectare de terrain sur la lune.

Ou acheter huit heures de vol en hélicoptère.

Manger 5990 boîtes de cœurs de palmiers à 2 euros pièce.

Payer un tueur à gages.

Acheter un morceau de terrain pour prolonger ton jardin.

Non, là ça va poser un problème.

C'est une supposition.

Laisse, ça pose problème je te dis.

Une simple supposition.

— Va pas sur ce terrain-là.

D'accord, et à la limite, un hélicoptère, tu voles à l'envers, il te sert de tondeuse.

 


 

  meuleuse

 

 

  Pour accéder à l'intégralité des conversations ferroviaires, c'est  ICI

 

 

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2 février 2014 7 02 /02 /février /2014 21:11

 

NOSTALGIE DE LA GESTATION : DE L'ORIGINE ET DE LA NATURE DE L'INCOMPREHENSION ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES -  MANUSCRIT INTEGRAL D'ALBERT ADEUBERT TERMINÉ A MEAUX (FRANCE), LE 18 AOUT 2013.

 

 

 

 

des femmes

 

 

 

Les femmes demandent aux hommes de les comprendre, de révéler le côté féminin qui est en eux tout en exigeant – ou en rêvant secrètement à – l’affirmation de la virilité du mâle.

 

 

 

Les femmes parlent souvent entre elles. Les hommes pensent que lorsque les femmes parlent entre elles c’est pour dire du mal des hommes. Ce n’est pas toujours faux.

 

 

Il est des femmes qui ont envers les hommes des attitudes provocatrices – disent les hommes. Le font-elles toujours exprès, les femmes, de ne pas refermer ce bouton de chemisier qui laisse apercevoir la naissance des seins, de relever plus qu’il n’est besoin leur jupe pour sortir de la voiture, de croiser les jambes en s’asseyant de façon à ce que la fente latérale de leur jupe dévoile jusqu’à la lisière des bas, de faire la bise à un ami un peu trop près des lèvres, de soutenir un regard inconnu dans la rue, le font-elles toujours exprès ?

 

 

Les femmes se pensent naturellement plus intelligentes, pour compenser la praxis des hommes – la nature ne se trompe pas, affirment-elles.

 

 

Les femmes reprochent aux hommes de regarder les autres femmes, de les regarder trop, de toujours les regarder trop, les femmes sont les ennemies des femmes.

 

 

Quand un homme dit à une femme d’une autre femme qu’elle est belle il sait qu’il la blesse.

 

 

Les hommes, tout à leur praxis, sont dans l’incapacité de comprendre l’état d’abattement dans lequel plongent parfois les femmes. Pas la dépression, l’abattement, ça ne dure pas, une sorte de détachement du monde, une perception soudaine de l’inutilité et de la vacuité des choses.

 

 

Les hommes s’entendent bien avec les femmes d’action et mal avec les autres, les rêveuses, les lunatiques, les nonchalantes, les détachées, les languides. Mais parfois non, c’est le contraire.

 

 

Quand un homme s’entend bien avec une rêveuse il peut passer auprès des autres hommes pour une femmelette – parfois les hommes ne comprennent pas les hommes.

 

 

Les rêveuses posent sur les hommes des regards limpides et francs, des regards qui donnent à voir leur honnêteté, et les hommes, alors ressentent comme une petite honte de ne pas se s’estimer à la hauteur de ces regards.

 

 

Longtemps les femmes aiment à raconter leur accouchement. Les hommes s’ennuient à tant de détails techniques.

 

 

Les femmes ont de beaux cheveux. Mais pourquoi les femmes qui ont les cheveux frisés rêvent-elles de les avoir raides, et celles qui les ont raides de les avoir frisés ? Pourquoi, se demandent les hommes.

 

 

 

  La femme autoritaire laisse peu de choix à l’homme faible : le meurtre ou le suicide.

 

 

 

  2014 0371

 

 

 

 

 

 

des hommes

 

 

 

 

 

 

Les hommes ne comprennent pas qu’une très belle femme puisse aimer un homme laid : elle n’aime plus elle s’amourache disent-ils – les hommes et les femmes n’ont pas la même perception de la beauté.

 

 

Les hommes parlent souvent entre eux. Les femmes pensent que lorsque les hommes parlent entre eux c’est pour parler d’autres femmes, de leurs corps. C’est souvent vrai.

 

 

 

Contrairement à ce qu’affirment beaucoup de femmes, ça n’a jamais vraiment gêné les hommes de ne pas pouvoir enfanter.

 

◊ 

 

Comment l’homme, le rustre, le primitif, le musclé, le poilu, le protecteur, le guerrier, le chasseur, le pourvoyeur de viande, comment l’homme pourrait-il un instant envisager pouvoir se hisser au niveau de la subtilité de la femme – disent les femmes.

 

◊ 

 

Les hommes se pensent naturellement plus intelligents pour compenser le manque de praxis des femmes ainsi que l’état de béatitude extatique dans lequel les plonge la gestation.
 

 

 

Même les vrais hommes, les sérieux, les qui font la guerre, les réalistes, les espions, les qui sauvent le monde, les qui vivent le plus souvent dans un monde d’hommes, même ceux-là ont une mère.
 

 

 

Les hommes reprochent aux femmes de se laisser influencer par l’astrologie.

 

◊ 

 

Les hommes reprochent aux femmes de lire des magazines féminins ; les hommes, ne les lisent pas, ils n’en regardent que les photos – et souvent l’horoscope.

 

◊ 

 

Les hommes s’expliquent – scientifiquement – de mieux en mieux le désir d’enfant chez la femme, ce n’est pas pour autant qu’ils le comprennent.

 


 

Certains hommes ne comprennent pas les femmes au point d’en avoir peur.

 

◊ 

 

Les hommes sont jaloux des femmes qu’ils ne peuvent posséder, jaloux des femmes des autres, des femmes croisées dans la rue, au cinéma, au supermarché, au travail, des brunes quand ils ont une blonde, des blondes quand ils ont une rousse, des noires quand ils ont une blanche, des blanches quand ils ont une asiatique, des asiatiques quand ils ont une américaine, et des allemandes, des italiennes, des russes, des laponnes, des croates, des coréennes, des cubaines, des grecques, des marocaines, des canadiennes, des malgaches, des chinoises, des espagnoles, enfin, jaloux, quoi – l’exploration de l’espace, heureusement, n’a pas vraiment commencé.

 


 

L’homme demande souvent à la femme avec laquelle il vit si elle a besoin d’aide, juste pour s’entendre dire non.

 

◊ 

 

Les hommes demandent souvent aux femmes qu’ils ne connaissent pas si elles ont besoin d’aide, juste pour s’entendre dire oui.

 

◊ 

 

Les hommes, dans leur soif de domination, passent le plus souvent à côté de l’essentiel.

 

◊ 

 

Vivre avec une femme est, pour un homme, une sorte de renoncement à lui-même. Les jeunes le pressentent, les plus anciens le savent, il leur faut à tous abandonner là, au seuil d’une expérience commune, la part d’eux même qui les autorise à se gratter le matin, à manger avec les mains, à roter à table, etc. – la chose ne se fait pas toujours sans grincements.

 

◊ 

 

Les femmes reprochent aux hommes, ce n’est pas toujours faux, de manquer de psychologie féminine – mais ce n’est pas non plus toujours vrai.

 

◊ 

 

Depuis Freud les hommes se perdent en conjectures quant à la nature profonde de la psychologie féminine.


◊ 

 

Les hommes se plaignent du manque de liberté généré par leur couple, mais ils envisagent le départ de leur compagne comme une catastrophe – quant au leur, de départ, ils ne l’accomplissent qu’après avoir assuré leurs arrières.

 

◊ 

 

Il faut qu’un homme soit aidé par le hasard, ou la chance, pour qu’une femme lui dise faire montre de psychologie féminine.

 

◊ 

 

Les hommes sont fiers de s’afficher au bras d’une belle femme, et de voir les regards des autres hommes glisser sur son corps, comme si elle lui appartenait, si elle était sa chasse gardée – cela doit venir de loin, des cavernes peut-être, l’inconscient collectif traîne de ces boulets.

 

 

 

autoportrait

 

 

 

des conflits

 

 

 

 

Lorsqu’une dispute éclate dans un couple, la femme doit bien prendre garde à ne pas blesser l’orgueil du mâle dominant qui sommeille en chaque homme, cela pourrait lui enlever son homme à jamais. Les hommes, eux, n’ont pas de ces finesses.

 

◊ 

 

Les hommes pensent que les femmes qui cherchent à ressembler aux hommes sont des imbéciles.

 


Les hommes pensent des femmes qu’elles ne sont jamais vraiment amoureuses puisqu’elles sont capables de fuir si l’homme lui refuse un enfant – fuir le féconder avec un autre.

 

◊ 

 

L’apparente simplification des relations entre les hommes et les femmes, leur rapidité, la possibilité d’une immédiateté sexuelle entre un homme et une femme, tout cela n’a rien réglé quant à l’incompréhension entre les femmes et les hommes.

 

◊ 

 

Les femmes sont capables de défendre leur territoire avec violence. Avec une violence ignorée des hommes. Et pour des riens le plus souvent, une odeur de parfum, un numéro de téléphone dans une poche, un cheveu sur une veste, un texto féminin, vraiment pour des riens.

 

◊ 

 

Les colères de femmes laissent les hommes sans réaction : ils se demandent comment on peut dépenser autant d’énergie pour des choses aussi futiles.


◊ 

 

 

Les femmes ne supportent pas que les hommes leur donnent raison juste pour être tranquille ; les conséquences peuvent être pires que le mal premier.


◊ 

 

Les hommes sont capables des pires compromissions, des pires bassesses pour éviter un conflit avec une femme.


◊ 


Les colères des hommes laissent les femmes indifférentes. Il faut bien, pensent-elles, que l’homme s’affirme de temps en temps.


◊ 

 

 

Les femmes pensent pouvoir manipuler les hommes pour parvenir à leurs fins, mais les hommes ne sont pas aussi dupes que ne le pensent les femmes, ils se laissent volontairement manipuler pour donner aux femmes l’impression qu’elles contrôlent la situation. Ce qui fait que les femmes contrôlent effectivement la situation et parviennent toujours à leurs fins.

 

◊ 

 

Les conflits naissent de la prétention de chacun à vouloir changer l’autre.

 

 

 

2014 0534

 

 

 

du romantisme

 

 

 

 

Le romantisme a fait au moins autant de dégâts que le machisme quant à la réputation des hommes auprès des femmes, mais dans l'autre sens.



La soif de romantisme des femmes ne s’épuise pas avec la succession des générations. Pourtant, le temps ne suspendant jamais son vol, le prince charmant ne résiste guère plus de quelques mois aux frictions du quotidien :  aux heures d’avachissement télévisuel, au nationalisme sportif, à l’ennui du dimanche, aux œillades appuyées sur les meilleures amies, bref au glissement progressif vers l’indifférence.


◊ 

 

Les hommes, sachant ce qu’il en est du prince charmant, ne s’expliquent pas la survivance du mythe.


◊ 

 

Si les studios Walt Disney étaient un peu moins mièvres et si les mères faisaient correctement leur travail, il y a longtemps que le prince charmant se serait dissous dans les limbes.


◊ 

 

Le romantisme tel que le considèrent les femmes est une perversion du romantisme – les hommes ne se posent pas la question.

 

   

 

En règle générale, ce qui est considéré comme un bon film se termine au moment où, après avoir vécu mille péripéties, après avoir déjoué les pièges les plus retors, l’héroïne et le héros se retrouvent enfin pour un baiser plein écran. C’est là que le film devrait commencer.

 

 

 

 

 

de la seduction

 

 

 

 

 

Il y a, dans la rencontre nouvelle et fortuite entre une femme et un homme, une part de séduction : tous deux savent immédiatement ce qu’il en est.

 

◊ 

 

Toute entreprise de séduction demande une part d’hypocrisie chez l’homme et de naïveté chez la femme – ou l’inverse, c’est selon.

 

◊ 

 

La capacité de séduction d’une femme passe par des choses dont elle n’a pas toujours conscience, ces petits riens qui vous mettent un homme à genoux : une mèche de cheveux sur une joue, un geste de la main, une intonation de voix, une façon de capter la lumière…

 

   

 

L’homme a parfois de ces moments d’imbécillité insondables. Il est ainsi capable, par exemple, de faire l’apologie d’une femme récemment séduite à son épouse, et de s’étonner de la réaction de cette dernière. Mais c’est plus fort que lui, l’homme séducteur a besoin de le faire savoir, à quoi cela servirait-il de séduire, sinon ?

Son imbécillité se mesure ici à l’aune de la difficulté qu’il a eu à séduire ainsi qu’à la beauté de sa conquête ; le paroxysme étant atteint par la conscience de sa propre subtilité : pouvoir parler d’une femme à sa femme sans qu’elle se doute de quoi que ce soit.

Il peut toujours, ensuite, jouer les offusqués, les vierges effarouchées, se mettre dans la peau de celui à qui on a prêté de mauvaises intentions alors que pas du tout – et s’enfoncer, s’enfoncer.

 

   


Les fausses modestes font naître chez les hommes des espoirs démesurés. Ils doivent ensuite affronter les regards hautains de celles à qui ils ont cru pouvoir, sans jeu de mot, se frotter : comment comment, misérable raclure, quelle est cette prétention que je sens poindre, à vouloir me séduire ?

 

 

2014 0195

 

 

du sexe

 

 

 

 

 

Les hommes ont tendance à catégoriser les femmes, il y a beaucoup de catégories. Pour les femmes c’est plus simple, il n’y a que deux genres d’hommes.

 

 

 

Quoi qu’il fasse, quelles que soient ses expériences, l’homme reste interdit devant l’orgasme féminin – Le mystère de sa source, son apparente immatérialité, sa puissance.

 

◊ 

 

Pendant ou après le colloque amoureux les femmes ont l’intelligence de ne pas faire de commentaire (qualité de l’engagement, durée, capacité à déclencher l’orgasme, etc.) Elles ne commentent pas, non, les femmes, mais les hommes savent qu’ils sont jugés.

 

 

 

Les hommes pensent que lorsque les femmes parlent entre elles, elles ne parlent que des performances sexuelles des hommes – toujours en deçà de leurs espérances, forcément toujours en deçà.

 

   

 

Les femmes pensent que la voiture représente pour les hommes le palliatif à une puissance sexuelle défaillante – mais comment faisaient donc les hommes avant 1880 ?

 

 

 

L’homme adolescent ne rêve que d’une chose, franchir le pas qui sépare le fantasme de la réalité ; ses pensées se partagent équitablement entre les seins des filles, les fesses des filles, le sexe des filles, et toute sa volonté, sa force vitale, toute sa capacité de conviction est orientée vers ce but : découvrir et connaître – enfin – le sexe.

La femme adolescente rêve de la même chose, mais pas de la même façon, elle sait bien, elle, qu’il lui faudra d’abord passer par le déchirement, la douleur, le sang – cela perd en légèreté.

C’est peut être ce qui fait la précoce maturité des femmes, cette nécessaire confrontation, à l’age de l’insouciance, avec la douleur.

 

 

 

 

 

de la gestation

 

 

 

Les hommes sont dans l’action, les femmes dans la gestation. Il y a pourtant des femmes d’action. Il y a aussi des femmes d’action dans la gestation.

 

 

 

 

Les femmes plaignent beaucoup les hommes de ne pas pouvoir enfanter ; elles ont ce privilège d’assurer la reproduction de l’espèce et pourtant elles n’en profitent pas pour se croire supérieures, n'est-ce pas ?

 

 

 

La femme qui attend un enfant devient imperméable au monde.

 

 

La femme qui attend un enfant fait des choses encore plus étranges aux yeux d’un homme qu’une femme qui n’attend pas d’enfant, comme par exemple passer beaucoup de temps à faire le ménage tout en reprochant à l’homme de ne pas le faire.

 

   

 

La femme qui attend un enfant se tient le ventre à deux mains dès le deuxième mois. Les hommes ne comprennent pas la nécessité de devoir ainsi supporter un ventre encore plat.

 

 

 

La femme qui attend un enfant, fut-elle polytechnicienne, ou professeur d’université, la femme qui attend un enfant a parfois de ces sourires béats qui en disent long, pensent les hommes.

 

 

 

L’homme de la femme qui attend un enfant n’existe plus – mais il pense que ça n’est que provisoire.

 

 

Les femmes sont en attente de gestation, ou en gestation, ou dans la nostalgie de la gestation.

 

 

 

 

 

 

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18 janvier 2014 6 18 /01 /janvier /2014 10:12

 

 

ENTRETIEN DE MME SAMIRA HASTEREL, AGENT D'UNE COLLECTIVITÉ TERRITORIALE EMPLOYÉE AU SERVICE DES FINANCES AVEC SA CHEF DE SERVICE, 8 JANVIER 2014

 

 

Les réunions, madame.

Mon problème, ce sont les réunions.

Merci de me recevoir.

Je comprends que vous ne compreniez pas.

Je vais vous expliquer, je suis là pour ça.

Parfois les réunions partent dans tous les sens, ça me déstabilise, et je n'arrive pas à prendre des notes. Ce n'est pas tellement au niveau sémantique, je comprends ce qui se dit dans les réunions, je ne suis pas idiote, mais souvent plusieurs personnes parlent en même temps, les choses s'enveniment, on ne s'écoute plus, et moi ça me pose un problème avec mon cahier de prise de notes. Dans mon cahier de prise de notes j'ai des tas de pages à peine entamées, parce que bien entendu, il est hors de question pour moi de prendre des notes sur une page entamée. Je veux dire pour être tout à fait précise qu'il m'est impossible de commencer une réunion nouvelle, j'entends une réunion qui ne soit pas la suite d'une réunion antérieure, sur une page dévolue à une réunion antérieure terminée et pour laquelle ma prise de notes se réduit à deux ou trois lignes. Mon cahier de prise de notes est du format A4. Aujourd'hui, j'ai un cahier de prise de notes au format A4 dont plus de la moitié des pages ne sont utilisées que pour une ligne ou deux de notes sur la partie supérieure de la page, ce qui, par voie de conséquence, laisse vides les neuf dixièmes de ladite page. Il s'agit là d'un gaspillage auquel je ne parviens pas à me résoudre. Cela n'entre pas mes process personnels de fonctionnement, cela ne fait pas partie de mon idiosyncrasie, cela dépasse les limites de ce que je suis capable d'encaisser au niveau de la souffrance au travail. Je n'ai aucune prédisposition à cela, pire, cela me poursuit longtemps après la fin de la journée, et même dans mes congés, lorsque pendant mes séjours à l'étranger, je suis tentée d'acheter des carnets mieux formatés pour les utiliser ici. Mais je résiste bien sûr à cette tentation car, non seulement l'administration est tenue de nous fournir les outils de travail indispensables à notre bon fonctionnement, mais aussi parce que si je m'habituais à ces carnets, je serais ensuite obligée de retourner dans le pays où je les ai achetés sans savoir si j'en retrouverais d'identiques, il est hors de question de m'engager autant au niveau personnel, je veux bien consentir des efforts pour la marche générale des choses, mais pas à ce point, vous admettrez avec moi que cela irait au delà des exigences du poste que j'occupe. Je demande donc à l'administration de me fournir des cahiers en demi format ou mieux, des blocs en quart de format dont on peut facilement arracher un feuillet sans que cela nuise à l'intégrité du bloc, ou du moins sans que cela lui nuise de façon visible à l’œil nu, puisque, vous le savez, un bloc s'amenuise jusqu'à son dernier feuillet sans qu'il soit possible d'en déterminer à la fin l'épaisseur d'origine. Jeter un quart de feuille, ce n'est pas jeter une feuille, on peut se permettre quatre fois plus de largesses sur ce type de carnet, on n'a pas ensuite le regret chevillé au corps de gaspiller de l'argent public en jetant des cahiers dont seule la partie supérieure des pages est remplie, jeter un quart de feuille n'est rien jeter, et la réunion suivante peut s'ouvrir avec le sourire, lorsque, confronté à l'instant crucial du début de la prise de note on se demande si l'on va tirer un trait horizontal sous les notes de la réunion précédente ou entamer une nouvelle page, aborder un rivage vierge apte à recevoir en toute neutralité les extravagances des uns et des autres, je n'ai pas peur des mots.

Jeter un quart de feuille n'est pas jeter.

Jeter un quart de feuille, c'est se mettre dans les meilleures conditions pour aborder l'avenir de façon sereine.

Un bloc en quart de format à dos carré-collé me semble l'idéal.

Qu'en pensez-vous ?

 

Consulter, dites-vous ? Mais consulter qui ?

 

 


 

 

2014 0241

 

 

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5 janvier 2014 7 05 /01 /janvier /2014 23:41

 

 

UN MOIS D'OCCUPATION DE LA CHAMBRE 208 DE L'HÔTEL LES AMBASSADEURS DE LA SUBLIME PORTE (***), À DOLE (JURA, FRANCE)

 

 

Du 2 au 6 mai : Mme et M. Hamler

 

Une fois par an mais chaque année sans exception depuis quatorze ans, entre le premier et le quinze du mois de mai, Mme et M. Hamler réservent cette chambre (celle-là et pas une autre), dans laquelle, rideaux tirés, ils font l'amour durant trois jours et trois nuits sans sortir une seule fois.

Ils laissent à la porte de l'hôtel leurs tabous et les non dits pour entrer dans une frénésie sexuelle que seule leur autorise le lieu étranger, l'espace clos hors de l'espace du foyer.

 

Quelques années en arrière, un soir, madame avait dit à monsieur :

— Nous ne partons pas souvent en vacances, si nous allions à l'hôtel quelques jours ?

— A l'hôtel ?

— Oui, juste pour être ailleurs, n'importe quel hôtel, même à cent mètres d'ici.

— L'idée me plaît. Et qu'y ferions-nous dans cet hôtel ?

— Oh, nous trouverons bien.

 

Avait-elle ajouté avec un petit sourire.

 

Ensuite d'année en année leur pratique a évolué d'un simple séjour à une redécouverte de l'autre. Et dans leur étonnement permanent, dans les gestes jusque là jamais osés, dans l'expression des paroles dites telles qu'elles le sont rarement, le couple s'est renforcé d'un lien invisible à autrui mais d'une solidité à toute épreuve.

 

Il arrive souvent que le reste de l'année ils ne touchent pas leur corps, ou peu, et de façon conventionnelle, dans un aboutissement rapide du plaisir, comme s'il s'agissait simplement de refréner les pulsions jusqu'au séjour suivant, car pour eux c'est ainsi, l'épanouissement naît de la frustration et de l'attente.

 

La patronne les connaît, le personnel les connaît, ils respectent cette sorte de pèlerinage annuel avec tous les égards dus à l'exploit que représente ce libidineux marathon.

 

— C'est vrai, faut le faire, baiser comme ça trois jours sans arrêt c'est pas donné à tout le monde.

— Surtout à leur âge.

 

Ont-ils un jour entendu derrière la porte.

 

Mais eux, ce n'est pas l'exploit sportif qui les intéresse, c'est l'abandon, le dépouillement, cette possibilité qu'ils se sont donnée de placer leur couple dans une autre dimension, chacun devant considérer l'autre comme un instrument propre à satisfaire ses fantasmes.

Un instrument, oui.

Rien n'est jamais refusé.

Parfois, l'un des deux sort avec du sang sur le visage ou sur le corps, ou boitillant, ou le cou ombré de traces noires, mais toujours, serrés l'un contre l'autre, ils repartent dignes et droits, les yeux dans le vague, comme des clients ordinaires.

 

 

 

idm chine

 

 

 

 

7-9 mai : Michel Citation, 34 ans, écrivain de romans policiers.

 

Invité par la ville à venir présenter son dernier ouvrage Beau temps pour la saison, dont l'intrigue tourne autour d'un tueur en série qui nargue la police.

En réalité, ayant très jeune constaté le pouvoir des mots et de l'écrit, leur importance dans les jeux de séduction, Michel Citation n'écrit des livres que dans le but de rencontrer des organisatrices de festivals ou de soirées littéraires. Cette soirée-ci n'échappera pas à la règle mais c'est pourtant seul qu'il regagnera sa chambre dans la nuit, après avoir tout tenté pendant le dîner pour séduire, mais en vain, une grande jeune femme au regard de feu, celle-là même qui doit l'accompagner et le raccompagner à l'hôtel dans le véhicule de service.

 

 

9 au 13 mai : Maxime Martin, 34 ans, employé pour le compte d'une société de distribution d'eau.

 

Maxime n'a aucune raison de se trouver dans cet hôtel. Il a une petite villa à lui, à quelques pas de là, équipée de tout le confort moderne, avec aussi, à l'intérieur, une femme et deux enfants qu'il aime de tout son amour, du moins les enfants. Car en ce qui concerne son épouse les choses ont changé. En rentrant chez lui ce 9 mai dans l'après-midi, après une tournée exceptionnellement courte, il a tout de suite senti une atmosphère différente dans la maison, quelque chose d'inhabituel.

Il a constaté les vêtements éparpillés dans le salon et sur les marches de l'escalier, ceux de sa femme, et d'autres, masculins et inconnus. Il a fait demi tour sur la pointe des pieds, a refermé la porte sans la claquer et est venu se réfugier à l'hôtel.

Ce n'est que le 13 mai que la police l'a trouvé, à trois cents mètres de chez lui, après que sa femme eut lancé un avis de disparition. Il n'avait pas mangé ni ne s'était lavé depuis quatre jours. Bien qu'affaibli, il a eu avec l'agent de police l'entretien suivant :

 

— Vous êtes bien Maxime Martin, né à Nantes le 28 juin 1980 ?

— Oui.

— Votre femme a lancé un avis de disparition.

— C'est elle qui a disparu.

— Que faites-vous là, monsieur ?

— Je réfléchis.

— L'ambulance va arriver, on va vous transporter à l'hôpital, ensuite nous ferons un rapport.

— Je n'ai pas terminé de réfléchir.

— Vous réfléchissez à quoi ?

— Aux escaliers.

— Veuillez nous suivre monsieur.

— Je ne vous suivrai pas, je n'ai rien fait de mal, j'ai le droit d'être ici.

— Vous avez disparu depuis le 9 mai.

— Je n'ai pas disparu, je parle avec vous.

 

 

 

 

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15-20 mai : Pierre Cautaron, 46 ans, magasinier.

 

Après deux années d'économies sou à sou, Pierre a décidé de s'offrir ce qu'il considère comme le sommet du luxe, cinq jours dans cet hôtel trois étoiles. Il a donc pris des congés et investi les lieux avec la légitimité conférée par le crédit porté sur sa carte bancaire. Là, il passe ses journées à se prélasser sans rien faire dans un état d'extrême bien-être, goûtant comme un privilège sa condition de nanti - et pour peu il se laisserait aller à la croire définitive. Mais hélas il ne fait pas que ça. Outre la contemplation extatique de son bonheur de parvenu d'un jour, son occupation annexe consiste à surveiller sans relâche le personnel, à vérifier que le ménage a été bien fait, à sortir et revenir inopinément dans sa chambre pour constater qu'on ne fouille pas ses affaires, à se plaindre sans cesse du manque de professionnalisme des serveurs au restaurant, de la malpropreté du spa, etc., bref, il se comporte comme le directeur en personne et ne manque jamais de déverser deux ans de bile contenue sur la réceptionniste parce qu'elle n'a pas de message pour lui ou sur un stagiaire qui ne sait pas comment joindre le directeur.

A plusieurs reprises des membres du personnel ont tenté d'avertir la direction du comportement du personnage mais un hôtel est un hôtel, leur fut-il répondu, nous sommes là pour servir les clients pas pour leur faire subir une psychanalyse.

Chez lui Pierre passe de loin en loin une vague serpillière humide sur le sol et considère que le ménage a été fait. Là, il est un moujik sur le trône du tsar.

 

 

21-25 mai : Coralie Thiers, 39 ans, chargée de relations publiques.

 

Organisatrice du colloque qui se tient du 22 au 24 mai au centre international des congrès sous l'intitulé « Quel développement durable pour l'industrie de l'armement ? ».

Dans la nuit du 21 au 22, elle va s'employer à rédiger quelques phrases d'introduction au colloque, dont voici les traits essentiels :

 

Mesdames messieurs, je souhaite que les travaux qui s'ouvrent aujourd'hui débouchent sur des propositions fructueuses.

La recherche dans notre domaine progresse plus rapidement que dans tous les autres, aussi paraît-il impensable que nous continuions à ne proposer que des produits qui ne prennent pas en compte l'environnement et la pérennisation de notre milieu naturel lors de leur mise en service.

Nous ne pouvons plus nous voiler la face, car jusqu'à ce jour c'est malheureusement ce qui s'est passé.

Nous devons travailler, et travailler sans relâche à cet ambitieux objectif, nous l'espérons atteignable rapidement, de conserver son intégrité au brin d'herbe.

Je sais que quelques instituts de recherche ici présents ont beaucoup œuvré en ce sens.

Voici le programme des quatre conférences de cette première journée. Chaque intervention sera suivie d'un débat avec l'auditoire, je vous remercierai de poser vos questions de la façon la plus concise possible.

 

De 10h à 10h45, Intervention du professeur Alisa Tchilaïev de l'Institut Gengis Khan de Volgograd sur le thème :

 

Imposer une date de péremption sur les mines antipersonnel, c'est possible.

 

De 11h30 à 12h15, intervention de Joey Jude, du Laboratoire de chimie analytique de Chicago sur le thème :

 

L'interdiction du défoliant dans les zones de conflit tropicales et subtropicales : chance ou catastrophe pour nos intérêts ?

 

De 14h à 14h45, nouvelle intervention de Joey Jude, du Laboratoire de chimie analytique de Chicago sur le thème :

 

Le développement de produits intelligents capables de cibler les individus en fonction de leur catégorie socioprofessionnelle.

 

De 15h à 15h45, Intervention d'Auguste Lefrançois, De l'IEP de Strasbourg sur le thème :

 

Les relations avec la classe politique : des différentes manières de faire prendre conscience aux pouvoirs législatifs de l'importance de notre action.

 

Les trois soirées suivantes, Coralie rejoindra sa chambre en compagnie d'un intervenant différent et leur donnera une note sur leur prestation de la nuit, c'est sa façon à elle de décompresser des tensions de la journée.

 

En quittant sa chambre, au matin du dernier jour du colloque, elle entend la conversation suivante entre deux femmes de ménages dans la chambre voisine, dont la porte est restée entrouverte :

 

— Avant j'étais dans un préfabriqué en zone industrielle … ici on a des chiants mais on moins on n'a pas les couples dans la journée, et les draps, après...

— L'an dernier on en a quand même un qui s'est pendu dans la chambre.

— C'est autre chose, ça.

— Oui mais quand même.

— Non, ça c'est autre chose.

 

 

29-30 mai : Sylvaine Laforêt, 38 ans, agent de la fonction publique.

 

A Dole pour passer les épreuves d'un concours administratif en vue d'obtenir le grade de rédacteur territorial, et subséquemment un salaire plus élevé. Sa valise contient, outre ses affaires de toilette, 450 fiches manuscrites rédigées pour préparer son concours, fiches qu'elle va repasser dans la nuit jusqu'à l'épuisement.

Elle ne sait pas bien entendu, qu'aucune de ses fiches ne couvre le sujet sur lequel elle sera interrogée le 30 mai.

 

 

 

 

 

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21 décembre 2013 6 21 /12 /décembre /2013 22:28

 

UNE SEMAINE DANS L'AGENDA DE MARIE-CHRISTINE CHAVAULLE, 44 ANS, SANS PROFESSION : 9-15 DECEMBRE 2013.

 

 

Lundi 9 décembre

- Penser à sauver un animal, ce sera fait pour la semaine.

- Acheter un ouvre-boîte, ce sera fait.

- Rester penchée une demi-heure à la fenêtre pour prévenir tout risque de rhume.

- Lire le journal, ce sera fait pour la semaine.

- Préparer à manger pour mardi.

 

Mardi 10 décembre

- Rendez-vous au garage pour réparer l'allume-cigare qui sert à brancher le GPS.

- Acheter des boîtes pour ne pas avoir acheté l'ouvre-boîte pour rien.

- Rendez-vous chez le docteur mais ne pas y aller parce que ça ira beaucoup mieux.

- Trier les rats du labo.

- Préparer à manger pour mercredi.

 

Mercredi 11 décembre

- Acheter un GPS

- Penser à sourire à monsieur Mercoledi en passant devant le Café des sports.

- Tester l'ouvre-boîte.

- Mettre des chaussures avant de sortir dans la rue.

- Préparer à manger pour jeudi avec les boîtes ouvertes.

 

Jeudi 12 décembre

- Amener le chien de Rita au détachage.

- Découper l'article du journal sur le braquage de banque de mercredi.

- Penser à croiser monsieur Mercoledi par hasard, rue des machines molles, à 17h43.

- Préparer à manger pour vendredi.

- Regarder un film sans histoire d'amour pour se coucher sans regrets.

 

Vendredi 13 décembre

- Marché du vendredi.

- Refaire l'enduit de la véranda (pas les vitres).

- Ne pas penser que c'est un vendredi 13 (se souvenir de la dernière fois).

- Aller récupérer le chien de Rita au détachage.

- Préparer à manger pour samedi.

 

Samedi 14 décembre

- Rendez-vous avec mes amis sur facebook parce que le samedi, y'a plein d'amis.

- Aller prendre l'apéritif au café des sports à la place où s'assoit monsieur Mercoledi.

- Remonter la machine à vendanger.

- Penser à ne pas préparer à manger pour dimanche parce que demain c'est dimanche.

 

Dimanche 15 décembre

- Aller voir passer le vent sur la place des Cols empesés.

- Oser dire enfin à Rita que j'en ai marre de faire détacher son chien, c'est mieux un dimanche.

- Téléphoner à Lucie pour savoir si elle a eu son baccalauréat. Penser à le lui demander au cours de la conversation.

- Préparer à manger pour lundi.

 

 

 

 

 

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12 octobre 2013 6 12 /10 /octobre /2013 07:39

 

 

CONVERSATION A BORD DU TRAIN CORAIL 4412 PARIS-BORDEAUX, 2 MAI 2013, VOITURE 8, PLACES 21-23, ENTRE HUGHES SCHTRAUBEN ET GILBERT FRELAMPIER

 

Parfois je me demande. (Long temps) Oui, je me demande, parfois.

Et que te demandes-tu, parfois ?

Parfois je me demande si on ne fait pas ces voyages juste pour parler.

Et alors ? Quel mal y aurait-il ?

Eh bien, ça coûte de l'argent tout de même. Et puis ça ne me met pas en paix avec ma conscience.

L'usage de la parole n'est pas un acte répréhensible au regard de la loi.

On pourrait rester tranquilles à discuter assis à la maison, mais non, faut qu'on prenne le train.

Oui, enfin, on va toujours quelque part quand même.

Oh, si peu... Et moi ma conscience pendant ce temps.

Quoi ta conscience ?

Elle ne va pas bien, ma conscience.

Oui mais chez toi on ne trouve rien à se dire.

C'est vrai.

Il doit y avoir un rapport entre notre activité oratoire et la circulation ferroviaire. (Temps) C'est peut-être parce que chez toi le paysage est fixe.

Je dois reconnaître que mon salon est plutôt immobile.

Ton aveu me soulage.

Et que le paysage qu'on distingue à travers mes fenêtres n'est pas davantage mouvant.

Une sorte d'idée fixe matérielle.

Jamais le moindre défilement.

Jamais.

Hélas, je ne peux pas le nier.

 

(Temps)

 

On peut même penser que c'est l'heure butoir de l'arrivée du train qui libère notre parole. (Temps) Ne me regarde pas comme ça, je veux dire que si tu as l'éternité devant toi, ça ne va pas te pousser, mais si tu sais que ton train arrive dans deux heures, tout de suite il y a une notion d'urgence, tu comprends ?

Parfaitement.

Là par exemple, nous arrivons à Vivonne dans quarante-cinq minutes, autant dire rien, tu aurais dû te lancer bien avant.

Je n'ai pas osé.

Tssss.

 

(Temps)

 

C'est à cause de la matière jaune des sièges.

C'est ça, prends-moi pour un idiot.

Non, j'y vois comme la représentation mimétique de la mort de la grande Georgina Visovicino sur la scène de la Scala de Milan en 1834, écrasée par un panneau de décor, ils rigolaient pas à cette époque, cent-quarante kilos de chêne sur le dos, ça te casse même les plus solides.

Quel rapport avec les sièges du train ?

Le décor représentait une scène de la première guerre Punique, on était en plein néo-classicisme, tu vois, les romains envahissant Messine par surprise, ça fait un beau décor après ils n'avaient qu'à broder autour.

Quel rapport avec les sièges du train ?

Il y avait du sang partout.

Quel rapport avec les sièges du train ?

C'est ce jaune, là.

 

 

(Temps)

 

 

On sait qui a gagné ?

Qui a gagné quoi ?

La guerre.

C'est compliqué.

Et pendant ce temps on ne fait aucun progrès sur la connaissance intrinsèque des choses.

On ne peut pas tout faire en même temps.

N'empêche, les choses, on ne sait pas toujours comment ça marche.

T'as pas un exemple, là ?

Non, mais y'en a plein.

C'est compliqué.

Oui, ça aussi, c'est compliqué. Tiens, tu te souviens de ma cousine Danièle ?

Celle qui s'est mariée avec un type qui a fait une thèse sur la construction de l'unité italienne entre 1865 et 1868 ?

Oui, elle a divorcé après mais peu importe, eh bien ma cousine Danièle.

Ah bon, elle a divorcé ta cousine Danièle ?

Oui mais elle a.

Elle est libre, alors ?

Gilbert, elle a vingt-cinq ans de moins que toi.

N'empêche, elle est libre.

Je ne sais pas, elle a peut-être rencontré quelqu'un depuis, mais ce n'est pas de ça dont je voulais te parler, parce que ma cousine Danièle.

Tu as son adresse mail ?

Ma cousine Danièle, un jour, elle a refusé de prendre un bus parce que le chauffeur n'a pas été capable de lui expliquer le principe du moteur à explosion. (Temps) Quand on regarde une chose on n'en voit jamais qu'une partie, lui disait-elle au chauffeur.

Oui, surtout un bus.

Elle est terrible, ma cousine, les gens attendaient le départ du bus, et elle, elle demandait au chauffeur de lui expliquer le moteur. Alors les gens se sont énervés, forcément, ça a failli mal finir, parce que le bus n'en finissait pas de partir, et les gens, forcément, tu sais comment ils sont, y'en a même qui voulaient la laisser là sur le bord de la route et partir sans elle, ah ça a failli mal finir ce jour-là.

Mais ça n'a pas mal fini ?

Ça n'a pas mal fini.

Je vois.

Je ne suis pas sûr que tu voies bien.

Je vois je te dis.

La question est de savoir comment appréhender un tout à partir d'un ensemble dont on ne connaît pas tous les éléments.

Puisque je te dis que je vois.

Ce serait comme nager vers le bord d'un lac dont on n'aperçoit pas la rive. (Temps) Et note bien s'il te plaît, note bien que c'est encore plus compliqué que d'imaginer un tout à partir d'un seul élément de l'ensemble.

Non là tu exagères, quelqu'un qui n'a jamais vu un bus ne pourra pas l'imaginer à partir d'une pièce du moteur.

C'est pour dire si c'est compliqué.

On va pas trop loin, là ?

On parle.

Je me sens à une limite.

Détends-toi, ça va aller.

 

(Temps)

 

Tu vois, tu es sur une scène en train de chanter et paf, un décor te tombe dessus et te tue. Que veux-tu que je te dise.

A partir de là il n'y a plus grand chose à faire.

Ce n'est plus une question de rhétorique.

C'est du solide, là.

Du matériel.

Du tranchant.

Rien à voir avec ce qui nous occupe.

Rien.

Je me demande ce qui nous a amené à parler de ça.

Ton malaise, tout à l'heure, souviens-toi, à propos des sièges du train.

Finalement, en y réfléchissant, c'est pas la faute du train.

Le décor ?

Ils avaient trop chargé sur le jaune.

 

 

 

 

 

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  Pour retrouver l'intégralité des conversations ferroviaires, c'est ICI


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28 septembre 2013 6 28 /09 /septembre /2013 09:35

[Lire d'abord le texte 162] 

 

RÉPONSE DE JACQUES D'OMBREVILLE À LA DIATRIBE REÇUE D'ISIDORE DUPONT D'ALIGNAN LORS DE LA SÉANCE DE L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES ET BELLES LETTRES DE MONTPELLIER DU 14 MAI 1783, RÉPONSE RENDUE EN DERNIÈRE INTERVENTION LORS DE LA MÊME SÉANCE.

 

 

Chers académiciens, chers confrères,

 

Je veux en premier lieu remercier cette assemblée de me donner la parole une dernière fois, car je conçois, pour les raisons que vous savez, que je doive me démettre, sans toutefois me soumettre. La réfutation de mon opuscule par le sieur d'Alignan, sa charge de cheval emballé devrais-je dire, me fut pénible, cela va sans dire, et longtemps j'en garderai l'offense chevillée au cœur. Eh quoi ! Eut-il donc fallu que je renonçasse à ma théorie pour lui complaire ? Que je ne l'imprimasse point alors que je la crois avérée ? Eut-il donc fallu que je cédasse à la raillerie en me gaussant de moi-même, comme nombre d'entre vous l'ont déjà fait à cette même tribune ? Ce serait mal me connaître, mais pourtant chers amis, je ne suis point là pour relancer la querelle et je me garderai d'opposer aux siens mes arguments. La colère ne peut qu'alimenter la colère, nous perdrions tous notre temps à ces enfantillages.

Tempérez vos soupirs messieurs, vous qui fîtes allégeance à la manne d'Alignan. Vous qui déjà, êtes tout acquis à sa cause serez soulagés de mon encombrante présence d'ici peu. D'ici peu vous pourrez continuer à gloser sur les sujets les plus futiles en renonçant à vous occuper de l'essentiel. Tempérez vos soupirs, vous pourrez en toute tranquillité médire sur mon compte dans les soirées, briller par vos mots d'esprit tout en ne cessant de vous épancher sur les limites du mien.

 

Oui d'Alignan, j'ai rougi à votre diatribe tantôt, mais ce n'est ni l'indignation ni la colère qui en furent la cause, pas plus le nœud de mon jabot, votre imagination a rompu les digues, c'est de honte que le pourpre m'est monté au front, la honte de voir que pouvait s'exprimer ici la bassesse la plus mesquine sans d'autres arguties que celles dictées par une rancœur personnelle servie par votre rhétorique de tribunal.

Vous avez brandi contre moi le glaive de la vengeance, vous en prenant à ces quelques pages, dont certes, je reconnais qu'elles ne feront pas date dans l'histoire, mais je n'ai jamais eu cette ambition, vous le savez, et lorsque vous me voyez me comparant à Voltaire, c'est le rire cette fois qui me monte à la gorge. Mais de Voltaire, si je ne me reconnais pas l'art de la narration, je tâcherai de m'approcher au plus près de ce qui l'a rendu grand, l'art de se défendre contre les puissants.

Puissant d'Alignan ? Encore faudrait-il en être sûr. Un petit puissant. Deux mots vous en conviendrez se trouvant fort mal accolés l'un à l'autre. Un petit puissant régnant comme un grand tyran sur une assemblée de béats confits de reconnaissance et d'admiration feintes. Allons, regardez-vous messieurs. Je vais quitter la place, certes, mais regardez-vous donc, qu'avez-vous à gagner à ce que le premier contradicteur en soit évincé ? N'avez-vous pas encore avoué à vos pauvres esprits allant au rythme de la passacaille que vous n'avez point d'autre dessein que celui d'affirmer votre appartenance à la société des privilèges, de vous rengorger de votre supposée grandeur ?

 

Messieurs, je ne doute pas un instant que vous suivrez les préconisations du sieur d'Alignan car sans lui c'est le fonctionnement même de l'Académie qui serait remis en question. Sans lui les portes des imprimeurs vous seraient fermées et l'expression de vos lumières ne saurait trouver l'abri qu'elles méritent, ceci ne se peut contester ; sans lui, cette demeure même ne pourrait abriter vos réunions si fécondes et vous vous verriez peu glorieux à les tenir en des lieux sans aucun doute moins prestigieux.

Cette assemblée devrait porter son nom, les choses en seraient simplifiées et chacun saurait à quoi s'en tenir en y faisant son entrée. Qu'en pensez-vous d'Alignan ? Vous aurez beau dire, il vous est facile d'attaquer qui vous souhaitez, vous ne vous en privâtes point dans le passé, et mon ami de Falquières en fit naguère les frais lorsque vous lui demandâtes de présenter des excuses publiques à cette même tribune, lorsque vous l'humiliâtes en le raillant de chaque pièce de son projet de véhicule automobile, pour mettre ensuite votre nom en lieu et place du sien et transmettre ledit projet à l’Académie royale des sciences. De Falquières, celui-là même que je vois ici le front baissé, n'osant même porter sur moi son regard. Allons de Falquières, vous vous ralliez à la masse, c'est dans la nature humaine, je n'en prends pas ombrage, vous savez que la rancune ne m'est pas coutumière, j'espère simplement qu'à l'avenir vous ne raserez pas les murs, me voyant arriver face à vous.

 

Je vois au silence qui s'impose que je n'ai pas pris un chemin détourné.

Je vous libère messieurs, vous n'aurez pas à prononcer la sentence demandée, je me retire de mon propre chef et vous laisse patauger dans vos miasmes de déférence au maître des lieux.

 

 


 

 

 

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7 septembre 2013 6 07 /09 /septembre /2013 23:42

 

CHRONIQUE D'UNE DRAMATURGIE ANNONCÉE: LISTE NON EXHAUSTIVE DES INVITÉS À LA CÉRÉMONIE DE MARIAGE DE SOPHIE ET YVES, 14 AOUT 2013.

 

 

Les mariés

 

Sophie Saumurd 26 ans, webmaster pour un journal gratuit d'annonces culturelles. Passionnée de jeux vidéo. Voulait devenir une star mais sans avoir à prendre de cours de comédie ; elle a été élue miss Béthune 2002.

A vécu en couple deux ans avec François, le meilleur ami de son futur mari avant de se décider, un mois plus tôt à épouser Yves.

Ne rechigne pas à se rouler un joint de temps en temps, en écoutant de la musique psychédélique des années soixante dix.

 

Yves Forgnier 32 ans. Agent commercial Se trouve physiquement laid et considère comme un miracle de pouvoir épouser Sophie. Suit un traitement depuis son adolescence pour tenter, mais en vain, de faire disparaître les boutons qui constellent son visage. Le surnom de «calculette »  l'a suivi de l'école primaire jusqu'à l'université. En dehors de Sophie, on ne lui connaît aucune passion particulière – mais dès que Sophie pose sa main sur lui, il se sent comme un caillou chaud descendant au fond de l'eau.

 

 

Les parents de la mariée

 

Magalie Saumurd, née Cabezatorta, 53 ans, journaliste au quotidien local. Ne voit pas d'un très bon œil ce mariage décidé à la hâte et – elle en mettrait ses deux mains à couper –, par dépit.

S'endormira mollement sur le coup des minuit, grisée de Marie Brizard et de musique, sans que personne ne le remarque ou n'y fasse cas, pour être réveillée une grosse heure plus tard par des cris dans la sono.

 

Sylvain Saumurd, 54 ans, chirurgien dentiste. Il a détesté Yves à l'instant où Sophie le lui a présenté. D'une détestation, pleine, massive, et sans faille. De fait, pour éviter tout rapprochement entre les deux familles, il n'adressera pratiquement pas la parole aux parents de Yves de la soirée, lesquels s'évertueront au contraire, du moins au début de la cérémonie, à entretenir avec eux des liens que les conventions sociales semblent vouloir nouer en pareilles circonstances.

A minuit dix, son niveau d'alcoolémie lui permettant toutes les audaces et le rendant invisible, il parviendra à entraîner Jeanne à l'étage supérieur. Une heure plus tard, à une heure dix, ils redescendront sur la pointe des pieds les marches du grand escalier sous l'œil amusé des trois quarts des convives car, à l'instant où ils entrent dans leur champ de vision, au milieu de l'escalier donnant sur le hall d'accès à la grande salle de réception, le DJ hurle dans son micro : « Ah ! Enfin, les voilà qui reviennent ! »

 

Les parents du marié

 

Sandrine Lomé, née Lépicier, 45 ans, sans emploi, entretient l'appartement et procure quelques subsides au couple en faisant des heures de ménage dans le quartier.

 

Serge Lomé, 49 ans, ouvrier électricien dans une grande entreprise de rénovation de bâtiments anciens.

Pour le couple, la situation de chirurgien dentiste est un sommet dans la réussite sociale – ils ne savent pas, bien entendu, que de toutes les professions, ce sont les chirurgiens dentistes qui ont le taux de suicide le plus élevé. Tout à leur écrasante infériorité sociale il leur semble normal qu'un chirurgien dentiste s'écarte d'aussi piètres personnes que les leurs si elles essaient de s'approcher. Lorsque Serge compare leur situation à celle d'un chirurgien dentiste, et lorsqu'il lui fait face, il se sent dans la peau d'un serf face au seigneur, dans les temps éloignés du moyen-âge. A une heure douze, après le quatrième passage des bouteilles de Champagne, à l'heure où Sylvain Saumurd parvient au bas de l'escalier, Serge sent monter en lui le souvenir de son père, la révolte permanente qui l'habitait, sa haine des nantis, et, las des rebuffades et des sourires narquois, se levant d'un coup, tête haute et menton en avant, poings serrés le long du corps, c'est d'un pas décidé qu'il marchera vers Sylvain Saumurd, en même temps que vers la reconquête de sa dignité.

 

Les amis des mariés

 

Cécile, Pauline, Jeanne. Forment avec Sophie un quatuor inséparable depuis leur adolescence et leurs études dans le même lycée. Elles ont œuvré sans relâche à faire capoter ce mariage, estimant Yves mou, veule, fuyant, terne, éternellement insatisfait, incapable de prendre une décision, trop romantique, pas assez musclé, pas assez sportif, imaginant, comme l'a dit Jeanne à plusieurs reprises, étant donné son niveau de servilité vis à vis de Sophie, « qu'il ne devait pas être une affaire, au lit » - ce que Sophie n'a jamais confirmé ni démenti. Aucune des trois n'osera toutefois s'opposer ouvertement au mariage, au moment où l'officier d'état-civil pose la fameuse question à l'assemblée. En réalité, cette haine à peine dissimulée pour Yves relève plus de la jalousie envers Sophie qui a su, pensent-elles toutes trois en secret, s'asseoir sur leurs critères de sélection des mâles, leurs exigences déraisonnables qui les confinent dans une solitude moderne mais subie.

Quel meilleur moment qu'un mariage, pensent-elles chacune dans leur coin, pour essayer de changer le cours de choses.

 

Pierre Pavon, 37 ans, ingénieur des ponts et chaussées, séducteur insatiable, collectionneur de conquêtes, n'a jamais voulu se marier pour ne pas « à cause d'une, se priver de toutes les autres ».

 

Samuel Mescladissa, 32 ans professeur de mathématiques. Secrètement amoureux de Pierre depuis toujours

 

Julien Urgens, 42 ans, dermatologue. Roule en Hamer six roues parce que c'est la plus grosse voiture sur le marché – même si, de ce fait, la plupart des ruelles de la ville lui sont interdites –, il fume les cigares les plus chers qu'il trouve, et quand il sort, ne commande que du Champagne, quelle que soit l'heure de la journée. Il a construit une partie de sa fortune grâce à la peau du marié.

 

 

La famille de la mariée

 

Capucine Saumurd 24 ans, sœur de Sophie. Au cours de la soirée va se laisser caresser la cuisse par Pierre Pavon, danser longtemps avec lui, puis, ayant bu au delà du raisonnable trouvera normal de se laisser entraîner dans les toilettes, de se laisser remonter la jupe, d'autoriser des doigts à entrer en elle, jusqu'à ce que Samuel les surprenne, il est alors une heure treize, lui pantalon aux chevilles, elle à genoux devant lui, son sexe dans sa bouche, vêtements en tous sens, dans cette pose grotesque pour un regard extérieur et qui déclenche en Samuel la montée d'une colère terrible, la colère de la frustration accumulée et de la mise devant le fait accompli, la colère du désespoir.

 

Hector Mautalent, époux de Michèle, frère de Magalie, 45 ans, canard noir de la famille. Vingt ans plus tôt, il a quitté la faculté de pharmacie en dernière année sans passer son diplôme, et depuis, drapé dans son honneur bafoué, rejetant sur le monde la responsabilité de sa situation, il accumule les échecs professionnels, et vit aux dépends d'une épouse qu'il méprise. A minuit cinquante huit, il a une conversation avec un inconnu auquel il révèle en quelques secondes qu'il entretient des relations sexuelles avec trois femmes différentes – en plus de son épouse, bien entendu, avec laquelle, il n'entretient plus rien depuis des années -, « des bombasses de première catégorie », ce sont ses propres termes, « chaudes comme l'intérieur d'un volcan, tu peux pas savoir mon gars comme il y a des femmes qui n'attendent que ça, un coup de queue de temps en temps ».

 

Michèle Mautalent, née Gavache, épouse d'Hector, assistante de direction dans un cabinet de notaires, survient sur ces entrefaites, avec à la main, à peine dissimulé le long de sa jambe, le couteau initialement prévu pour le découpage de la pièce montée, actuellement au centre de la table d'honneur, et dont personne ne s'occupe.

 

Les familles éloignées (quelques archétypes)

 

Ludivine Ménestre, 17 ans, lycéenne. Adore Sophie et ne veut en rien lui nuire. Mais elle a décidé de choisir la soirée de mariage pour pratiquer à l'encontre de ses parents une forme de vengeance définitive envers ce qu'elle nomme la parodie d'éducation qu'elle a reçue. A son tribunal intérieur, elle va se convoquer en tant que seul témoin à charge, laissant flotter sur ses lèvres un éternel sourire satisfait. Elle est assise entre ses parents, leur parle sans les regarder, elle fixe droit devant elle un point au loin sur lequel elle a posé les yeux pour soutenir sa détermination. Voici le début de son discours, à minuit cinquante deux, il va durer douze minutes.

« Il faut que je vous parle, je vais vous parler maintenant, laissez-moi parler sans m'interrompre, quand j'aurai fini vous pourrez dire tout ce que vous voudrez. Vous vous êtes vus tous les deux comme vous êtes mous ? Dites, vous vous êtes vus ? Vous êtes lâches aussi, bien sûr, sinon la mollesse en soi n'est pas forcément négative. La vôtre oui. Vous fuyez vos responsabilités. J'ai toujours fait ce que j'ai voulu et aujourd'hui je suis une conne, je ressemble à rien, je n'ai aucune limite, c'est de votre faute. Ne me regardez pas comme ça, vous allez perdre la face devant les autres. Regardez devant, j'ai dit. Et toi papa ferme la bouche, tu baves. Je vous juge oui, parce qu'il faut bien que quelqu'un le fasse. N'imaginez pas que ça me fait plaisir. Bon, si, finalement ça me fait plaisir. Depuis que j'attendais ça. Réunir assez de courage pour vous parler. Et là c'est le pied total. La princesse ! Tu parles. Peut-être si une fois dans ma vie j'avais entendu « non », je n'en serais pas là. Et vous non plus. J'ai plein de trucs à dire, je ne sais pas par où commencer. Attendez, si, je sais. Ton attitude papa, ton attitude m'a déjà écarté des garçons. Bein oui, faut pas laisser traîner ton portable comme ça. J'ai l'impression que tous les mecs sont pareils, dès qu'on a le dos tourné ils cherchent à sauter tout ce qui passe à portée. Remarquez, c'était déjà pas terrible avant, je n'ai jamais apprécié leur façon de me toucher, et leur truc me dégoûte, je n'y peux rien, pour moi le sperme c'est sale, mais passons, alors du coup vous voyez, je m'intéresse davantage aux filles, oh non maman, pas la peine de pleurer pour ça, je te promets que je vaux pas la peine qu'on pleure sur moi, je t'assure, et ne me regarde pas avec cet air de compassion, ce n'est pas une maladie, si tu savais la délicatesse des filles à côté des garçons... Bref tout ça pour dire que si jamais tu t'approches à nouveau de Mélanie, papa, si jamais tu lui passes les mains sur les fesses comme tu l'as fait la dernière fois qu'elle est venue à la maison, je te promets que je t'arrache un œil, je le promets devant maman et je te le jure sur la tête de mamie, je t'arrache un œil. »

 

Tante Wally, 63 ans, veuve, vit sur le confortable matelas d'épargne (quatre millions d'euros) hérité de son mari sans se priver de rien, mais sans faire non plus de folie, elle veut garder de quoi payer une maison de retraite lorsqu'elle sera trop âgée pour vivre seule. Elle ne déroge jamais à la règle de ne pas dépenser plus de mille cinq cents euros par mois, quoi qu'il arrive.

 

Tony Saumurd, 6 ans et demi, petit-fils du frère aîné de Sylvain Saumurd. Passera une grande partie de la soirée sur une tablette tactile récemment reçue en cadeau, puis, lassé par la trop grande facilité des jeux, tandis que les adultes sont occupés à leurs affaires sérieuses, il commencera la tournée des tables pour, discrètement vider les fonds de verres d'alcool négligés par leurs propriétaires et en éprouver dans sa gorge la rugosité et dans sa tête la joie du franchissement de l'interdit. Il emploiera ensuite toute son énergie à trouver un briquet sans surveillance, car pour lui la flamme qui s'en échappe lorsqu'on le manipule est un mystère en même temps qu'une grande joie. En ayant trouvé un sous une table il parviendra à l'allumer, juste au dessous de la retombée de la nappe sur laquelle, quelques minutes auparavant a été renversé un verre de Cognac.

Il est alors 1 heure treize.

 

Cousin Pierre-Marie Magerot, 33 ans, se définit lui-même comme un aventurier des temps modernes. Il a emprunté 20 000 euros à la tante Wally deux ans en arrière pour les investir dans une affaire qui ne pouvait pas échouer, la création avec son meilleur ami Samson de la filiale française d'une société de vente de publicité sur Internet. En réalité il s'agissait d'une escroquerie à l'échelle internationale, la société mère, basée à Hong-Kong, s'est dissoute dans la nature, et la plainte qu'il a déposée n'a jamais abouti. Depuis deux ans il cache la vérité à la tante Wally, lui assurant que les bénéfices vont rentrer sous peu. Samson est également invité au mariage.

A minuit cinquante deux, presque ivre, Pierre-Marie montera sur une chaise pour déclamer à l'auditoire que le marié, Samson, et lui-même sont les trois plus grands cocus de l'histoire. La tante Wally, qui n'est pas tombée de la dernière pluie, comprendra aussitôt qu'elle peut s'asseoir sur ses vingt mille euros. La noce se divisera en plusieurs camps, les uns pour défendre la naïveté des apprentis investisseurs, d'autres pour les enfoncer et exiger le remboursement, d'autres enfin pour s'inscrire en faux contre les assertions de cocuage proférées à l'encontre du marié.

Les clans se scinderont à l'identique du différend qui a opposé des membres de la famille en 1992, lorsque la tante Wally a refusé d'assister à l'enterrement de Jean Saumurd, grand-père de Sophie, car elle se sentait lésée par le testament, n'ayant reçu en tout et pour tout qu'un vingtième non négociable de la maison des Cévennes. A une heure zéro neuf, quelques uns des représentants mâles des trois clans en sont au stade des insultes et s'invitent mutuellement à sortir dans le jardin pour régler cette affaire entre hommes.

 

Cousin Christian Reuge. quarante-quatre ans, autoproclamé artiste plasticien sans jamais avoir peint une toile digne de ce nom, ni réalisé la moindre installation. Il est, dit-il, en phase de mûrissement artistique depuis ses dix-neuf ans et se laisse entretenir par son père sans aucun état d'âme, l'art n'étant pas négociable avec les contingences matérielles.

Il est une heure onze lorsque son père, assis face à lui, trouve dans l'alcool le courage de décocher la phrase : « Des glandeurs y'en a eu dans la famille, mais toi tu bats le record du monde, dorénavant t'auras plus un rond. » Christian se lève et saisit son père aux revers, le soulève, le tire, l'arrache presque à sa chaise, et puis se ravise, le relâche, c'est ton père se dit-il, tu ne vas quand même pas frapper ton père – le père s'effondrant alors mollement sur sa chaise, un rictus de douleur intense sur le visage, une main crispée sur sa poitrine.

 

 

 

 

  2013 0321

 

 

 

 

 


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