OBJETS VISIBLES DEPUIS LA RUE ET CONTENUS DANS LE CAMION DE DÉMÉNAGEMENT PORTANT SUR SES FLANCS L'INSCRIPTION, EN LETTRES JAUNES SUR FOND NOIR, "IL PARADISO DELLA TRANSUMANZA", CAMION STATIONNÉ PORTES ARRIÈRES OUVERTES AU MILIEU DE LA RUE DES COLS EMPESÉS, A BAYONNE, FRANCE, le 4 FEVRIER 2006, 10 HEURES TRENTE DU MATIN, BLOQUANT PAR LA-MÊME UNE GRANDE PARTIE DE LA CIRCULATION DU CENTRE-VILLE.
- Plaqués contre une paroi intérieure du camion, à jamais inséparables même dans ces moments de grande frénésie, un sommier et matelas, tous deux de facture classique, le matelas portant encore sur lui draps et couvertures que ne parviennent pas à retenir complètement les sangles d’accroche, et qui retombent mollement sur eux-mêmes, comme en état d’évanouissement, livrant aux passants, à l’image de l’intérieur du camion, une ouverture sur la vie privée de leur propriétaire.
- Un lampadaire d’intérieur dont le corps, fabriqué dans du bois et bariolé de couleurs vives, n’est pas sans évoquer à la fois un totem des Indiens d’Amérique du Nord – du moins tels qu’on a pu les voir dans les westerns – et un serpent dressé sur l’arrière de sa queue, prêt à l’attaque. L’abat jour est neutre.
- Un piano demi-queue sous couvert d’une bâche de protection.
- Une coiffeuse début 20edont on peut supposer, tant elle est en mauvais état – marbre cassé, pieds en partie attaqués par des xylophages – qu’elle est un souvenir de famille dont les propriétaires ne veulent pas se défaire – au risque, hélas, de voir migrer les xylophages vers de plus sains territoires de bois.
- Trois cantines métalliques kaki couvertes d’étiquettes sont entassées sur le côté.
- A même le plancher du camion, dégueulant d’un carton éventré, une trentaine de numéros de la revue Le Crapouillot. Un de ces fascicules, qui est même parvenu sur le bord extrême du cul du camion, peut livrer son titre au regard des passants : Photos interdites ; on y voit en couverture le général De Gaulle écarter deux noirs en costume traditionnel pour s’emparer de petits fours lors d’un buffet. Il – le fascicule – est à plusieurs reprises piétiné par un déménageur avisé.
- Quatre grandes planches de bois formant balustrades ménagent un logement géant à tout un fatras de coussins bariolés. A même le plancher du camion le fatras gît là.
- Un réfrigérateur dont la partie visible depuis la rue – le haut – est couverte d’aimants publicitaires.
- Appuyée au réfrigérateur une plaque de bois peint porte la mention : « Afrique occidentale française. Grande exposition d’automobiles, Abidjan, 19-25 mai 1924 »
- Sur la paroi du camion opposée à celle du matelas est accroché sans son carquois un arc ancien de grande envergure.
- Un salon de rotin aux assises couvertes de tissu madras.
- Dans le fond du camion, comme émergeant de quelque lac couvert de brume, une figure de proue de navire, buste de sirène aux seins généreux et au visage agressif, les yeux cernés de noir, la bouche ouverte sur un rictus effrayant, le tout d’une facture artistique des plus douteuses – il faut un grand salon pour héberger un tel objet, oh oui, il en faut un de grand, de salon, et la volonté, surtout, d’avoir tous les jours cette chose sous les yeux.