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21 septembre 2013 6 21 /09 /septembre /2013 17:50

 

MÉMOIRE ADRÉSSÉ À L'ACADÉMIE DES SCIENCES ET BELLES LETTRES DE MONTPELLIER ET DÉFENDU EN SÉANCE D'ICELLE LE 14 MAI 1783, PORTANT RÉFUTATION DE LA THÈSE DU SIEUR JACQUES D'OMBREVILLE SELON LAQUELLE LES INSTRUMENTS DE MUSIQUE AURAIENT UNE ÂME. PAR ISIDORE DUPONT D'ALIGNAN, PROPRIÉTAIRE HUMANISTE. 

 

 

Chers académiciens, chers confrères,

 

 

Les bancs de notre académie on vu défiler quantité de savants dont nous pouvons honorer la mémoire et à propos desquels nous devons nous enorgueillir des lumières qu'ils ont apportées au monde. Mais notre histoire hélas est aussi constellée de quelques uns de ces faux-savants dont la seule vertu est de se parer des atours de la science sans que leur nature ne se montre jamais à la hauteur de leur art prétendu.

Permettez-moi tout d'abord de faire un rapide exposé de la théorie de monsieur d'Ombreville, lequel, tout à sa foi aveugle a publié un ridicule opuscule grâce auquel il envisage certainement de passer à la postérité aux côtés du sieur Arouet. Pardonnez-moi le sarcasme, mais n'est pas Voltaire qui veut. Car la véracité d'une opinion n'est pas conséquente à son émission.

Cet individu ci-présent ne mérite pas sa place sur les bancs de cette digne assemblée, parmi les plus brillantes figures de notre temps.

Qu'en est-il de sa théorie ? Elle n'est qu'un ramassis de crétinisme fait à la mode, pour se hausser du col ; fatuité d'un personnage ne cherchant qu'à se rendre premier parmi les premiers au risque de discréditer l'ensemble des savants ; orgueil démesuré, sentiment de supériorité que rien ne permet de justifier. Rendons grâce à Dieu que le peuple ne s'intéresse pas à nos affaires, nous serions à l'heure qu'il est la risée de la France entière. Je vous en prie d'Ombreville, vous eûtes votre heure de gloire à cette même tribune, laissez-moi mener ma démonstration à son terme. Ce personnage, qui a l'outrecuidance de jouer les offensés, ce personnage-là messieurs les académiciens, prétend que les instruments de musique ont une âme. Rien de moins. Des choses faites de bois et de métal, de tripes de chat et de crin de cheval. Cher bigot d'Ombreville, en lieu et place de défendre vos croyances par votre opuscule, vous ne fîtes qu'en révéler les limites, souffrez-en la critique et défaites-vous de votre jabot au risque de périr sur l'heure étouffé dans votre indignation et par son nœud trop serré, vous êtes tout rouge.

Oui messieurs, car il va de soi que si les instruments de musique ont une âme c'est qu'il les prétend habités du souffle de Dieu. Imaginerait-on un objet – un objet messieurs ! - habité du souffle de Dieu ? D'Ombreville, il m'a rarement été donné de tant rire à la lecture d'un ouvrage prétendument destiné à servir la science.

Je ne peux résister à la tentation chers collègues de vous en faire lecture de quelque passage, cette licence que je m'octroie d'occuper à cela une part de votre temps me sera pardonnée au plaisir que vous y prendrez.

Voici donc :

« Là où la nature ne se peut jamais ordonner en une suite logique de sons le basson peut le faire. Nous passons ici de l'innocence de l'oisillon poussant ses trilles au hasard, à la présence du clavecin organisant les accords, la mélodie, modulant le tempo. Le chant du ruisseau menu de nos montagnes est dû à la seule déclivité du terrain, celui de la harpe tout au contraire fait image de l'organisation de l'univers. Le musicien n'est pour rien à l'affaire, il n'est qu'un instrument au service de son instrument, lui même habité d'une volonté supérieure. Il nous paraît inutile de pousser plus loin la démonstration tant elle est criante de vérité, si la chose est possible c'est que le souffle de Dieu court sur les archets et les cordes des violes, se glisse dans les cors et les bassons. Dieu est partout donc Dieu est ici. »

 

Douze pages. Douze feuillets arrachés à la stupidité. Et fort heureusement vous nous fîtes l'épargne, d'Ombreville d'étaler votre galimatias sur des centaines de pages. Mais je crois que cela est dû davantage à la pauvreté de votre pensée qu'à l'envie que vous en eûtes. Vous dûtes surseoir, j'en suis certain, tari par la maigre épaisseur de votre pensée, et par la propension que vous avez à dire les choses dans leur plus simple appareil.

S'il vous eût été donné la faculté de le faire, si votre Dieu n'avait pas été aussi avare de verser en vous le talent le permettant, nul doute que vous eussiez empli des cahiers entiers de cette science pour boutiquiers.

 

Je vous épargnerai, messieurs, le passage suivant dans lequel celui qu'il faut bien nommer l’auteur, prétend que les femmes ayant leurs menstrues ne doivent pas s'approcher d'un orchestre en train de jouer, ni même de la salle où le concert est donné, au risque que les instruments se désaccordent et que l'ensemble se mette à jouer faux. A-t-on déjà entendu pareilles billevesées ? Mais baste, je crois que chacun ici a compris de quoi il retourne, laissons à d'Ombreville la responsabilité de ses assertions, lesquelles, chacun le sait ne se rapportent en réalité qu'aux liquides en fermentation.

 

Il est un fait que même l'être le plus vil et le plus bas, même le plus fermé à la connaissance, et aux Ecritures, même celui-là sait que la seule création de Dieu est l'homme. Ce préalable aurait dû arrêter notre homme aux portes de l'imprimeur.

Avez-vous songé à ceci d'Ombreville, que si l'affaire que vous défendez était telle que vous la dites, l'ensemble des instruments de musique auraient dû se trouver dans le jardin d'Eden, aux côtés d'Adam, en tant que création divine ? Que je sache, à moins d'avoir mal lu, les Saintes Ecritures, ne mentionnent pas ce fait. Mettre cela sur le compte d'un oubli c'est faire offense aux Saintes Ecritures, en d'autres temps cela vous eut valu le bûcher.

 

L'âme d'un instrument de musique cher d'Ombreville, ne vaut que par celui qui en joue. Mettez un niais à un clavecin vous n'y trouverez que du bruit, des sons sans suite que d'aucune façon vous ne sauriez nommer musique. Il faut à l'instrument la délicatesse du musicien, sa lecture de l’œuvre, sa puissance, son corps, son harmonie, en un mot il faut à la musique l'âme d'un homme.

D'ombreville est bien né mais la naissance ne fait pas le savant ; il conviendra tantôt de nous signifier qu'elle n'est pour rien aux qualités de l'esprit.

 

En conséquence à cette affaire, je propose que le sieur d'Ombreville soit démis de sa qualité de correspondant de l'Académie et qu'il lui soit désormais interdit de faire figurer le nom d'icelle sur les ouvrages qu'il publierait à l'avenir.

Si l'Académie ne me suivait pas dans cette proposition je m'en retirerais de mon propre chef, lui laissant responsabilité de donner crédit aux pires sottises de ses membres.

 

 

 

  2013 0202

 

 

 


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