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30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 11:16

 

PASSAGERS DE L'AUTOBUS DU 28 JUIN 2003 ASSURANT LA LIAISON TOULOUSE-BARCELONE

 

 

AU DEPART DE TOULOUSE(de l’avant vers l’arrière) :

 

Michel Vergnes, 46 ans, chauffeur de bus, assure depuis une dizaine d’années cette liaison Toulouse-Barcelone et retour ; il peut ainsi acheter des cigarettes et du pastis à moindre frais. Cela n’arrive que rarement mais durant ce trajet du 28 juin 2003, il aura plus souvent l’œil au rétroviseur intérieur qu’à la route.

 

Sébastien Leguann, 32 ans, fildefériste de son état, se rend à Barcelone pour participer à un spectacle de théâtre. Il passera en alternance une moitié du trajet à méditer sur les Syllogismes de l’amertumed’Emile Michel Cioran et une autre moitié à visionner le film Les fantômes du chapelierde Claude Chabrol sur son ordinateur portable. A l’arrivée, le mélange des deux œuvres provoquera chez lui un léger malaise qui, l’espace de quelques minutes changera sa perception des choses et du monde et le fera s’interroger, de façon fugace, sur l’opportunité de son art.

 

En sa compagnie mais deux sièges plus loin, Denise Barriéros et Pierre Asprié, un couple de metteurs en scène qui participent à la création du même spectacle. Ils vont profiter du trajet pour peaufiner la scénographie en se levant parfois, mimant dans l’espace les gestes que les acteurs auront à accomplir, pour le plus grand plaisir du jeune garçon installé non loin d’eux – Pierre Asprié profitant de ces occasions où, debout, il peut à loisir porter son regard vers le dernier rang de sièges. Quelques pièces du décor du spectacle, réalisées par un ami de Pierre Asprié transitent avec eux dans les soutes à bagages du bus.

 

Sigismond Muratin, douze ans. Envoyé pour la durée des vacances scolaires chez des amis à Barcelone pour parfaire son Castillan. Le jeune Sigismond Muratin est monté dans le bus la mort dans l’âme, les tripes tordues à l’idée de ne pas revoir Romance Mingwal de deux mois ; d’ailleurs, pour être absolument certaine que son fils partait pour de bon, Mme Muratin est restée avec lui jusqu’à la seconde précédent la fermeture des portes. Mais Romance Mingwal partait elle-même le lendemain pour un séjour de trois semaines à Londres et les deux comiques de devant savaient occuper leur monde : à l’arrivée à Barcelone, Sigismond Muratin aura le sourire aux lèvres de celui qui a trouvé une vérité comme par inadvertance : il sera acteur de théâtre – ce qui, à son retour, provoquera une discussion plus que vive avec son père qui avait pour lui l’ambition de ce qu’il n’avait pas lui-même réussi à obtenir : un concours d’entrée dans une école d’ingénieur, peu importe laquelle mais une école d’ingénieur.

 

Simone Legeindre, 38 ans, archiviste paléographe célibataire, se rend à la bibliothèque de l’Escorial (environs de Madrid) via Barcelone, retirer un des manuscrits enluminés des Cantigas de Santa-Mariad’Alfonso X (1221-1284) prêté à la ville de Toulouse pour une exposition. Simone Legeindre passera une grande partie du trajet à jeter des coups d’œils vers le fond du bus en persiflant. Le rêve secret de Simone Legeindre est de voir, et si possible de toucher, un des manuscrits de la Mer Morte.

 

Victor Escriva, 54 ans, électricien, se rend à Barcelone pour assister au match amical de football entre le FC Barcelona et une sélection européenne ; ce match est organisé au profit des sinistrés du tremblement de terre en Algérie du 21 mai 2003. A peine le bus a-t-il entamé son trajet sinueux dans Toulouse que, rue des Gras Apothicaires, Victor Escriva s’endort ; il ne se réveillera qu’aux environs de la frontière espagnole pour constater que le bus est encore loin de sa destination – et se rendormir aussitôt. Il faut dire que Victor Escriva est un supporter acharné du FC Barcelona, il se rend à tous leurs matchs et ne trouve donc aucun attrait à un paysage qu’il a déjà vu des dizaines de fois.

Rêve de Victor Escriva du 28 juin 2003 11h48 : la scène se passe de nuit, Victor Escriva se regarde, debout sur les berges d’un fleuve assister à une noyade. A quelques mètres de lui, ce qui semble être une jeune fille se débat dans les courants du fleuve. Au moment où il plonge à son secours, la jeune fille se transforme en une gigantesque pieuvre qui l’enserre dans ses tentacules et le retient prisonnier, sans possibilité de respirer. 11h49 : sur son siège Victor Escriva est secoué de spasmes, il ouvre grand la bouche pour absorber une goulée d’oxygène. Le geste le réveille à demi et le propulse hors du rêve.

Justification possible du rêve : la veille, en compagnie de Samson Escriva, son petit-fils de quatre ans, il a regardé le DVD de La petite Sirène.

 

Sur le dernier rang de sièges du bus, le plus loin possible de toute engeance humaine, Esther Lecerisier, 22 ans, étudiante en sociologie, et Saïd Akl, 26 ans, dessinateur dans un cabinet d’architecte. Ils se sont rencontrés quinze jours auparavant et effectuent à leur façon, dans cet autobus, une sorte de lune de miel. Ils emploieront la plus grande partie du trajet à s’embrasser et à se caresser, atteignant – et souvent dépassant – les limites de la décence. Esther Lecerisier occupe le siège face à la travée centrale du bus ; la main de Saïd Akl court sur, et sous les vêtements de la jeune fille, la jupe remonte loin, dévoile des espaces, des frontières, mais Esther Lecirisier est seule au monde, livrée aux caresses et aux baisers de son compagnon, et lorsque son regard croise ceux concupiscents de Michel Vergnes ou Pierre Asprié, et celui persifleur de Simone Legeindre, ses yeux ne semblent pas les voir.

Esther Lecerisier et Saïd Akl arriveront à Barcelone dans un tel état qu’ils s’engouffreront dans le premier hôtel venu. (Dans le même temps Michel Vergnes ira faire une promenade dans le Bario Chinoet Pierre Asprié proposera une sieste à Denise Barriéros).

 

 

MONTENT A CARCASONNE :

 

Encombré d’un carton que d’aucune façon il n’a voulu déposer dans la soute à bagages, Paco Izquierdo, 87 ans, né à Elche (Espagne), Province d’Alicante, se rend pour la première fois depuis 1939, à l’invitation d’un ami d’enfance, sur le territoire espagnol. A moitié sourd pour l’occasion, il ne répondra pas aux invectives de sa voisine de siège quant à l’opportunité de trimbaler une poule vivante par ces chaleurs.

 

Germaine Malabru, 72 ans, épicière en retraite, part s’installer définitivement chez sa fille à Badalona, une petite ville quelques kilomètres au nord de Barcelone. Germaine Malabru a pour habitude – et elle s’emploiera à le faire durant ce trajet –, de commenter le spectacle du monde à haute voix, et de la même voix, d’exprimer ses sentiments, ses colères ainsi que la douleur provoquée par des rhumatismes articulaires qu’elle traîne depuis son plus jeune âge. Elle n’a avec elle qu’une valise, elle a tout vendu pour l’occasion, tout dispersé, s’est jetée dans ce bus pour ne plus entendre parler du passé, rompre, et peut-être, enfin, vivre heureuse.

 

Carmen, terrorisée d’un bout à l’autre du trajet par le fait que, pour la première fois de son existence, le sol ne cesse de se mouvoir au dessous d’elle (les voyages en autobus ne font pas partie de l’idiosyncrasie des gallinacés)

 

MONTE A NARBONNE :

 

Thibaut Combraton, 32 ans, écrivain, auteur de la pièce de théâtre Temps de chien,adaptée pour l’occasion en catalan sous le titre de Temps de llops, mise en scène par Denise Barriéros et Pierre Asprié, et en partie jouée par Sébastien Leguann. Après avoir salué ses compagnons, il occupera le temps du trajet à taper sur le clavier d’un ordinateur portable, levant de temps à autre la tête, comme pour chercher à l’extérieur une tournure impossible à trouver à l’intérieur.

 

MONTENT A PERPIGNAN :

 

Six adhérents du Club lyrique catalan allant assister à un récital de Montserrat Caballé au Gran Teatre del Liceu :

 

Michel de La Roque Tremblay, 71 ans, veuf, ancien violoniste professionnel. Il est pour ainsi dire le gourou du groupe, personnage charismatique, un rien mystérieux, toujours vêtu de blanc, grand et sec au physique, les yeux perçants ; il compense une large calvitie frontale par des cheveux qu’il porte longs sur l’arrière, attachés en une queue de cheval. De la canne qu’il garde constamment en main il n’a nul besoin si ce n’est pour se donner un genre « artiste » et ponctuer ses péremptoires affirmations de mouvements vigoureux. Les adhérentes féminines du Club lyrique catalan – elles lui donnent du « Maître » – lui sont toutes, quel que soit leur âge, dévouées corps et âme – ces temps-ci, il a jeté son dévolu sur la secrétaire de l’association, Sylvie Pichette, une sorte de geisha maniérée et surmaquillée.

 

Sylvie Pichette, 42 ans, célibataire, secrétaire du Club lyrique catalan. Occupe la plus grande partie de son temps à intriguer pour conserver sa place – après avoir longtemps intrigué pour l’obtenir – de favorite du Maître. Le reste du temps est employé à soigner et parer sa personne physique pour conforter le résultat précédent. Elle voue une grande animosité à toutes les adhérentes du Club qui s’approchent à moins d’un mètre du Maître, et garde, sait-on jamais, les ongles longs et affûtés. Sa principale concurrente, Nadine Hardtmeyer, est affublée en privé de tous les défauts du monde dont ceux, les plus graves à son goût, de l’infidélité et du laisser aller du corps – elle ne manque jamais une occasion, en sa présence, de se ventiler le visage à l’aide d’un prospectus, comme pour disperser de mauvaises odeurs.

 

Nadine Hardtmeyer, 34 ans, mariée, une fille de huit ans, garde sur les autres adhérentes du club, vis à vis du Maître, le bénéfice de l’âge. Parmi les six personnes présentes, elle est la seule pour qui l’art lyrique représente la première motivation du voyage. En qualité d’ex favorite du Maître elle se placera juste derrière lui dans l’autobus, aux côtés de son mari.

 

Vladimir Nevski, 41 ans, technicien en éclairage public, a été autrefois initié par son épouse Nadine Hardtmeyer aux délicates variation de l’art lyrique mais il n’en a jamais ressenti les subtilités ni compris les artefacts et les codes. Ayant eu vent par d’anonymes délatrices des relations que son épouse entretint un temps avec le Maître, il est là dans ce bus, certes pour la surveiller, mais aussi pour être au plus près, le temps de ce voyage, de Jocelyne Rivière, une femme admirable selon lui, qu’il convoite en secret depuis quelques mois.

 

Jocelyne Rivière, 39 ans, veuve, sans profession. A gagné le concours d’art lyrique de la ville de Perpignan en 1991. Elle s’est longtemps prévalu de ce titre comme d’une exploit hors normes, mais quand les autres membres du Club ont appris qu’elle était alors la maîtresse du Maire et la seule concurrente autorisée à concourir dans la catégorie des altos, elles l’ont surnommée La diva des corridors. Elle détient par ailleurs certaines informations compromettantes sur les mœurs de Valérie, qui lui permettent d’orienter en sous-main la politique générale du CLC.

 

Valérie de La Roque Tremblay, 68 ans, sœur de Michel de La Roque Tremblay, et à ce titre, objet de toutes les attentions et de toutes les assiduités de la part des autres adhérentes du Club. Etre dans les papiers de Valérie c’est avoir un pied au paradis. Elle observe ces petites manigances, ces petits combats autour de sa personne de l’œil condescendant de celle qui a passé sa vie dans l’ombre du grand frère et se place au dessus de tout ça.

 

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