Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 août 2011 1 08 /08 /août /2011 23:41

 

LOCATAIRES SUCCESSIFS DE LA MAISON DE VACANCES SITUEE AU 29, RUE DES VOISINAGES HARMONIEUX A SAINT-PIERRE-LA-MER, EN FRANCE, DANS LE DEPARTEMENT DE L'AUDE (FIN XXe-DEBUT XXIeSIECLES)

 

 

[NOTE PRELIMINAIRE 1 : Cette maison de vacances a été érigée dans une station de vacances, au sein d'un lotissement de vacances, vers le milieu des années soixante, dans une époque où il était indifférent aux autorités de sacrifier des espaces naturels aux prétendus besoins d'évasion créés par la monotonie de la vie citadine. Chacun, dans ces cas-là, souhaitant voir de sa fenêtre dès le matin l'horizon de la méditerranée, chacun souhaitant n'avoir que quelques pas à faire pour y plonger son corps, chacun souhaitant pouvoir retrouver un semblant de vie sauvage en disposant à tout moment de la journée de la possibilité de faire cuire des sardines au charbon de bois sous le linge étendu des voisins, le projet de construction du lotissement s'était en toute logique nommé « Front de mer », ce qui avait eu l'avantage d'en faire vendre les parcelles en quelques jours, alors que les propopèles et les phlatifrages couvraient encore le sol. Le métreur du projet avait d'ailleurs lui-même acquis une dizaine de lots pour son propre compte avant que le prix des terrains ne fut multiplié par cent cinquante, car le délit d'initié n'existait pas encore, du moins il n'était encore guère risqué de le pratiquer. Mais de front de mer avec vision directe sur la calme étendue maritime, il n'en fut finalement question que pour le vasistas de la salle de bains des dix maisons en bout d'alignement des cinquante quatre autres, car pour rentabiliser l'espace pris sur la nature l'alignement des maisons avait été disposé en épi plutôt que face à la mer. On l'aura compris les dix maisons en question avaient été construites sur les parcelles acquises par le métreur, ce qui aurait pu leur donner une plus value incontestable si le promoteur n'avait décidé d'équiper les salles de bains de fenêtres fixes (c'est à dire impossibles à ouvrir) et ne les avait pourvues de vitres en verre dépoli. Mais de cela, notre métreur se moquait comme de ses dents de lait, étant donné que les maisons furent revendues à l'unité à peine construites. Celle qui nous intéresse ici, située, donc, au 29 rue des voisinages harmonieux et dont la fenêtre de la salle de bains pourrait donner sur la mer si elle s'ouvrait, faisait partie de ce lot. Elle comprend une pièce – que l'on pourrait qualifier de grande en comparaison avec les autres espaces –, en forme de couloir un peu large tenant lieu de salle de séjour-salle à manger, prolongée en son extrémité d'une cuisine aménagée et surmontée à mi hauteur d'une mezzanine sur laquelle on peut faire tenir un matelas. Une échelle de meunier en pin conduit à l'étage où se trouve une chambre et une salle de bains dont la fenêtre pourrait donner sur la mer si elle n'était scellée. ]

 

 

 

[NOTE PRELIMINAIRE 2 : La maison fut revendue le 14 octobre 1969 à Marcel Folant propriétaire récoltant sur la commune de Marcorignan (Aude) qui investit dans cet achat toutes ses économies ; il se refusa à la louer la première année car il était honnête homme et ne souhaitait pas faire vivre des estivants dans des odeurs de peintures et de plâtre encore mal séchés. Marcel Folant bichonna sa maison de vacances plus que la sienne propre, ne tenant à prêter le flanc à aucune critique, il la meubla de meubles neufs, ou du moins en excellent état, ce qui n'était pas le cas, loin s'en fallait, des maisons voisines, équipées à la va-comme-je-te-pousse, d 'éléments parfois même récupérés dans des décharges municipales, il l'a vu des ses yeux, il l'a même entendu dans la bouche d'un de ses voisins-propriétaires, on va pas s'emmerder pour des parisiens qui sont là un mois par an – un argument, bien entendu, à même de justifier toutes les dérives. Quoi qu'il en soit la période de rentabilisation de l'achat de Marcel Folant débuta avec la famille Bringuier au mois de juillet 1970, pour la somme de deux mille cinq cents francs le mois, Monsieur Folant réservant le mois d'août pour sa propre famille, comme il le fera chaque année jusqu'à son décès, le 20 novembre 2010. Il aurait pu tomber, comme cela arrive parfois, sur un de ces couples qui, leur vie durant se rendent en vacances au même endroit, cela lui aurait simplifié la gestion de ses locations mais ce ne fut pas le cas.]]

 

 

filsélec2

 

 

JUILLET 1970 à JUILLET 1976 – COUPLE BRINGUIER

 

Diane et Jean Bringuier ont tous deux vingt-huit ans en juillet 1970. Ils se sont mariés quatre ans auparavant et ne sont pas parisiens – mais ils seront par tous ici qualifiés de parisiens en raison de leur accent, ou plutôt en raison de leur absence d'accent local. Ils n'ont pas d'enfant et ne souhaitent pas en avoir car, prétendent-ils « ce serait un crime que de mettre au monde un enfant pour le livrer aux forces capistalistiques d'oppression, il vaut mieux écouter Carlos Santana et Jimy Hendrix en fumant de l'afghan ». Ils sacrifient mollement à la mode des vacances en bord de mer à la seule raison d'inviter des amis et de se livrer avec eux à toute sorte de jeux sexuels, c'est leur conception des vacances, une période qui permet d'engranger des souvenirs pour le reste de l'année. Les voisins parfois se sont plaints de voir déambuler des gens nus à travers la baie vitrée donnant sur le jardinet de devant, mais ils s'en moquent, ils n'ont que ces trente jours avant de replonger dans la grisaille et le crachin – ce qui ne les empêchera pas, même en hiver, même dans leurs périodes laborieuses, d'écouter Carlos Santana et Jimy Hendrix en fumant de l'afghan.

Diane Bringuier enseigne la littérature du 19e siècle à l'université, en égrenant à longueur de cours les atermoiements d'Emma Bovary, ou en balayant le champ sociologique couvert par l'indifférence affichée du Frédéric de l'Education sentimentale – c'est aussi au sein de cette même université qu'elle se fournit en afghan et souvent, en compagnons de jeux sexuels. Jean Bringuier est représentant de commerce, il va sur les routes pour essayer de vendre à des paysans bougons ou à des épicières alanguies des chemises et des pantalons de Tergal à la coupe et aux coloris passés depuis des années. C'est ainsi que Jean, recrute parfois ses ami(e)s de vacances, en proposant à ses meilleures clientes de les rejoindre quelques jours sur la côte.

Lors de l'été 1976, pendant une de leurs fêtes décadentes, Diane Bringuier s'entiche d'un trompettiste d'orchestre et quitte Jean Bringuier au prétexte que lui au moins (le trompettiste), il sait s'y prendre, sous-entendant par là que ce dernier excellait dans l'art du cunnilingus, la pratique favorite de Diane, ce que Jean avait toujours considéré comme une habitude exécrable lui coupant toutes ses envies – et bien que cette pratique le laissât toujours au bord de la nausée, il y sacrifiait cependant de temps en temps pour faire plaisir à sa compagne, c'est la raison pour laquelle il n'accepta jamais ce fallacieux argument. Jean tombera ensuite dans la dépression et ne sera sauvé de la déchéance que grâce au trompettiste qui lui présentera une choriste de laquelle il (Jean) tombera amoureux immédiatement, cela s'appelle un coup de foudre, il en va ainsi de la triviale condition humaine.

 

Cette rupture dans le couple Bringuier mettra un terme à leurs vacances estivales, balnéaires et libidineuses.

 

 

JUILLET 1977 à JUILLET 1983 – FAMILLE ASTRAUP

 

Michel Astraup est un ancien ouvrier qui a réussi à force de travail à se hisser au rang, inimaginable en début de carrière, de contremaître de classe exceptionnelle – il s'agit d'un grade, non d'un état. Contremaître de classe exceptionnelle à La Montagnarde, une usine de pièces détachées pour machines agricoles. Qu'un ouvrier ne prenne pas de vacances, cela semblait naturel mais il n'en allait pas de même d'un contremaître, un contremaître se devait de faire bonne figure – ne serait-ce que pour en mettre plein la vue à la masse de ses congénères restés ouvriers. Ainsi, après douze années de congés payés passés devant le Tour de France – tandis que les enfants étaient envoyés en colonie de vacances grâce aux subsides de la mairie –, Michel Astraup avait pris le taureau par les cornes et décidé que c'était terminé, maintenant qu'il était presque cadre il devait partir en vacances. Lui et sa famille. N'importe où mais partir. Dans n'importe quelles conditions mais partir.

Il ne gagnait pas assez pour acheter une caravane ?

Et alors ? La belle affaire.

Une location, la 504, la mer.

Simple.

Simplissime.

Où était le problème ?

Qui avait parlé de problème ?

Il n'y avait pas de problème.

C'est ainsi que la famille Astraup – de Francine, l'épouse légitime, il ne sera pas question ici car elle n'a aucun droit de décision dans les affaires familiales, quant aux trois enfants, inutile même de mentionner leur existence –, c'est ainsi que la famille Astraup, au prix d'efforts permanents consentis tout au long de l'année, transita chaque été de son quatre pièces de 80 mètres-carré à cette maison de vacances de quarante trois pour la durée du mois de juillet.

Pour éviter l'étouffante promiscuité de la maison, la mère et les enfants occupaient la plupart de leur temps en allant pêcher à l'épuisette des palourdes qu'ils consommaient le soir même en persillade. Les garçons râlaient en permanence et la fille était empêchée de sortir car trop jeune encore – toujours trop jeune même les années passant, la jalousie du père s'aiguisant en même temps que se développaient les formes de la fille.

Les bains de mer vidaient les énergies et rougissaient les peaux, les parents parfois allaient danser au camping de La Loutre balnéaire sur des musiques d'un autre âge, ils y croisaient d'autres vacanciers qui, comme eux essayaient de se désennuyer en attendant la rentrée, ils y critiquaient ce lieu, tout juste bon pour les vacances mais à la limite on serait mieux ailleurs, ils y retrouvaient parfois des couples rencontrés les années précédentes, bref, la famille Astraup menait sa vie de famille ordinaire en vacances ordinaires.

A partir de juillet 1981 les garçons réussirent à faire accepter à leur père l'idée de planter une tente dans le minuscule jardin à l'arrière de la maison. Outre l'avantage considérable de ne plus entendre le père ronfler, ce dispositif leur permettait de temps en temps de filer en douce écouter les Rolling Stones à « L'oeil », la boîte branchée du coin. L'inconvénient majeur était que la tente se trouvait exposée au soleil dès le matin et qu'ils s'éveillaient inondés de sueur, le jardinet ne se trouvant ombragé ni par des arbres ni par un quelconque store – cela faisait beaucoup rire leur père.

Ce fut cette tente, en juillet 1983 qui fut à l'origine de la fin du rituel annuel de location.

 

Le 14 juillet 1983, alors que leur fille avait prétexté une fatigue excessive et que, rentrant prématurément de l'absence de feu d'artifice annulé pour cause de trop grand vent, les Astraup père, mère et fils, entendirent ensemble à l'approche de leur maison, ce n'était donc pas un effet de leur imagination, entendirent ensemble en provenance de la tente, les cris de leur fille en proie à une occupation dont la nature ne laissait aucun doute.

 

L'ambiance des vacances en prit du plomb dans l'aile.

 

Le père fut conduit à l'hôpital de Narbonne, avec, au cœur, une lésion bénigne mais irrémédiable. A son retour, trois jours plus tard, les bagages furent empilés dans la 504, on ferma la maison et on s'en repartit sans un mot vers l'appartement de Montereau-sur-le-Jard essayer de reprendre dans la douleur une vie normale.

 

[Dans les jours, les mois, les années qui suivirent, les Astraup ne repartirent plus jamais en vacances ni n'en évoquèrent la possibilité. Un certain nombre de mots, dont on trouvera la liste ci-après, fut définitivement banni du vocabulaire familial – et s'il arrivait que l'un d'eux échappât au cours d'une conversation ou pendant un repas, le père aussitôt blêmissait et se fermait, rétif à toute tentative de consolation, le regard perdu dans le vague, absent, ailleurs, muré dans ses noires pensées pour un temps proportionnel à la gravité de l'offense à la mémoire.

 

Ajoutons que cette liste a longtemps été mouvante, jamais close ni arrêtée, et qu'à n'importe quel moment pouvait surgir un vocable nouveau propre à plonger le père dans son état de béatitude prolongée :

 

plage, tente, 14, juillet, 14 juillet, vent, feu d'artifice, pétard, nuit, nocturne, noir, famille, fille, pétasse, cris, défilé, fête nationale, char d'assaut, camping, vacances, congés, capote, location, canadienne, sardine, piquet, matelas, été, halètements, rue, sexe, sel, mer.]

 

 

 

 

La robe de la princesse

 

 

 

JUILLET 1983 à JUILLET 1990 – MARCELLE ZANGONIO

 

Marcelle Zangonio, 37 ans en 1983, comptable dans un cabinet d'expertise en assurances, célibataire sans enfant.

Sans être lubrique ni perverse, mademoiselle Zangonio déployait rituellement durant les mois de juillet la panoplie complète de ses capacités de séduction.

En temps normal, c'est à dire en dehors de ce mois de vacances, elles détestait se frotter contre les hommes, elle détestait leur compagnie, leur odeur, leur sexe dressé et menaçant ; en temps normal elle savait se faire repoussante pour qu'ils ne l'approchent pas et elle y parvenait sans problème : les malheureux impétrants ayant effectué des manœuvres d'approches s'étaient vu traîner dans la boue de la dénonciation publique, accusés parfois de harcèlement pour être arrivés au travail avec un bouquet de fleurs.

Mais en juillet c'était autre chose.

En juillet elle ne se refusait rien.

Ni les laids ni les vieux ni les jeunes. Rien.

Tout ce qui, dans l'engeance humaine s'apparentait à un mâle, quel que fut son état, quelle que fut sa condition, pouvait trouver grâce ses yeux.

En juillet, aucun des employés du cabinet n'aurait reconnu la comptable modèle aux éternels tailleurs-pantalons et aux chignons austères. Ils ne l'auraient reconnue ni dans ses tenues, ni dans ses comportements.

Pour Marcelle Zangonio, les vacances, c'était ça et uniquement ça, un homme différent chaque soir.

Car chaque soir elle rentrait avec un homme différent.

Chaque soir elle se couvrait de transparences qui voilaient à peine son corps et s'en défaisait avec la plus grande facilité.

Chaque soir elle faisait résonner ses cris jusque tard dans la nuit.

La seule condition à ce qu'un homme entrât chez elle – et en elle – étant qu'il soit parti avant qu'elle soit réveillée.

Les frasques de sa locataires coururent les rues et les routes, et arrivèrent jusqu'aux oreilles du propriétaire qui n'y prêta guère attention mais se dit que tout de même, cette maison devait avoir quelque chose, elle attirait le sexe comme d'autres le malheur – à tout prendre, pensa-t-il encore, la chose était plus acceptable que les deux suicides en cinq ans de la rue des Conversations philosophiques.

Mademoiselle Zangonio adorait les statistiques, et au final, avec un total oscillant entre 25 et 30 hommes dans le mois, c'était beaucoup plus que ce dont la plupart des femmes de son âge pouvaient s'enorgueillir pour une année. Sur le plan des statistiques pures, elle était pleinement satisfaite.

En 1990, la moyenne mensuelle étant tombée en dessous de 10, mademoiselle Zangonio décida de mettre un terme à ses aventures estivales et consacra désormais ses vacances à la création d'un herbier francilien.

 

 

JUILLET 1991 – JULIETTE ET KARIM BENSAOUI

 

Le propriétaire, M. Folant, pensait pour une fois avoir trouvé dans le couple Bensaoui des gens ordinaires, normaux, pourrait-on dire, si tant est que cela existe. Ils s'étaient même engagés au moment de la signature du bail à revenir chaque année jusqu'à l'âge de leur retraite qui ne devrait survenir, si tout allait bien, qu'une trentaine d'années plus tard.

Ces gens étaient jeunes et sains, ils gagnaient bien leur vie, et M. Folant pensa également qu'ils devaient avoir des pratiques sexuelles s'inscrivant dans les normes de la bienséance quant au voisinage.

Bien sûr M. Folant ignorait tout des soirées déguisées que le couple pratiquait régulièrement, lui en femme, elle en homme, soirées au cours desquelles il leur arrivait de se blesser cruellement à la seule fin d'augmenter la capacité de jouissance des corps.

Pourtant, ces pratiques se déroulant toujours derrière des rideaux tirés, personne n'y trouva rien à dire car personne n'en fut informé.

Malheureusement pour tous, à la fin de ce premier séjour méditerranéen Juliette et Karim Bensaoui se tuèrent sur la route du retour, leur voiture fracassant un parapet et allant s'écraser sur les rochers trente mètres en contrebas, comme Jean-Louis Trintignant et la voiture de Vittorio Gassman dans Le fanfaron, exactement comme ça.

 

 

JUILLET 1992

 

Avant même d'entrer dans la maison, le 1er août 1992, M. Folant sentit que quelque chose clochait, il en eut l'intuition immédiate, intuition confirmée dès que, après avoir ouvert la porte, il fut confronté au spectacle de sa maison dévastée.

Rien de ce qui pouvait être cassé n'était resté entier.

Partout sur le sol de la vaisselle brisée.

Des lampes renversées, des bibelots émiettés, des couches de bébé usagées jetées n'importe où, des bouteilles d'alcool vides, des paquets de cigarettes, des emballages alimentaires, des mégots de cigarette, des cendriers pleins, des vêtements sales abandonnés, des taches, du vomi, des préservatifs.

La cuisine manifestement n'avait pas été nettoyée du mois. La gazinière présentait sur toute sa surface émaillée une croûte noirâtre qu'il serait impossible de faire revenir, le sol était jonché de détritus, de restes de repas vieux de plusieurs jours, couverts de moisissures, les murs eux-mêmes étaient badigeonnés par endroits de traces douteuses et du frigo resté ouvert dégueulaient des coulures d'un liquide jaunâtre.

 

L'ensemble baignait dans une odeur âcre de vieille maison fermée depuis des décennies, mêlée aux relents des couches sales.

 

Cela ne ressemblait pas aux suites d'une bataille mais aux stigmates d'un comportement aux portes de la barbarie.

 

Il fallut à M. Folant une bonne dizaine de minutes pour émerger de la stupeur.

Même les bêtes souvent nettoient leurs lieux de passage, pensa-t-il.

Ce que M. Folant avait sous les yeux lui fit aussitôt rayer de sa mémoire les noms des occupants de juillet et jusqu'à leur visage. Il se refusait de penser qu'il avait pu faire entrer dans sa maison des gens capables de faire ça.

Qu'il avait pu se tromper à ce point.

Ne voulut plus rien avoir à faire avec eux.

Essaya mais en vain d'arracher la vision de sa mémoire.

Décida en conséquence d'agir le plus vite possible et investit beaucoup plus que ce qu'avait rapporté la location de juillet.

Ce fut la société Cleanrapid qui s'occupa du nettoyage.

La gazinière fut changée, les murs repeints, remplacé le matelas de la mezzanine.

Cette année-là, la famille de M. Folant n'occupa pas la maison au mois d'août.

 

 

 

maison

 

 

 

JUILLET 1993 à JUILLET 1999 – HUGUETTE ET SIMON CARSALADE

 

 

En 1993, Huguette et Simon Carsalade ont tous deux autour de la soixantaine. Leur plus grand plaisir est d'organiser chaque soir un apéritif dans le jardinet de la maison où ils invitent tous les voisins qui veulent bien y participer.

Ils amènent chaque année de l'Aveyron une pleine voiture de salaisons de toute sorte.

Huguette se met en quatre, passe souvent une partie de l'après-midi, au lieu de profiter de ses vacances à la plage, à préparer les apéritifs du soir.

Il faut dire que les Carsalade n'aiment guère les joies de la plage et de la baignade en eau de mer, « on rentre du sable dans toute la maison, après » se plaint souvent Huguette ; il ne viennent là, les Carsalade que pour sacrifier à une sorte de rite, simplement parce que Simon a lu un jour dans le Point que ne pas partir en vacances sur le bord de la mer était un signe de pauvreté – et s'il est une chose que déteste Simon c'est donner à penser qu'il est pauvre.

On ne peut pas dire qu'ils soit riche mais de là à être pauvre ça fait deux.

Alors en été, ils partent en vacances, c'est comme ça.

Même si ce sont plutôt des montagnards, ils partent en vacances à la mer.

Quitte à ne pas mettre les pieds à la plage du mois.

Quitte à repartir aussi blancs que ce qu'ils sont arrivés.

 

Et pour donner quelque sens à ces vacances absurdes, en point culminant à une journée d'ennui et de farniente, sur le coup des 19 heures, Simon sort sur le pas de la porte et hurle à la cantonade : « Paaaaaaaaaastiiiiiis ! »

 

La première année, il ne lui a fallu que deux ou trois soirs pour rassembler un cercle de fidèles.

 

En juillet 1999, Huguette et Simon savent tous deux que ce sont leurs dernières vacances ensemble, Simon est atteint d'un mal qui ne lui laissera que quelques mois de vie.

Ils font comme si de rien n'était.

Dans la douleur, ils font comme si de rien n'était.

Vaquent jour après jour à la préparation des apéritifs quotidiens.

 

Au soir du dernier apéritif, comme chaque année tout le monde s'embrasse en larmes, en se promettant de se donner des nouvelles avant l'année prochaine.

 

 

JUILLET 2000

 

 

La maison, endommagée par une forte tempête d'hiver n'a pu être louée cette année. Avant d'entamer les travaux – en particulier la réfection du toit – il a fallu que se succèdent divers experts mandatés par la compagnie d'assurance de M. Folant, puis divers artisans pour réaliser les devis nécessaires.

L'affaire ayant traîné plusieurs mois, et les artisans prenant eux aussi des vacances en été, les travaux n'ont pu commencer qu'au mois de septembre.

 

 

JUILLET 2001 – GASPARD LEPLEUMELEC

 

 

Veuf de fraîche date, Gaspard Lepleumelec s'est décidé à soixante douze ans, après des années d'ascétisme, à « descendre sur la côte mener la grande vie ».

L'expression est de lui.

Il l'a assénée un soir de février à son copain Emile en frappant du plat de la main sur le comptoir du Bar des sportifs repentis, rue des sportifs repentis, à Tilloy-les-Mofflaines, dans le département du Pas de Calais :

 

— Cet été l'Emile, j'descends sur la côte mener la graaaaande vie !

— La graaaande vie ? 

— C'est ça, la grande vie.

 

Après digestion de la nouvelle dans un silence lourd de sous-entendus, Emile avait dit :

 

— Mais qu'est-ce t'entends par là, Gaspard, la graaaaande vie ?

— J'te dirai ça au retour.  

— Tu déconnes, t'iras jamais.  

— J'irai.  

— T'iras pas, c'est pas pour nous ces conneries, et d'abord où tu trouverais l'argent ?  

— Oh ça, t'inquiète pas, La Mariette, elle est pas partie pour rien, ah ah.

 

L'incident était clos et il n'avait plus été question entre eux de ce séjour sur la côte jusqu'à ce qu'Emile voit de ses propres yeux son vieil ami monter dans le TGV direct Lille-Montpellier.

Après le départ du train, il en était resté sonné un long moment, anéanti surtout par la perspective de ce mois de juillet à passer dans la solitude.

 

Peut-être Gaspard Lepleumelec avait-il vu trop de films, ou peut-être s'était-il imaginé autre chose, une vie plus proche de celle menée dans les grands hôtels de la côte d'azur, où les dames, pensait-il, ne se montrent qu'en robe de soirée et où les serveurs, malgré l'écrasante chaleur, officient en veste blanche, tandis que sur la corniche en contrebas circulent les limousines de luxe aux vitres teintées. Une vie de facilité et de romances bon marché.

Au lieu de quoi, Gaspard Lepleumelec fut confronté à longueur de journée à des braillements de bébés déconcertés par la trop grande chaleur, et à longueur de nuits par des fêtards ivres et vulgaires arpentant les rues et la plage en chantant des chansons paillardes.

S'il est une chose que Gaspard Lepleumelec déteste par dessus tout c'est bien la vulgarité et le laisser aller.

Il les observa plusieurs soirs de suite.

Au prétexte des vacances, ces gens apparemment s'accordaient l'autorisation de la régression, ils laissaient la bête en eux poindre le bout de son groin, et mieux valait ne pas être une femme passant à leur portée.

Mieux valait.

Mais un vieux, personne n'y faisait cas.

Au bout d'une semaine il n'en pouvait plus.

Ne trouvait le sommeil qu'au petit matin pour être réveillé deux heures plus tard par la chaleur.

Le moindre cri d'enfant le faisait sursauter.

Pays de fous.

Personne ici ne se contrôlait, on aurait dit que tous s'étaient donné le mot pour péter les plombs.

Pays de fous.

Il n'avait jamais connu pareille chaleur.

Même l'eau de la mer était tiédasse.

Qu'est-ce qu'il allait raconter à l'Emile ?

Il se donna encore une semaine.

Essaya de sortir le soir à la rencontre d'une atmosphère, d'un lieu qui répondrait à ses attentes, peut-être en existait-il un, quelque part. Il sillonna les rues, mais ne fut confronté qu'à des musiques agressives et à des familles abandonnant leurs enfants à eux-mêmes. Ou bien les gavant de glaces pour les faire tenir tranquilles.

Gaspard ne comprenait plus le monde.

L'Emile avait raison, ces conneries c'était pas pour eux.

Il entra tout de même au Saïgon, un soir sur le coup des onze heures, parce que le nom lui rappela un bordel qu'il avait connu autrefois, où il avait croisé parmi les plus belles femmes du monde, mais ici, le Saïgon n'était qu'un restaurant, un simple restaurant qui ne servait plus à cette heure-ci, désolé monsieur, revenez demain, nous vous accueillerons avec plaisir.

Tous les visages de la salle étaient tournés vers lui, avec dans les yeux, cette interrogation muette, à la limite de l'accusation : que fait ce vieux ici à cette heure ?

Il se replia en hâte.

 

Le lendemain, après deux semaines de séjour, il faisait ses bagages et commandait un taxi pour l'emmener à la gare de Narbonne.

C'est l'Emile qui allait être content.

 

 

JUILLET 2002 – FAMILLE JANSEN

 

 

La famille Jansen, venant d'Amsterdam (Pays-Bas), est composée des quatre personnes suivantes :

 

Annekee Jansen, la mère, 42 ans, resplendissante de blondeur et d'énergie, employée dans une banque internationale.

 

Joost Jansen, le père, 45 ans, cadre supérieur dans une banque internationale, longtemps défenseur absolu du libéralisme économique, un peu moins depuis que pèse sur son poste une menace de licenciement. Reste bel homme malgré une légère calvitie naissante.

 

Jade Jansen, la fille, 19 ans, aussi belle que sa mère avec la jeunesse en plus, fera en octobre prochain son entrée à l'université.

 

Jasper Jansen, le fils, 15 ans, grand et beau jeune homme en plein développement physique.

 

Statistiquement parlant tous les membres de cette famille sont donc plutôt beaux et trois d'entre eux ont des noms et des prénoms commençant par la même lettre.

 

 

Jusqu'à cette année 2002, et ce depuis une quinzaine d'années, la famille Jansen avait pour habitude de passer ses vacances à Benidorm, en Espagne, mais l'année précédente, Annekee Jansen avait eu une aventure (oh une toute petite aventure, une aventure de rien du tout mais tout de même une aventure) avec un serveur de restaurant répondant au prénom de Diego. Joost Jansen en avait pris ombrage et avait décidé que les vacances en Espagne c'était terminé, terminé de chez terminé, et que l'année prochaine ils iraient ailleurs.

L'année prochaine étant survenue, l'ailleurs s'était concrétisé dans cette location à Narbonne-plage, ce dont personne n'avait trouvé à redire, même pas Diego qui avait depuis longtemps oublié son hollandaise lubrique dans d'autres bras accueillants.

Dès les premiers jours de vacances, les Jansen prirent pour habitude, au retour de la plage, de s'arrêter boire l'apéritif au Miramar, un café dont la terrasse se trouvait à l'ombre des grands pins de la rue. Et chaque jour le jeune serveur faisait tout son possible mais sans grand résultat pour arracher son regard au décolleté plongeant offert par le maillot de bain de Jade, sous lequel décolleté, mince et bien vaine barrière de tissu, s'éployait une poitrine rebondie, exactement dans le genre de celles qu'il aimait – c'est à dire à peu près toutes.

 

Malgré l'apparente distance sociale entre eux, ce qui devait arriver arriva. Jade trouva le garçon gentil et attentionné, le garçon vit en Jade une des plus belles filles qu'il pourrait jamais conquérir ; ils se retrouvèrent un après-midi dans une pinède proche de la mer, les corps alanguis sur un matelas d'aiguilles de pin.

 

Mais le gentil garçon de café avait une gentille sœur à peine plus âgée que le gentil frère de Jade. Le matelas d'aiguilles de pin se trouvant suffisamment large pour accueillir ce petit monde avide de sensualité, chacun fit son affaire pour son plus grand bonheur. Les vacances sont aussi faites pour ça, se fabriquer des souvenirs et peut-être, qui sait, des regrets.

 

Pourtant, à son grand étonnement le garçon de café découvrit à l'instant crucial que sa réserve de préservatifs était épuisée. Vide la poche, en dehors d'un emballage, vide lui aussi. Il était trop tard pour reculer. Sa Hollandaise était là, pantelante, liquide, à demi dénudée, l'appelant de tout son corps, de toute la puissance de ses sens, il ne pouvait pas se relever d'un coup en lui disant «Oups, sorry baby i forgot my condoms, bye...» Non, une Hollandaise comme ça, de classe internationale, une hollandaise si hollandaisement hollandaise, ça ne se loupe pas, ça ne se laisse pas passer, une Hollandaise avec autant de trésors disponibles à portée de main, on n'y renonce pas, c'est tout. Alors le gentil garçon de café sortit l'emballage vide de sa poche, s'écarta légèrement de sa compagne et fit semblant de faire ce qu'il aurait dû faire en vrai.

Juste semblant.

Une Hollandaise n'ira jamais vérifier, pensa-t-il.

Effectivement la Hollandaise ne vérifia pas et se donna sans retenue au gentil garçon de café.

 

Jusqu'à la fin du mois de juillet le frère et la sœur Jansen se rendirent tous les jours dans la pinède à la rencontre du gentil garçon de café et de sa soeur – sans que l'incident du préservatif ne se reproduise.

 

Jusqu'à leur retour en Hollande, les parents ne surent rien de cette aventure – et de retour en Hollande, l'absence de règles n'inquiéta Jade que lorsqu'elle fut prise de nausées tous les jours au réveil.

 

Décidément, pensa le père dans un premier temps, il ne faut jamais faire confiance aux garçons de café ;

 

décidément, pensa-t-il ensuite, il va encore falloir changer de lieu de vacances l'année prochaine.

 

 

 

CP bleu

 

 

 

 

JUILLET 2003 – CHRISTELLE ET MICHAEL FRUEHAUF

 

Michael n'aime pas sa femme. Il s'est marié, plus pour satisfaire aux convenances, répondre à ce que la société attend d'un homme de son âge, que par conviction.

 

Christelle, ce qu'elle veut , c'est un enfant.

 

Michael ne veut pas d'enfant, surtout d'une femme qu'il n'aime pas.

 

Christelle a accepté ces vacances en pensant que ce serait le lieu et le moment idéals pour faire un enfant.

 

Michael a programmé ces vacances dans le but de tuer Christelle.

 

Christelle est une belle femme, la plupart des hommes la détaillent avec insistance, font glisser leurs yeux sur son corps avec envie.

 

Michael ne comprend pas pourquoi il n'arrive pas à aimer cette femme si belle.

 

Christelle n'a pas choisi Michael, Christelle ne choisit jamais rien, elle a pris le premier qui lui a manifesté plus d'intérêt que les autres.

 

Michael se demande comment il a pu en arriver à l'idée que la seule issue possible était la mort de sa femme. Une idée absurde mais qui maintenant est là et occupe toute la place en lui, pourtant il n'a pas de haine envers Christelle – c'est juste qu'il n'a pas non plus d'amour.

 

Christelle se demande si elle arrivera à aimer son enfant.

 

Ce que Michaël avait pris pour de l'amour, au début de leur liaison, n'était que l'incendie allumé par le corps de Christelle.

 

Michael s'est sermonné, on ne tue pas les gens comme ça, juste parce qu'on ne les aime pas, mais c'est la seule solution qu'il a trouvée.

 

Christelle semble glisser au dessus de l'existence, rien n'a de prise sur elle, ni les bons, ni les mauvais événements, peut-être un enfant la fera-t-elle changer.

 

Michael a loué un bateau, il veut partir très tôt un matin, disons lundi prochain, le 9 juillet, tant qu'il fait encore nuit. Une fois en mer il assommera Christelle et la jètera à l'eau. Simple et efficace.

Après il ira dire à la police que sa femme a disparu.

Après il sera libre.

 

Christelle se pare de sous-vêtements de grande classe et s'exhibe chaque soir devant Michael, en une pose lascive, mais c'est à peine s'il lève les yeux de son roman.

 

Pour Michael, le meurtre est plus facile que l'aveu de désamour.

 

Christelle ne s'étonne pas, le 9 juillet au matin de devoir quitter si tôt la maison, en règle générale, Christelle ne s'étonne de rien.

 

Michaël, en arrivant au port, s'étonne, lui, grandement, d'y trouver une bonne centaine de policiers – dont un certain nombre, bien entendu détaille au delà du raisonnable les courbes de Christelle – en train d'embarquer sur des vedettes.

Selon ses plans il ne devait y avoir personne.

 

Christelle distribue des sourires.

 

Michael se sent obligé de voir un signe à cette présence policière.

 

Christelle et Michael vont en mer voir le soleil se lever. En rentrant au port, Michael annonce à Christelle son intention de la quitter.

 

Comme tu veux, dit Christelle.

 

Michael et Christelle sont soulagés.

 

 

 

JUILLET 2004 à JUILLET 2011 – BERNARD ALBERT

 

 

Bernard Albert aime ce moment de l'année plus que n'importe quel autre. Non pas parce qu'il est en vacances, ou qu'il peut se reposer, mais parce quetout le monde est en vacances, et qu'il y a dans l'air une atmosphère différente, comme un air de liberté – de fausse liberté, peut-être, mais de liberté.

Et aussi, surtout, parce que ses potes sont loin.

 

A cinquante et un ans, la vie d'Albert, lorsqu'il n'est pas en villégiature sur la côte, est réglée par les vannes de ses camarades de travail. Il pourrait les énoncer avant qu'elles ne soient prononcées. Par exemple, à dix heures, au moment de la pause café, il y en a toujours un pour dire : «Allez les gars, dans six heures on ferme ».

Toujours.

Ou encore, dès qu'une femme jeune et belle entre dans le magasin, ce qui est plutôt rare, il faut bien le dire, il y a en toujours un pour murmurer : « Celle-là, je lui regarderais bien de près la marque du soutien-gorge ».

Toujours.

Comme si une femme jeune et belle pouvait se laisser regarder le soutien-gorge par l'un de nous, pense souvent Albert. Nous qui sommes gris. Eh, vous vous êtes vus les gars ? Regardez-vous une minute, vous avez vu comme nous sommes ? Nous sommes petits, habillés de blouses grises et nous marchons les épaules voûtées à cause, vous savez bien, à cause du plafond de l'arrière boutique qui est trop bas et qui fait que jamais nous ne nous départissons de cette rondeur du dos, comme si nous le transportions avec nous dans toute la boutique, ce plafond trop bas.

Ce qui fait que jamais une femme jeune et belle entrant dans le magasin ne s'est intéressée à l'un de nous.

Jamais.

Mais c'est un rituel, et comme tous les rituels, y déroger serait sacrilège. Alors il y en a toujours un qui se sacrifie, celle-là, je lui regarderais bien etc.

 

Voilà pourquoi Bernard aime les vacances, parce qu'il ne voit plus ses petits camarades qui, au bout de vingt cinq ans de vie laborieuse, commencent à lui peser au delà de tout. Plus que le plafond de l'arrière-boutique.

 

C'est peut-être à ça que servent les vacances, enlever ce poids.

 

Cette idée, alors qu'il vient à peine d'ouvrir la maison et d'y poser pour la première fois les valises, le 2 juillet 2004, cette idée le fait sourire. De même le fait sourire l'idée que quand Popaul arrêtera de picoler il ne confondra plus les boulons de 8 et de 12. Mais Popaul n'arrêtera jamais de picoler, pourquoi il arrêterait maintenant ? C'est pas quand la quincaillerie va fermer qu'il arrêtera de picoler Popaul. C'est un dur, Popaul, il a même fait de la prison quand il était jeune. C'est en sortant qu'il a commencé à picoler, d'ailleurs.

 

En dehors de ça, et pendant ces cinq mois de juillet courant de 2004 à 2009, Bernard Albert occupe toutes ses journées de la même façon et selon un emploi du temps extrêmement précis. Lever à 9 heures, plage à 9 heures trente, retour à 11 heures, lecture du journal, repas à 12 heures précises, chez lui, jamais au restaurant, sieste, tour de France, plage vers les 17 heures, apéritif au Miramar à 19 heures, retour à 20 heures, repas chez lui, jamais au restaurant, promenade sur le port à 21 heures, retour et coucher à 22 heures.

 

Ce que ses potes appellent les vacances de rêve d'Albert.

 

Jamais Albert n'approche une femme ni n'essaie de lier conversation avec elle ; jamais Albert ne sort le soir dans des endroits où il pourrait en rencontrer. Il entend à longueur d'année trop d'histoires de femmes embarrassantes et revêches ; trop d'histoires pour avoir envie d'une femme. A se demander pourquoi ses potes sont mariés.

Si leurs femmes entendaient ce qu'ils disent d'elles.

 

Albert fait celui qui compatit, mais ces femmes, au fond, elles ont du mérite à supporter des types comme eux.

 

Albert sait de quoi il parle, il a été pareil, autrefois.

 

 

prises-noires.jpg

 


Partager cet article
Repost0
9 juillet 2011 6 09 /07 /juillet /2011 23:02

 

LIU XIAO QIANG ET BAI FAN, SUI XI, (CHINE, PROVINCE DU GUANGDONG) : LEURS DÉMARCHES ADMINISTRATIVES EN VUE DE SE MARIER, AVRIL 2010

 

 

Par ce frais matin de printemps Liu Xiao Qiang et Bai Fan quittent en bus le village de Sui Xi pour se rendre à la ville de Zhan Jiang dans le but de s'y marier. Ils sont heureux, jeunes et heureux, avec au devant d'eux l'immense étendue de leur vie future – heureux de ce genre de bonheur qui vous porte sur coussin d'air et vous rend immortel. Le mariage est pour eux l'aboutissement logique de leur passé commun, une formalité, ils se connaissent depuis l'école primaire, depuis leur naissance, même, dans le même hôpital à quatre jours d'intervalle. Ils sont à ce point faits l'un pour l'autre qu'il ne leur viendrait pas à l'idée de poser les yeux sur une/un autre – entendons poser des yeux envieux sur un autre corps.

Ils prennent le premier bus, celui de six heures afin d'être les premiers devant la porte, quitte à devoir attendre l'ouverture des bureaux, mais ils veulent régler cette histoire le plus vite possible, et ne plus en parler. Le trajet en bus dure une trentaine de minutes ; Bai Fan va passer une grande partie du temps de ce trajet à essayer d'imaginer la tête de l'enfant qu'ils auront un jour, s'il aura le grand front de son père, où le pétillement de ses yeux à elle, tandis que Liu Xiao Qiang va passer le même temps à essayer de contenir et de faire refluer une érection spontanée, imprévisible, et pour tout dire un rien gênante dans la contrainte de la position assise – sans pour autant que leurs tentatives respectives ne soient couronnées de succès, ça n'est que dans la précipitation de l'arrivée que les choses rentreront dans l'ordre. Liu Xiao Qiang et Bai Fan sont des jeunes gens modernes, ils n'ont pas attendu ce jour du mariage pour se connaître physiquement, cela s'est fait naturellement il y a longtemps, alors qu'ils avaient à peine seize ans. Pendant des mois, Bai Fan avait résisté aux exhortations de Liu Xiao Qiang, à son comportement de plus en plus pressant, résisté à ses assauts jusqu'au ridicule, un peu par peur, un peu par respect des conventions. Un matin, après avoir passé la nuit à se traiter de pauvre petite fille peureuse, elle a dit à Liu Xiao Qiang : « Aujourd'hui on le fait », et ils l'on fait, calmement, sans précipitation, en prenant le temps de se découvrir et de respirer chaque centimètre carré de la peau de l'autre.

Alors ce mariage, des années plus tard, c'est une sorte d'hommage que chacun fait à l'autre, un cadeau de reconnaissance – rien de plus mais c'est énorme.

 

 

 

 

 rouge.jpg

 

 



A neuf heures, après avoir attendu deux heures et demi el'ouverture des bureaux, ils sont les premiers d'une file de postulants au mariage. Ils ont avec eux tous les papiers nécessaires, ont cherché sur Internet avant de partir la liste des documents que l'on pourrait leur demander et s'en sont munis, bien décidés à ne pas repartir de Zhan Jiang sans leur précieux certificat. L'employée de l'état-civil, prise de cours par cette inhabituelle complétude du dossier, se sent tout à coup inutile, incapable de fait étalage de ses connaissances face aux néophytes. Pourtant, après avoir nerveusement farfouillé dans la liasse de documents elle lâche :

 

— Ah mais c'est que ce n'est pas aussi simple de se marier, il ne faut tout de même pas exagérer... Qu'est-ce que vous croyez qu'on vient ici et qu'on repart mariés dans la minute qui suit, hop, comme ça ? C'est ça que vous croyez ?

 

Oui, visiblement c'est bien ce qu'ils croient, et ils ne sont pas les seuls dans ce cas, ni les premiers ni les derniers, alors que l'employée use de toutes les ressources que lui procure son maigre pouvoir pour empêcher les gens amoureux de se marier. Ou du moins, pour freiner les formalités. Sa nature, c'est une évidence, ne peut s'accommoder du trop grand bonheur d'autrui, et ce qu'elle a sous les yeux en permanence relève d'un bonheur outrecuidant, un bonheur qui exclut et nargue tous ceux qu'il n'englobe pas. Elle reprend, satisfaite de son petit effet :

 

— Il faut remplir des papiers, et les signer, bon, ça je reconnais que vous seriez en mesure de le faire, il ne manque même pas l'acte de naissance des grands-parents, mais...

 

Elle laisse planer à cet instant un temps silence pour ménager le suspens, certaine de son petit effet.

 

— Mais vous n'avez pas passé la visite médicale.

— La visite médicale ? Demande Liu Xiao Qiang.

— La visite médicale. C'est obligatoire pour se marier. Sans le certificat signé du médecin, pas de mariage. C'est à l'hôpital. Allez-y avec ce formulaire et ramenez-le signé, sinon, il faudra revenir. Avec un peu de chance vous pourrez passer dans la journée, dit-elle non sans laisser pointer l'ironie dans ses paroles, comme si passer une visite médicale dans une journée relevait de l'exploit.

 

Liu Xiao Qiang et Bai Fan s'en repartent penauds et désenchantés. On leur aurait annoncé qu'ils devaient faire le tour du monde à pied qu'ils n'auraient pas réagi autrement. Mais enfin, il fallait se plier aux règles en vigueur et ils s'y plièrent.

 

A l'hôpital, ce qui devait les unir les sépara. Ils furent chacun orientés vers des services différents car les requêtes, bien entendu, n'étaient pas les mêmes. Ne pouvant à notre tour nous scinder en deux parties nous allons suivre un seul de nos deux protagonistes, laissant à l'autre la seule alternative de s'en aller solitaire face à son destin.

 

Liu Xiao Qiang se retrouva confronté à une infirmière revêche qui fit aussitôt passer l'employée de la mairie pour un modèle d'accueil vivant et chaleureux. Elle avait à peine quelques années de plus que lui mais paraissait déjà vieille, usée ; elle était collée à son écran d'ordinateur, à étudier des tableaux et des schémas, chose que visiblement elle préférait à la vraie vie. C'est à peine si elle leva les yeux vers lui en lui tendant un tube de plastique.

 

— Il va faire ça là dedans. Les cabines sont là-bas.

 

Liu Xiao Qiang se trouva tellement étonné qu'il resta là, debout, son tube de plastique à la main sans savoir que répondre. L'infirmière cette fois ne s'arracha même pas à la contemplation de son écran pour lui lancer :

 

— Eh bien quoi, il va rester là toute la journée ?

— Hum... Pardonnez-moi mais je dois faire quoi, là dedans ? Dit-il en désignant le tube de plastique.

— Sperme.

— Sperme ?

— Sperme. Il sait ce que c'est à son âge, non ? Pas de sperme, pas d'enfant, pas d'enfant, pas de mariage. Les cabines sont là-bas.

 

Les « cabines » en question étaient en réalité des sortes d'isoloirs alignés en ringuette, une quinzaine en tout, dont les cloisons étaient faites de rideaux s'arrêtant à peine au niveau des genoux. Devant l'une des cabines, un homme d'une trentaine d'années se tenait debout, son tube de plastique à la main, sans un geste ; il semblait définitivement figé dans son impossibilité à faire ce pour quoi il était là. Une des cabine en revanche était déjà occupée. On pouvait voir dépasser des rideaux des jambes immobiles habillées d'un jean délavé. L'atmosphère était d'une densité jamais éprouvée par Liu Xiao Qiang, qui n'avait été jusque là confronté qu'à des situations rationnelles de la vie à la campagne ; il fonça et s'engouffra dans la cabine la plus éloignée de celle de l'homme-statue et des jambes de jean. Il n'y avait même pas une patère où accrocher les vêtements. Sans doute l'administration pensait-elle qu'il était facile de faire ça entièrement habillé, avec les seules ressources de son imagination. Manifestement, « jambes en jean » n'avait pas de ces états d'âme, il s'employait comme il fallait à fournir ce qu'on lui demandait en emplissant l'espace sonore de grognements et gémissements de toutes sortes – Liu Xiao Qiang dut reconnaître que, même s'il frôlait la vulgarité, l'individu avait des ressources imaginatives. Quant à lui, peu enclin à se satisfaire de cet environnement uniquement masculin, il renonça avant même de commencer. Il repartit en courant vers l'infirmière, soudain traversé d'une fulgurance :

 

— Dites, j'ai eu comme une idée, là, je vous le ramène plein demain, votre tube, d'accord ? Enfin, plein c'est façon de parler, mais qu'on le remplisse ici où à la maison c'est pareil hein ? Qu'en pensez-vous ?

— Négatif. Ici, le tube, c'est de la science, chez vous c'est des cochonneries.

— C'est à dire que...

— Mh ?

— Eh bien, comment dire, justement, à propos de cochonneries, j'aurais bien besoin d'un petit coup de main si vous voyez ce que je veux dire...

 

L'infirmière dut se méprendre sur les paroles de Liu Xiao Qiang car elle le regarda comme s'il lui apprenait qu'il lui restait deux heures à vivre. Un de ces regards qui vous condamnent à errer éternellement dans le neuvième cercle dantesque de l'enfer, en compagnie des traîtres.

 

— Si vous croyez que...

 

Liu Xiao Qiang l'interrompit aussitôt, confus, le visage tordu en une grimace d'excuse :

 

— Non, non, ne vous méprenez pas, grande sœur, je voulais juste savoir si je pourrais demander à mon amie de venir avec moi dans la cab...

— Négatif. Pas de ça ici.

— Quelques magasines alors ?

— Négatif.

— Une photo ? Juste une photo. Allez.

— Négatif.

— Mais comment font-ils, les autres ?

— Les problèmes des hommes ne m'intéressent pas.

 

Liu Xiao Qiang sentit alors que la partie lui échappait, qu'il ne tirerait rien de plus de l'infirmière, alors il décida de s'offrir un petit plaisir avant de battre en retraite, et de la mettre face à ses contradictions – un petit coup de griffe comme pour se payer de cette journée perdue.

 

— Dites, grande sœur, vous en avez un, d'homme, vous ?

— Ça ne vous regarde pas.

— Vous n'en avez pas, n'est-ce pas ?

— J'ai dit... j'ai dit que ça ne vous regardait pas.

— Mais je sais que vous n'en avez pas. Vous n'en avez pas et vous ne savez pas comment ça marche, un homme, vous croyez que ça n'est que de la mécanique... Alors vous passez votre vie à ennuyer le monde... Une petite vengeance... et bon, difficile de vous en vouloir, mais vous devriez essayer, ça ne fait mal que la première fois.

 

 

 

 tronc.jpg

 

 

 

Liu Xiao Qiang et Bai Fan repartirent comme ils étaient venus, sans certificat de mariage. Ils utilisèrent cette fois le temps du trajet pour échafauder une stratégie très simple face aux impératifs de l'administration. Il suffirait à Liu Xiao Qiang d'arriver à la visite médicale avec un tube déjà plein et de le transvaser dans le tube de l'infirmière. Simple et efficace. Ils feraient ça la veille, tranquillement, sans pression et tout le monde serait content, l'administration aurait ce qu'elle voulait et eux pourraient se marier. Finalement ils arrivèrent au village presque heureux, pas heureux comme s'ils avaient pu réellement se marier mais heureux de savoir que, contrairement à ce qu'ils imaginaient en quittant l'hôpital, la situation n'était pas désespérée et que leur mariage ne tenait plus qu'à quelques jours.

 

  

La semaine suivante, ils reprirent donc le bus pour la grande ville, son administration, ses employés revêches.

Se rendirent directement à l'hôpital pour faire au plus vite. L'infirmière avait changé, remplacée par une femme proche de la retraite, à l'air doux et simple. Lorsque Liu Xiao Qiang lui tendit son tube de plastique, après avoir passé dans la cabine un temps estimé raisonnable, elle esquissa un sourire mais ne dit rien, se contenta de noter un numéro dans un registre tout en expliquant à Liu Xiao Qiang qu'il devrait patienter environ deux heures avant d'avoir le résultat définitif et le tampon libératoire ouvrant les portes lumineuses du mariage. Deux heures et quelques plus tard, Liu Xiao Qiang et Bai Fan se présentèrent donc pour la deuxième fois à la mairie. Là aussi l'employée avait changé – celle-ci était jeune et souriante, décidément ils n'étaient pas venus le bon jour, la première fois. Liu Xiao Qiang et Bai Fan lui remirent tous les papiers, dont celui portant le cachet de l'hôpital. Elle le parcourut en riant :

 

— Oh mais vous avez fait de l'excès de zèle, on ne demande plus ce papier maintenant, ils ne le savent pas encore à l'hôpital ? Le gouvernement a décidé qu'on pouvait être marié sans avoir d'enfant.

 

 

 

 

Arbre.jpg

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
24 juin 2011 5 24 /06 /juin /2011 22:10

 

COURRIER ÉLECTRONIQUE EN DATE DU 25 NOVEMBRE 2010 DE GLORIA VELIGARA A ASHTON MARSALIS

 

Expéditeur : «gloria veligara» <gloria.veligara@leservicedunet.com>

Destinataire : «ashton marsalis» <ashtonmarsalis@inthemood.gb

Date : 25/11/10 12h41

 

Je suis désolée je sais pas écrire en anglais, déjà en français. Vous aurez qu'à traduirer sur Internet, y'en a plein, je m'en servie pour traduirer votre lettre. Vous êtes bête. Vous me parlez de « ton magnifique grand corps » mais tout votre argent j'ai envoyé à ma famille au pays. Alors vous êtes bête. Tout votre argent pas servi pour moi juste une montre pour moi savoir à quelle heure je peux rentrer de finir le bord de la route. Je voyais pas la France comme ça. J'en ai marre d'aller avec n'importe quel homme, j'espère que tu comprendre ça dans mon pays personne peut comprendre alors j'ai dit à personne, et j'ai dit que j'ai trouvé un travail normal. Maintenant je sais pas ce que c'est un travail normal. Je sais pas ce que je suis pour les hommes qui s'arrêtent au bord de la route. Qu'est-ce que c'est une femme pour eux ? Ils demandent des choses que j'ai jamais fait avant. Mais je les fais pour eux parce qu'ils sont blancs et qu'ils comprendraient pas si voulais pas pas vu qu'il payent pour ça. Mais j'en ai marre d'aller avec n'importe quel homme. Pas travail normal. Tu écoutez bien ? J'en ai marre d'aller avec n'importe quel homme. Et vous c'est pas pareil mais quand même vous savez que je suis sur le bord de la route et vous faites rien. Ça doit être le noir, ils doivent penser pour une fois je vais me taper une noire, ou me faire sucer par une noire. Ou peut-être ils disent négresse. Y'en a qui doivent dire négresse. Dans leur tête c'est ce qu'ils doivent dire : négresse. Y'en a qui doivent dire sale négresse. Y'en a qui doivent dire sale pute de négresse. Des mots que je connaissais pas. Ils sont pas comme vous. Vous êtes pas pareil mais quand même vous vous arrêtes. Avant jamais pu dire des mots comme ça, je connaissais même pas ces mots, même dans ma langue, je trop honte les dire, maintenant ça me fait plus rien. Je suis devenue comme je voulais pas. Pas le bon chemin. Je m'aime pas. J'ai que tu pour le dire. Vous, je sais pas pourquoi vous avez donné tout cet argent à moi, je sais pas, c'est énorme, c'est sûrement que vous m'aimez un peu à force de venir me voir mais surtout continuez à rien faire, ne voulez pas vouloir faire pour moi ou ils vous tuent, ils sont comme ça, je rigolais quand je disais que vous êtes bête vous êtes pas bête. Alors faites rien.

 

Gloria.

 

 

 

 

 

ecorce.jpg

 

 

 

  

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
9 juin 2011 4 09 /06 /juin /2011 07:46

 

VALENTIN LABIATTE, MARDI 15 FEVRIER 2011, DIX-HUIT HEURES TRENTE.

 

 

C'est ce mardi qu'elle décide de le faire, maintenant, donc, maintenant même, elle est en train de le faire.

 

Elle n'a rien préparé, elle va le faire comme ça. Il est quatre heures trente, à peine plus tôt que d'habitude, personne ne va venir lui demander des comptes pour cette demi-heure, c'est une heure, quatre heures trente, où le temps ne compte pas.

 

Oui, c'est comme ça qu'elle a dû faire.

 

Elle y pense depuis si longtemps qu'elle n'a pas eu besoin de préparation, elle a su que les choses adviendraient chacune au bon moment, parfaitement enchaînées, elle est comme ça.

 

C'est faux, elle a tout préparé, je n'ai plus besoin de me mentir, elle a tout préparé pour entrer dans un déroulement d'action plutôt que dans une réflexion qui l'aurait laissée au bord du doute. Forcément au bord du doute.

 

En réalité, c'est à la fois vrai et faux : même si elle a programmé un déroulé des événements, ce mardi matin s'impose de lui-même à la suite d'une longue période de maturation. Ce mardi matin est là, face à elle, calmement posé là, elle le regarde, le contemple, le couve dans son miroir d'un œil complaisant, elle n'a pas à se donner du courage, elle porte en elle tout le courage du monde, elle fait face à ce mardi matin la rage au ventre – et la perspective lui est douce de s'engouffrer sous peu dans cette journée sans possibilité de retour.

 

Tous les jours elle se lève avant l'aube, avant tout le monde, et va chercher tous les jours dans la course à pied une raison de poursuivre sa vie.

 

Des raisons, depuis peu, elle n'en trouve plus. Je ne sais pas pourquoi, mais sa vie a perdu de la consistance ces derniers temps, je dois y être pour beaucoup.

 

C'est pourtant le seul moment de la journée, entre cinq heures et sept heures, où elle est seule avec elle-même, en capacité à décider.

Ensuite, la journée ne lui appartient plus, elle va d'obligation en obligation, de renoncement en renoncement, en une lente descente vers le soir.

 

Car ne pas travailler est pire que tout – les travailleurs ne pardonnent rien à celles qui ne travaillent pas, j'en sais quelque chose, longtemps je n'ai rien pardonné. Pas le moindre retard, pas la moindre faute ni le moindre grain de poussière. Les travailleurs sont légitimés dans leur exigence par le salaire qu'ils ramènent chez eux, et par cette justification à leur propre existence que représente leur métier. A leurs yeux un non travailleur n'existe pas ne produit rien, est à jamais écarté du plaisir de servir la communauté non familiale.

 

Elle n'oublie plus de sortir le beurre du frigo avant de partir.

 

Elle court pour être elle-même. Tous les jours à cinq heures, elle court comme si le sort du monde dépendait de son kilométrage. Les autres n'ont pas compris au début, ils ont cru qu'elle voulait garder la ligne. Comme si on pouvait sacrifier deux heures de sommeil pour garder la ligne.

 

Elle s'est forgé des muscles durs et un souffle à toute épreuve.

 

Elle aurait été capable de me briser les reins entre ses jambes.

 

Le petit déjeuner, le pain à griller, le beurre à sortir, les croissants à décongeler, les jus de fruits, préparer les habits, le transport à l'école, puis au collège, le retour, aérer les chambres, refaire les lits, ranger, ranger, ranger, se préparer un minimum, sortir, les courses, revenir, le repas, repartir, l'école puis le collège, rentrer, réchauffer, servir, repartir, l'école, puis le collège, revenir, s'arrêter ? pour quoi faire ? ranger, nettoyer, tchater un quart d'heure, la lessive, le fer, repartir, l'école, puis le collège, revenir, les devoirs, les disputes, le mari, la guerre de la télé, le lave-vaisselle, la douche du petit, la douche du grand, le repas, c'est sans fin, sans droit à la faiblesse, l'éternel recommencement des vagues de la journée.

 

Sans jamais aucun droit à la faiblesse.

 

Les falaises elles-mêmes finissent pourtant par s'égruger.

 

Elle redoute les vacances comme un cancer du quotidien.

 

Il y avait un peu de ça au programme mais pas tout. Pas tout ça.

 

Ils vont croire à un crime de détraqué sexuel, ils vont fouiller la région pendant des jours avec des militaires, des hélicoptères, des chiens, ils vont chercher des traces et les trouver.

 

Un de ces pauvres types incapables d'initier des rapports humains autrement que dans la violence, un de ces pauvres types comme on en voit dans les films.

 

Et l'autre, moi, qui va dire mon dieu mais comment je vais faire maintenant ? Son problème à lui ne sera pas sa disparition à elle mais ce « comment je vais faire maintenant ». Elle pourrait être n'importe quelle autre femme il s'en foutrait pourvu qu'elle ne disparaisse pas, pourvu qu'elle reste là, à la marge de sa vie. Son problème à lui ne sera pas sa probable torture à elle, et sa probable fin sous les mains d'un malade, mais le nouveau fardeau qu'il va devoir porter.

 

C'est ainsi qu'elle a pensé, je la connais bien.

 

Elle ne change rien à ses habitudes, absolument rien, elle ne doit pas faire naître le moindre doute dans la tête des autres. Elle part donc avec son seul body, ses collants et son écharpe, comme d'habitude, et comme d'habitude, monte directement sur le Pech des chasseurs.

 

La veille dans une faille de la journée elle est allée cacher un sac à dos dans une vigne.

 

Mais les traces, c'est elle, il ne peut pas en être autrement, les chiens n'ont rien senti, elle avait tout préparé, il ne peut pas en être autrement.

 

Ce n'est pas une dépression. Ce serait trop simple. Elle ne renonce pas à la vie, ne s'enfonce pas dans l'auto compassion, au contraire, quelqu'un qui renonce ne fait pas ce qu'elle est en train de faire. Non, elle quitte cette vie, comme on raccroche le téléphone au cours d'une conversation pesante.

 

Basta et à la prochaine.

 

Je dois y être pour beaucoup, je ne suis pas du genre à nier la réalité.

 

Trois fois rien, ses papiers d'identité, les économies de ces quinze dernières années, une brosse à dents, quelques vêtements. Tout le reste elle le laisse : téléphone, ordinateur, bijoux, amour maternel, voitures, maison, garde-robe, elle laisse tout en vrac au sol, l'abandonne sans un regard dans l'arrière-cour de son passé – quant à l'amour tout court, il n'est qu'affaire de circonstances.

 

Elle n'éprouve pas de joie particulière ni aucune ivresse de la vie. Elle aurait cru mais non. Juste une légère peur du futur immédiat.

 

La veille dans la journée elle est aussi allée déposer à cinq kilomètres de chez elle, dans l'autre direction, là-bas, vers le nord, des touffes de laine de l'écharpe qu'elle met pour courir dans un buisson d'épineux, et au sol, des traces de son sang.

 

Mais c'est dans l'autre direction qu'elle est partie, ils ne cherchent pas où il faut, ils ne risquent pas de la trouver, comme ça, j'ai beau leur dire ils ne m'écoutent pas, c'est dans l'autre direction qu'il faut chercher, je la connais bien.

 

Elle va courir jusqu'à la frontière, elle en est capable, ça ne devrait pas lui prendre plus d'une semaine.

 

Elle n'éprouve pas non plus le moindre sentiment de culpabilité. Elle a déjà fait énormément pour eux. Là elle s'arrête, voilà tout. Ne peut plus rien faire d'autre pour les autres.

 

C'est une énorme écharpe bleue et blanche facile à reconnaître. Et son sang, encore plus facile.

 

Il y a des pays où on ne demande rien à personne.

 

La voilà dans la montagne. La voilà à l'aube de ce mardi courant vers son autre vie. Elle peut se croire revenue au temps des contrebandiers, à passer la frontière en douce. Aura-t-elle enfin la force de franchir cette dernière étape ?

 

Et puis on ne trouvera rien, le procureur viendra dire à la télé que c'est bien son sang à elle qu'on a trouvé, et que les autorités sont extrêmement pessimistes quant à ce qui a pu se produire – le mari, moi, viendra pleurer, lui aussi en direct au vingt heures, pour montrer au monde qu'il était un bon mari.

 

Elle va le faire. D'ailleurs elle le fait.

 

Elle est en train de le faire.

 

Elle se sent bien, ne remarque même plus la vapeur que dégage son souffle, elle se sent bien, son corps obéissant comme une mécanique sophistiquée,

 

régulièrement, allongeant ses foulées, sans complexe, avec la ténacité du coureur de fond elle est en train de le faire, seulement cette fois il n'y a pas comme d'habitude matérialisée en elle la bannière de la ligne d'arrivée, ni non plus la perspective du retour déniant à ses jambes toute velléité d'autonomie, alourdissant sa course de ses ombres portées.

 

Aujourd'hui c'est mardi et elle le fait. Mardi 15 février 2011, elle s'en souviendra,

 

se souviendra longtemps de ce jour où elle a arrêté de courir pour se mettre à voler.

 

 

 

 

089---.jpg

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
14 mai 2011 6 14 /05 /mai /2011 11:38

 

INTIMITÉ VII - SERGE DE LA COURTE, LA CIOTAT, FRANCE,  25 JUILLET 1999

 

Sûr qu’ils sont dopés tu vois, sinon jamais un américain serait venu gagner le Tour de France en France, un américain ça gagne pas le tour de France, est-ce qu’on va chez eux, nous, gagner leurs matches de base-ball à la  con ? on y va pas, alors qu’ils viennent pas gagner le Tour ici c’est tout, de toute façon leurs matches de base-ball, y’a que eux qui comprennent les règles alors forcément c’est eux qui gagnent, c'est vrai où c'est pas vrai ? t'as déjà compris quelque chose toi à ces putains de règles ? ah, tu vois, alors forcément ils gagnent, mais le Tour non, faut pas déconner quand même, pas le Tour surtout quand t’as un nom de cosmonaute joueur de trompette.

 

 

 

trotinette

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 16:23

 

COMMENT XAVIER ROUSSEAU VÉCUT UNE HISTOIRE D'AMOUR DE CINQ SECONDES DANS L'ESCALIER DES GALERIES LAFAYETTE, 6, AVENUE DES MÉCANISMES A ROTATION LENTE, LE 9 LUNDI AOUT 2010, 10h06, A PAMIERS (FRANCE)

 

La scène se passe sur un palier entre deux volées de marches, à l'endroit où l'escalier fait un coude. Il est encore tôt, le magasin est pratiquement vide, Xavier Rousseau pense même être le seul client. Il monte, arrive au fameux virage en épingle, imaginons la scène, il va le prendre, la main sur la rampe, il s'élance pour aborder la volée de marches supérieure, à l'instant précis où débouche face à lui une jeune fille blonde dans une robe vieux rose.

Cette soudaine blondeur face à lui, il n'a pas le temps de l'analyser, mais il l'englobe d'un regard ; il peut établir aussitôt le constat qu'elle n'est pas une blondeur comme les autres, elle est l'incarnation, le point de focalisation, la concentration en une seule personne de toutes ses exigences en matière de féminité.

Une apparition.

Un événement comme il ne s'en produit jamais.

Alors, pour lui, le temps s'arrête, se fige dans la seconde de ce croisement.

Il se voit, comme assistant lui-même de l'extérieur à la scène, passant à côté d'elle, la jeune fille, lui effleurant le bras comme par hasard, mais sachant qu'il ne s'agit pas d'un hasard, et elle se retournant, lui souriant, toute de transparence, une image de pureté, il se voit encore saisissant ce bras, attirant à lui la jeune fille, l'enlaçant et la tenant ainsi contre lui sans bouger comme s'il venait d'accomplir un exploit, mais il vient d'accomplir un exploit, les gestes ne furent évidents, ne s'imposèrent d'eux-mêmes que dans l'instant où ils advinrent, la raison ensuite revenant il fallut bien constater qu'il venait d'accomplir un exploit extraordinaire, un de ces gestes dont il se pensait incapable avant de l'esquisser, et puis ce n'est pas fini, repoussant doucement la jeune fille, prenant son visage entre ses mains, attention il va le faire, il le fait, chaque seconde rapproche ses lèvres des siennes, mais il le fait avec une lenteur exaspérante pour nous, spectateurs de la scène, exaspérante, alors qu'il s'agit pour lui du moment le plus important de sa vie, il profite bien de chaque seconde, il absorbe l'instant par tous les pores de sa peau, et elle, la jeune fille, visage tendu vers lui, offerte à cet homme alors qu'elle s'était promis que plus jamais un homme ne la toucherait, garde les yeux clos, en attente de la surprise de sentir les lèvres de l'inconnu de l'escalier des Galeries Lafayette se poser sur les siennes, elle ressemble à un être surnaturel, un ange, une fée, ce n'est pas une parole en l'air, alors insistons, elle ressemble vraiment à cela à cet instant de la scène, haussée du cou vers lui, on la dirait prête à s'envoler à échapper à sa terrestre condition pour mieux s'offrir à lui, se donner dans ce qu'elle a de meilleur, décidément ces deux-là sont faits l'un pour l'autre, mais non finalement, tout s'écroule, ou plutôt, soyons précis, ce qui n'existe pas ne peut pas s'écrouler, elle continue sa route sans même un regard vers lui, non pas qu'il lui soit indifférent ou qu'elle joue les mijaurées, c'est plus simple que cela, c'est juste qu'elle ne le voit pas, elle sent une présence face à elle, s'écarte légèrement pour pouvoir passer sans se heurter à cette personne, et continue sa descente. Il se penche : plus bas dans l'escalier la robe rose ondule dans les mouvements imposés par le corps, ce corps qu'il ne tiendra jamais dans ses bras.

Extérieure à ce qui vient de se produire.

Et puis ce n'est plus qu'une tache rose qui arrive au rez-de-de chaussée, se dirige vers les portes vitrées, sort de son champ de vision.

Et puis plus rien.

L'instant est passé, il ne s'est rien passé.

Plus jamais ne seront réunies les conditions d'accession à ce possible de leur rencontre.

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 16:14

 

  

PATRICIA GOMEZ (FRANCE)

  

 

  

Patricia Gomez n’est pas malade, Patricia Gomez n’est pas pauvre, Patricia Gomez n’est pas laide, Patricia Gomez dispose d’un travail, d’un appartement, d’une nourriture suffisamment abondante ainsi que d’un homme qui vit à ses côtés, qui l’aime et le lui dit, et pourtant, ce vendredi 25 mai à 15 heures, seule dans son salon, Patricia Gomez, 38 ans ressent une sorte de lassitude d’exister, comme un renoncement aux choses essentielles, un dégoût de soi. Elle ne peut téléphoner à personne, personne ne comprendrait, c’est un sentiment si complexe à décrire qu’elle-même ne parvient pas à le définir. Un abandon provisoire de la lutte de vivre, il n’y a aucune raison à cela et même son compagnon n’y pourrait rien pense-t-elle, elle est seule, pense-t-elle encore, seule au monde à ne pas comprendre ce qui lui arrive.

 

 

porte noire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 14:44

 

11 MARS 2010 : UNE JOURNEE ORDINAIRE DANS LA VIE DE YVES MERCOLEDI – SES TENTATIVES POUR ETABLIR DU LIEN SOCIAL AVEC LE GENRE HUMAIN – BEZIERS (FRANCE)

 

 

7h04

 

Yves Mercoledi est un matinal, il pense que c'est à cette heure-là de la journée que se nouent les vraies relations, il entre donc au 89, le seul café du coin déjà ouvert. Comme tous les jours il entame cette nouvelle journée avec un optimisme forcé, et comme souvent il ouvre la porte en lançant à la cantonade, en référence au nom du café : « Salut, hé, y'en a au moins vingt de trop ». Personne ne relève car il est le premier client de la journée – le patron, derrière son bar, a déjà entendu la vanne des milliers de fois, et la serveuse, occupée à dresser les tables du fond pour le déjeuner, font comme s'ils n'avaient pas entendu, aucun des deux n'esquisse même un sourire, les clients de ce genre sont plutôt reçus comme une calamité que comme une bénédiction.

Et puis si le 89 s'appelle ainsi c'est parce qu'il est situé au 89 de l'avenue Marcel Dadi, c'est tout – s'il était situé au 69, il ne s'appellerait sans doute pas le 69.

 

A quarante trois ans, Yves Mercoledi est quasiment chauve, il a le teint jaune et la moustache tombante, à demi brûlée par les millions de cigarettes fumées – il marche les épaule voutées, semblant les laisser ployer sous la misère du monde ; la serveuse à l'inverse est dans la splendeur de la trentaine, elle lui sourit malgré tout, en lui portant son demi, elle lui sourit comme on donne une pièce de vingt centimes à un clochard.

 

(Yves Mercoledi a essayé un jour de demander au patron :

Dites, vous la sautez, la serveuse, non ? ... Allons, on sait bien que ça se fait ce genre de choses entre un patron et son employée, ça doit être du feu, une fille comme ça, hein, allez, dites...

Mais il s'est fait renvoyer dans les cordes de sa curiosité : outre le fait que le corps de la serveuse ne l'intéresse en rien, le patron a toujours refusé d'aller avec les clients jusqu'à ce niveau de familiarité.)

 

De toute façon, il ne ressemble pas à un patron de bar normal, pense Yves Mercoledi en entamant son premier demi, un patron normal sait bien que le meilleur moyen de faire boire les gens c'est de les faire parler – il a de la chance d'être seul dans le coin sinon je serais ailleurs.

 

Tout à ses pensées Yves Mercoledi laisse, en attendant, son regard courir sur le corps en mouvement de la serveuse. Elle porte à son goût une tenue trop stricte, mais ça lui donne de la classe, y'a pas à dire, on se demande ce que fait ici une fille comme elle. C'est tout juste s'il peut apercevoir le début du sillon séparant les seins lorsqu'elle se penche en avant pour lisser les nappes sur les tables.

Devrait faire du cinéma, une fille comme ça.

 

Je me donne à lui pense la serveuse, je suis obligée de me donner au regard de ce vieux con, je crois qu'il ne vient que pour moi. Le spectacle de ma personne.

 

C'est au prix d'un effort sur lui-même que Yves Mercoledi parvient à détacher les yeux du corps de la jeune femme.

Laisse ensuite son regard traîner dans le café, vide.

Pas pratique pour établir du lien social, un café vide.

 

 

 statue poisson

 

 

7h24

 

Deux hommes entrent. Costumes gris, cravates criardes.

Ils s'installent à une table voisine, commandent deux cafés et entament sur le champ une conversation animée :

 

- Il nous faut un interprète

- Mh... Il s doivent bien parler anglais.

- Tu parles anglais, toi ?

- Moi ? Non patron, mais vous, je croyais que vous…

- Ouais bein non, faut arrêter de croire, je parle pas plus anglais que toi, j'ai dû rater un virage à l'époque.

- Bon, mais ça doit quand être plus facile à trouver un interprète anglais que Coréen.

- Espérons. Parce que ça commence dans trois semaines.

- Faudra quand même se renseigner de savoir s'il viennent pas avec un interprète de français... je veux dire pour eux.

- C'est pas bête, ça nous arrangerait.

- Mais est-ce qu'on pourrait lui faire confiance, à un interprète qu'ils amèneraient de là-bas ?

- Bonne question.

- Donc faut trouver un interprète.

- Il le faut.

 

Yves Mercoledi trouve dommage de ne pas connaître le Coréen, ça lui aurait donné donné une occasion de se mettre en avant : « Excusez-moi, j'ai entendu votre conversation malgré moi... il se trouve que je parle couramment le coréen, si je peux vous être utile... »

Et la tête des deux encostumés.

La mâchoire prête à tomber.

Parce qu'on ne peut pas imaginer, personne n'est en mesure d'imaginer qu'un type tel que lui connaisse le coréen.

Avec sa dégaine.

Le coréen.

Encore ce serait l'italien ou l'allemand. Mais non, le coréen.

Il rit, c'est déjà pas mal, de rire. Il rit à l'idée qu'on pourrait l'imaginer parlant le Coréen.

Il devrait le faire, tiens, juste pour voir leurs têtes.

Mais non, il ne va pas le faire car il sait que ce serait mal pris, après, quand on découvrirait qu'il ne parle pas un mot de coréen.

Pas plus que d'anglais.

Ce sera pour une autre fois.

Il ne connaît même pas la capitale de la Corée, c'est dire.

D'ailleurs ils se lèvent, ils ont fini leur café ; celui qui semble être le chef lance un billet de dix euros sur la table, et ils s'en vont. Ils n'ont même pas croisé le regard de Yves Mercoledi une seul fois.

Dix euros.

C'est la serveuse qui va être contente.

Mais la serveuse n'a aucune réaction. Comme s'il était normal de payer dix euros pour deux cafés.

Un truc qui revient à quoi ? Vingt centimes ? C'est un bistrot qu'il devrait ouvrir, tiens, il va leur proposer ça tout à l'heure.

 

 

7h40

 

Arrivée des deux jeunes du lycée.

Sont en retard aujourd'hui.

Comme tous les jours ils vont se cacher dans le coin le plus obscur du café pour se rouler des pelles jusqu'à huit heures moins trois.

Une petite brune toute mince et un grand maigre en forme de point d'interrogation.

Rien à faire de ce côté pour lui, il doit paraître un vieillard à leurs yeux. Et puis ils sont enfermés dans leur monde, c'est un truc à respecter. S'il avait pu faire pareil quand il avait leur âge il se serait pas gêné. Mais avec sa gueule.

Un jour ils ont failli baiser dans le café.

Elle était en jupe et à un moment elle s'est assise sur lui et a commencé à bouger doucement, et puis de plus en plus vite.

Rien que d'y penser.

Ils ne peuvent pas savoir qu'il les voit, mais il les voit dans un reflet de la vitrine.

Ce jour-là, le jour où ils ont failli baiser, c'est la serveuse qui les a interrompu en venant nettoyer une table.

Elle vient de temps en temps dans leur recoin, même s'il n'y a rien à faire.

Parfois elle fait juste semblant de nettoyer.

Un jour sur deux, si le patron a le dos tourné, elle ne les fait pas payer.

Je crois que le patron le sait mais fait comme s'il ne voyait rien.

 

 

7h45

 

L'heure se faisant moins matinale, des gens arrivent régulièrement. Quelques profs, des ouvriers, des cadres, des lycéens. Le patron les connaît tous ou presque, pour chacun il a un mot gentil, une question sur les enfants, une remarque sur la tenue, sur l'actualité du jour, les soldats morts en Afghanistan, qu'est-ce qu'on est allé foutre là-bas, c'est tout de même fabuleux que nos jeunes aillent se faire tuer là-bas, hein, mais rien pour lui jamais un mot, pourtant, il en est sûr, c'est lui qui laisse le plus d'argent dans ce café, les autres, à peine un petit noir le matin et puis on ne les voit plus de la journée, lui c'est du sérieux, du régulier, alors pourquoi ce tirage de gueule de la part du patron, pourquoi ? Pour qui il se prend celui-là ?

 

 

 tete pierre

 

 

C'est vers les alentours de cette heure-là que Yves Mercoledi interrompt l'ingestion de demis pour prendre un croissant et un café, histoire d'avoir quelque chose de solide dans l'estomac.

 

 

8h00

 

Yves Mercoledi sort et va marcher dans le centre ville. Il marche comme s'il était affairé, en retard au travail, comme s'il avait une destination précise, comme si on l'attendait quelque part pour signer le contrat du siècle qui allait rapporter de quoi faire vivre la boîte pendant deux ans sans soucis – ça fait plaisir de se sentir important quelques minutes, c'est toujours ça de pris.

 

 

8h30

 

Yves Mercoledi entre au Bar des boulistes et commande un blanc sec au comptoir. Pour changer des demis. Il y a déjà Denis et Jean-Michel. Yves Mercoledi demande :

 

- Ah, Denis, t'ain on est le 12 et j'ai déjà plus une thune, tu m'invites ?

- 'tain Yves, je roule pas sur l'or non plus... C'est bon pour c'te fois mais ne me refais pas le coup tous les matins, je pourrai pas suivre.

- Merci, t'es un bon gars, je le savais. Alors, quoi de neuf les gars ?

 

En même temps qu'il pose la question, il se formule la réponse : rien. Il n'y a jamais rien de neuf parce que pour eux il ne peut rien y avoir de neuf. Pour des gens comme eux, pense Yves Mercoledi, la vie est terminée. Elle s'est terminée à peine après avoir commencé. Question de pas de cul. Après on bricole. Ouais, on peut toujours dire que c'est pas en rejetant la responsabilité sur les autres qu'on fait avancer une vie mais y'a pas à dire, certains sont plus chargés que d'autres dès le départ.

Yves Mercoledi aime voir dans les yeux des gens normaux, ceux qui ont une vraie vie, le regard de désapprobation quant à son verre de blanc sec à cette heure de la journée. C'est pour lui une petite jouissance.

 

C'est Jean-Mi qui attaque :

 

- Ah si, y'a une nouvelle aux Grandes Galeries.

- Non ? Répond notre homme.

- Si, renchérit Denis gestes à l'appui, et pis alors la trentaine saisie faut voir comment.

- Faut que je voie ça.

- Elle est aux valises, précise Jean-Michel, moi je la trouve froide. Saisie, d'accord, mais froide.

- Froide... mon pauvre, avec des mecs comme nous c'est normal... argumente Denis, elle va pas nous sauter dans les bras en nous voyant arriver (Rires gras) Remarque... pas que ça me gênerait, hein. Et pis hé, y'a qu'à te voir pour comprendre que tu veux pas acheter une valise... Hein que tu veux pas acheter une valise ? Tu te vois acheter une valise ? Mais comment y'en a qui peuvent avoir l'idée d'acheter une valise? ça me dépasse. Tu te vois te lever et te dire, tiens aujourd'hui je vais m'acheter une valise ? Moi je dis ils doivent pas en vendre tous les jours, des valises.

- C'est vrai ça, tiens, j'avais jamais réfléchi au truc, qu'est-ce qu'y peuvent en faire, d'une valise, les gens ?

- On y va ?

- Oh attend, c'est même pas neuf heures.

- On a qu'a y aller doucement.

 

Dans le calme du début de matinée ils sont les seuls « clients » de ce secteur des Grandes Galeries. Mais à la place de la nouvelle vendeuse il n'y a rien. Personne. Un petit panneau, sur la caisse, indiquant : « Pour tout renseignement ou encaissement, merci de vous adresser à la parfumerie ».

 

Surprise, désillusion, extraction.

 

Sur le trottoir devant les Grandes Galeries Yves Mercoledi refait une énième fois à ses collègues le coup du rendez-vous, et pour la énième fois tous s'esclaffent de rire. C'est une sorte de rituel entre eux :

 

- Bon les gars, faut que je vous laisse, j'ai un rendez-vous super important à la banque.

 

Yves Mercoledi aime bien ses deux potes, mais c'est traîner avec eux qu'il n'aime pas, c'est comme s'il décidait de se faire encore plus remarquer, comme s'il distribuait aux passants croisés un tract sur lequel serait écrit « regardez on est des bons à rien, on à rien à foutre de la journée, on glande, on sait pas quoi faire, on passe notre temps à mater les filles et tout ça avec votre fric en plus... »

 

Alors non, il aime bien ses potes mais une heure avec eux c'est déjà une limite.

 

9h47

 

Yves Mercoledi arrive dans le hall de la gare. Il sait que le Cerbère-Paris passe à 10h12. Il aime bien l'affairement des pré-départ, il aime bien repérer les couples qui se séparent, s'embrassent à n'en plus finir. Il parvient parfois à aider une belle femme à porter sa valise jusqu'au quai et à la monter ensuite (la valise) dans le train.

C'est rare mais ça arrive.

Et puis le flux des gens qui descendent du train. Impressionnant. Ils ont tous l'air pressé. C'est ça qui l'épate le plus, à Yves, les gens pressés qui descendent du train. Ils ont tous un endroit où aller, bien entendu, sinon ils n'auraient pas pris le train pour venir jusqu'ici – arriver jusqu'à lui. Lui se sent au milieu de ce courant humain comme un rocher au milieu d'un torrent. Impassible.

Observer n'a jamais fait de mal à personne.

Il n'y a aucune loi qui empêche de regarder vivre les autres.

Aucune loi qui interdit de se trouver dans une gare à l'arrivée des trains.

Grande richesse aujourd'hui, beaucoup de belles femmes seules.

Yves décide d'en suivre une au hasard.

C'est une grande brune d'une quarantaine d'années avec une valise sur roulettes – comme quoi, il y a des gens qui en achètent, des valises, ce n'est pas une vue de l'esprit, ils sont cons, les autres. Elle est habillée d'une robe verte cintrée à la taille par une fine ceinture de cuir. Un genre de Carole Bouquet en moins parfait. La classe.

Sur ses pas il sort de la gare à

 

 

10h21,

 

mais, chose étrange, elle ne semble pas se décider à se diriger quelque part. C'est bien la première fois qu'il voit ça. Elle semble avoir le temps. Mieux : elle semble l'attendre. Comme si elle voulait être sûre qu'il ne la perde pas de vue. Ridicule, il se fait des idées. Ou alors elle est de la police. Il y a peut-être eu des plaintes contre un type qui attend pendant des heures à la gare, et qui parfois, se met à suivre une femme dans la rue. Parce que là, elle est entrée au jardin public, s'est assise sur un banc et a sorti un livre. Heureusement il fait beau. Il ne peut décemment pas aller s'asseoir à côté d'elle. Alors il attend. Ça ou autre chose. Autant attendre qu'une belle femme veuille bien se remettre en marche

Au vu de la tournure prise par les événements, Yves se risque à aller se jeter un demi au Terminus. Par bonheur, au Terminus, il n'y a personne de sa connaissance, il peut s'envoyer le demi et revenir tranquillement dans le parc. Au contraire, ça lui fait en plus une sorte d'alibi.

Petit goût métallique, le demi.

Le banc est sous un cèdre du Liban. Un arbre grandiose qui déploie ses branches jusqu'au ras de la pelouse. Ça lui fait un abri naturel, à cette belle femme. Elle est là dans sa robe verte, posée sur la pelouse verte, sous le cèdre vert, une légère brise agite de temps en temps ses cheveux, il se dégage de tout cela un sentiment d'harmonie et de perfection de l'instant présent.

Un instant intouchable, suspendu dans le temps – personne ne pourra le lui enlever, c'est déjà un secret de lui à lui.

Toujours ça de pris.

Il n'a aucune intimité avec cette femme mais c'est toujours ça de pris.

Jusqu'à ce qu'un grand type surgisse de nulle part, s'installe à côté d'elle, l'enlace par les épaules et l'embrasse longuement.

Aussitôt, l'instant perd de son épaisseur.

Étant donné qu'elle se laisse faire, Yves Mercoledi en déduit qu'ils devaient avoir rendez-vous.

Ça sent l'adultère planqué.

Un type très sûr de lui.

Genre habitué à donner des ordres et à être obéi.

Genre voyez comme je suis à l'aise dans mon costard noir pour marcher sur les autres.

Bref, un type sûr de lui au delà du raisonnable.

Plus rien à faire là.

Au moment de lever le camp l'idée l'effleure à peine qu'il pourrait les suivre, trouver leurs noms, demander de l'argent.

A peine.

Mais quand même, ça représente un paquet de demis, la scène qu'il a sous les yeux à cet instant, Yves.

Un sacré paquet de demis. Et même les murs du studio repeints par un autre.

Le rêve passe, et l'heure de son rendez-vous, le vrai cette fois, approche. Il va y aller à pied, ça l'occupera.

 

11h30

 

Mademoiselle Mélanie, c'est écrit sur une petite étiquette de plastique piquée sur son chemisier, mademoiselle Mélanie lui demande avec insistance les démarches qu'il a menées pour trouver du travail.

Une toute jeune femme, dans les vingt-cinq ans, estime-t-il.

Ils ont dû embaucher, Yves n'avait jamais vu mademoiselle Mélanie jusque là – mais c'est vrai que la dernière fois madame Jeanne avait le ventre si gros qu'elle lui avait fait pitié, un peu.

Il ne sait que répondre à sa question, parce que, à vrai dire, il y a longtemps qu'il a cessé de garder espoir en ce domaine et de mener quelque démarche que ce soit. Mais ces gens ont besoin de réponses, si on ne leur répond pas, ça les rend malheureux et ils plongent dans la dépression. Après on se sent responsable de la dépression des autres.

Pourtant, depuis maintenant deux ans que ça dure, il devrait s'attendre à cette question.

Mais non, chaque fois elle le cueille à froid, comme un bleu. Et il reste là, bras ballants, l'air certainement un peu stupide, sans le moindre début d'idée.

 

Après un long moment de réflexion, pendant lequel Mélanie piaffe et lève les yeux au plafond en signe d'impatience et de désintérêt, il répond :

 

- Je me suis proposé en tant qu'interprète... pour des hommes d'affaires.

 

Là, c'est elle qui est sciée.

 

- Interprète ? Interprète de quoi ?

- D'anglais.

- Je ne vois nulle part dans votre dossier que vous connaissez l'anglais.

- Ça doit être un oubli.

- Je corrige alors ?

- C'est ça, corrigez.

 

Mademoiselle Mélanie tape sur le clavier de son ordinateur. Anglais lu, parlé, écrit couramment. C'est madame Jeanne qui va rigoler quand elle va rentrer. Tout en tapant mademoiselle Mélanie demande :

 

- Et donc ?

- Rien. J'attends la réponse, mais je suis confiant.

- C'est dans quel domaine ?

- Import de matériel informatique. De Corée.

- Ah. De Corée. Je vois. Et ils ne préfèreraient pas un interprète de Coréen, ces hommes d'affaires ?

- Ils en ont cherché mais apparemment ça n'est pas facile à trouver.

- Vous avez des traces de cette transaction ? une annonce, un contrat, un courrier...

- J'ai tout ça chez moi, je vous l'amènerai la prochaine fois.

- Autre chose ?

 

Yves Mercoledi laisse passer un long temps, comme pour ménager ses effets, ensuite il lâche :

 

- Un bistrot.

 

Mélanie ne comprend pas. Il se doutait qu'elle ne comprendrait pas. Mélanie n'est pas du genre à comprendre. L'incrédulité se lit sur son visage, elle ne prend même pas la peine de poser une question, elle sait qu'il sait qu'elle n'a pas compris.

 

- Vous pourriez me calculer à combien ça revient d'ouvrir un bistrot ? Parce que vu le prix d'un café, eh bein, ils doivent se faire des machines en or si vous voyez ce que je veux dire, alors pourquoi je me les ferais pas en or, moi, les miennes, de machines, hein ?

 

Mélanie s'absorbe dans la contemplation de son écran. Elle finit par répondre :

 

- Je... je ne pense pas qu'avec vos antécédents, ce soit une très bonne idée.

- Mes antécédents. Bon. En même temps je disais ça comme ça. Pour vous faire plaisir.

- Vous n'avez pas à me faire plaisir.

- C'est dommage, parce que vous avez l'air sympa, Mélanie... On pourrait manger ensemble un de ces soirs. Tenez, ce soir qu'est-ce que vous en dites ?

 

 

12h28

 

Assis à la table basse de son salon, Yves Mercoledi mange une boîte de haricots blancs et une autre de sardines à la tomate en regardant un jeu télévisé par lui qualifié de débile mais en le regardant quand même.

Son « repas » dure jusqu'à

 

 

12h33,

 

heure à laquelle, repu, il se laisse aller dans son canapé en même temps qu'il laisse son regard flotter sur les murs du studio. Comme chaque jour à la même heure il se fait la même réflexion : ces murs sont pourris, il faudrait repeindre, y'a pas à tortiller, il faudrait repeindre... mais lui non, impossible, il a autre chose à faire que repeindre un studio qui n'est même pas à lui. Pour ce que ça lui rapporterait. Et puis de toute façon, pour le temps qu'il passe chez lui, pas la peine de se mettre en frais.

Ensuite, après avoir débarrassé la table éteint la télé et déplié le canapé, il s'octroie comme chaque jour une longue sieste.

 

 

15h45

 

Nous sommes en mars et mars c'est l'époque de Paris-Nice. Aujourd'hui, étape décisive, ils sont dans le Massif central. Les deux premiers n'ont que trente-cinq secondes d'écart, la bataille va être serrée. Raison pour laquelle, aujourd'hui, exceptionnellement, Yves met son réveil à sonner. Cette étape, c'est un truc à pas rater – pas autant que le Tour mais quand même –, si on veut pas passer pour un con devant les potes (wouah, il l'a pas vu, je parie que tu roupillais, encore).

Donc le réveil et l'étape du jour.

Le réveil, une Kro bien fraîche et l'étape du jour.

Tranquille.

Sinon, sans Paris-Nice, Yves peut dormir jusqu'à dix-sept heures.

 

 

17h18

 

C'est l'Espagnol qui a gagné. Tant mieux. C'est mérité. Il en a bavé dans son échappée solitaire – mais les autres en ont bavé encore plus, derrière lui.

 

Yves ne peut pas passer trop de temps sans parler. Parler à quelqu'un, pas tout seul. Entendre le son de sa propre voix émettre un message chargé de sens et avoir en face un être humain pour recevoir ce message et y répondre.

Donc, à peine l'étape arrivée, Yves sort de chez lui pour se rendre au Bistrot du coin, c'est comme ça qu'il s'appelle, bien qu'il soit sur une avenue et pas du tout dans un coin, certain d'y retrouver Denis et Jean-Michel, à cette heure-là, c'est presque automatique.

 

L'étape du jour est longuement commentée et tous en arrivent à la conclusion que oui, c'est bien que l'Espagnol ait gagné, c'était mérité. Maintenant il n'a plus qu'à laisser filer vers Nice sans forcer.

Et puis, parce qu'il le faut bien, parce que dans le cas contraire ils se feraient incendier par leurs épouses, mais aussi parce l'heure du repas n'est pas loin et que la bière, c'est bien beau mais ça nourrit pas son homme, Denis et Jean-Michel, rentrent chez eux retrouver leurs irascibles épouses – à croire qu'elles sont sœurs jumelles tant ils en parlent de la même façon.

 

Mais pour Yves, irascible ou pas, la sienne ayant quitté le navire quand les nuages ont commencé à s'amonceler puis à crever sur sa vie professionnelle, une épouse reste une épouse.

Et cette heure est pour lui la pire de la journée. Il fanfaronne devant ses copains, il fait celui bien content de rentrer seul chez lui sans être encombré d'une épouse autoritaire, mais au fond, il y a longtemps qu'il se l'est avoué à lui-même, cette heure-là est bien la pire de la journée.

 

 tete vase

 

19h

 

Il passe au Constantinople prendre un kébab et monte chez lui le manger devant la télé.

Parfois, le soir, comme ça, mais plutôt en hiver, parfois il aurait envie de se payer la compagnie d'une pute, juste pour voir comment ça fait une soirée entière à côté d'une femme. Mais il n'a pas les moyens. Et puis si la fille parlait, il pourrait s'enfuir définitivement d'ici, changer de ville (Quoi ? T'as payé une pute pour qu'elle reste assise avec toi à regarder la télé dans ton canapé ? Mais t'es tombé sur la tête Yves ? Oh Jean-Mi, y'a Yves qu'est tombé sur la tête, il a payé etc.)

Même pas en rêve.

Alors il continue à manger seul.

Mais cette idée de la pute est là, quelque part dans sa tête, qui de temps en temps refait une sortie.

Pourquoi pas finalement ?

On verra, on verra.

 

 

19h30

 

Le repas du soir rapidement englouti, surgit alors devant Yves la perspective de cette immense soirée qui s'étend à ses pieds comme une plaine glacée sous le pas d'un voyageur.

Avec pour seule compagnie les six chaînes hertziennes.

Même en s'accordant une canette toutes les demi-heure ça fait juste.

Sachant que s'il se couche trop tôt il ne trouvera pas le sommeil.

Son seuil de supportabilité de niaiserie télévisuelle baisse de jour en jour. Aujourd'hui pourtant il a de la chance, ça commence par un bon film chinois sur Arte, Yiyi, puis la 3 enchaîne avec une rediffusion de Mélodie en sous-sol – Gabin-Delon au mieux de leur forme.

 

 

00h23

 

De quoi se coucher presque optimiste.

Demain il n'a pas à aller voir mademoiselle Mélanie, il pourra rester plus longtemps à la gare.

Ou alors, grande virée à Auchan.

 

 

 

 bouteille d'eau

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 15:47

 

ÉCHANGE DE COURRIERS ÉLECTRONIQUES EN DATE DU 5 AVRIL 2006 ENTRE SALOMON GRANIER (DIT SALOMON LE MAGNIFIQUE) ET VIRGINIE CORTES (DITE PRINCESSE FELINE) (BELGIQUE)

 

 

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be

Date : 05/04/06 9h22

 

 

Ma « chérie »,

 

 

Tu as remarqué ?

J'ai mis des guillemets à « chérie ».

Bien sûr, tu as remarqué.

Et tu te demandes ce que ça cache. Rassure-toi, tu vas le savoir très vite. Cale ton gros cul dans ton fauteuil et écoute bien, parce que ça va secouer.

Je sais que tu vas trouver cette façon de faire à mon image, mais c'est comme ça, tout le monde ne fonctionne pas comme toi – ce que j'essaie de te faire comprendre depuis maintenant quatre ans, même si aujourd'hui je crois la cause entendue.

Alors voilà, je fais ça par écrit parce que je suis pleutre, lâche, froussard, et que je n'ai pas le cran d'affronter tes cris et tes pleurs.

Cela me serait insupportable – à vrai dire je ne peux plus supporter grand chose de toi, disons quasiment rien.

Disons rien.

Ce sera ta petite surprise de la matinée, au boulot.

Ta petite mauvaise surprise.

Parce que j'en ai assez de toi.

Je m'en vais, Virginie, je te quitte.

Et faire ça ainsi, sans avoir face à moi ta sale gueule, et en sachant que je ne verrai plus jamais le reproche permanent, vivant, et ambulant de ta sale gueule, me procure un plaisir, si tu savais, un plaisir proche de l'orgasme (un vieux souvenir).

Dans la joie.

Dans ma joie de vivre retrouvée.

Ce soir, quand tu rentreras, j'aurais emporté mes affaires, il ne restera rien, absolument plus rien de moi, aucune trace même de mon passage, de ces quatre longues années de calvaire.

Ce sera comme si tu n'avais jamais existé.

Je ne veux plus même, avoir à me souvenir de toi.

 

SM

 

NB : Inutile de vouloir me faire renoncer à cette décision, si je devais argumenter sur les raisons de mon geste, ta personnalité n'en sortirait pas grandie.

 

♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Destinataire : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Date : 05/04/06 9h41

 

Qu'est-ce qui te fait croire que c'est une mauvaise surprise ?

Que je pleure ?

V  

♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 9h42

 

Je te connais tout de même un peu.

Ce spectacle, le spectacle de toi, les joues noircies de fard coulant m'est dégoûtant à imaginer, ne serait-ce qu'imaginer, alors imagine à vivre.

A moi, tu ne me la feras pas.

Et puis je devine ton jeu. Mais tu n'y arriveras pas, tu ne me feras pas énumérer les raisons pour lesquelles je te tiens en si grande détestation.

SM

  ♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Destinataire : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Date : 05/04/06 10h38

 

Allons, tu crois que moi je ne te connais pas ?

Tu en meurs d'envie d'énumérer, allez déballe. Et je t'avertis,j'attends de l'exhaustif.

A être idiot, sois-le jusqu'au bout.

V

  ♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 11h18

 

Soit.

Si tu y tiens.

Ton corps d'abord.

Cette masse de gélatine flasque.

Ces replis de chair enroulés les uns sur les autres, comme l'éternel recommencement des vagues.

Cet amoncellement de viande que j'ai de plus en plus de mal à escalader, moi si frêle, et qui mobilise toutes mes forces si d'aventure tu te risques au dessus de moi dans nos combats amoureux – tandis que quelque part vers le bas mon sexe cherche son chemin dans le marécage du tien. Toutes mes forces pour ne pas finir écrasé, étouffé, anéanti, dissous dans ta chair, ce qui serait le crime parfait, on ne retrouverait même pas mes restes car de restes il n'y aurait pas.

Trêve de plaisanterie.

J'exagère, oui, tu as raison.

J'exagère mais ton corps n'a jamais eu beaucoup d'attrait pour moi. Alors maintenant, si tu savais... – tu m'excuseras mais je n'arrive pas à me forcer.

Je crains bien ma pauvre que tu ne me fasses plus jamais bander et que je doive pour cela m'en aller trouver sous d'autres cieux des figures plus avenantes. Car ta peau n'appelle pas la caresse.

Tu dois le savoir.

Ta peau, lorsqu'un homme la découvre pour la première fois est comme un désert piqueté de crevasses de sècheresse, une immense étendue où l'œil jamais ne peut trouver le repos d'une esthétique à son goût.

Tu es ainsi faite.

Tu me diras, je t'ai aimé comme ça.

C'est vrai, je t'ai aimé comme ça. Mais ton âme alors était si belle que ton corps n'avait pas d'importance ; je t'ai aimé d'un amour je crois unique parce qu'authentique. Tu sais que les artefacts du glamour ne m'intéressent pas, un corps n'est pas fait pour être figé comme ça dans une image de soi-disant perfection – tu sais aussi combien un être beau peut être intérieurement d'une laideur repoussante.

Moi je sais, je le dis, je sais combien un être laid peut être magnifique.

Je le sais. Je l'ai su lorsque je t'ai rencontré.

Et puis tu as changé.

Tu as changé si vite.

Tu es maintenant aussi laide de l'intérieur que de l'extérieur.

Je n'ai rien pu faire pour stopper ce glissement vers ta laideur intérieure. Aujourd'hui tu es aigrie, mesquine, petite, vile, tu ne pardonnes à personne ta condition de mortelle.

Si tu savais, si tu savais le bien que ça fait de te dire – enfin – tout ça.

SM

 

♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Destinataire : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Date : 05/04/06 11h44

 

C'est tout ? Je t'ai connu plus prolixe.

V

  ♥ ♥ ♥

 

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 14h01

 

Non, ça n'est pas tout, j'ai rallongé la liste depuis tout à l'heure, mais en vérité, même si je t'écrivais toute la journée et toute la nuit, la liste n'en finirait pas de s'allonger, elle s'allongerait sans aucun doute jusqu'à ce que je n'ai plus un souffle pour tenir debout derrière ce clavier.

Car ton ego est devenu à l'image de ton corps, une masse tremblotante que le moindre choc perturbe. Comme ces pâtisseries anglaises aux couleurs acidulées.

J'ai rajouté ta lassitude d'exister. La nonchalance que tu portes sur toi à chacun de tes pas. Comme certains gros, qui portent leur corps comme une punition permanente.

Ah, et j'allais encore oublier, j'allais oublier, enfin, ton idée de ma faiblesse supposée, de mon impossibilité à te quitter, par habitude, ou par renoncement.

Tu vois à quel point tu as pu te tromper.

A quel point tu te trompes.

Virginie.

Mais où est donc passée la joie intérieure qui te faisait rayonner, où est passé ton altruisme, ta subtilité, ton combat pour notre bonheur et le bonheur commun, « chérie » ?

SM

 

  ♥ ♥ ♥

  

Expéditeur : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Destinataire : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Date : 05/04/06 14h53

 

Tu te crois encore au centre du monde, c'est ça ?

Tu penses que ma vie tourne autour de la tienne ?

Que tu déclenches un cataclysme en me quittant.

Que sans toi je suis perdue.

Que je ne m'en relèverai pas.

Eh bien non, tu vois.

Pas du tout.

Mais alors, pas du tout du tout.

N'aie pas de ces états d'âme ; tu peux partir tranquille, le cœur léger.

Au moins vois-tu je te libère de ta culpabilité.

Je serais même plutôt soulagée qu'on se sépare. Notre relation commençait à tourner à vide, tu ne trouves pas ?

Il n'y a qu'à écouter tes raisonnements pour s'en rendre compte.

Tu débloques mon ami.

Et tu déverses sur moi de pleins wagons d'agressivité. Comme si j'étais responsable de tes choix.

En un mot tu débloques.

Mais ce n'est plus mon problème, semble-t-il.

Et puis au moins je vais pouvoir sortir avec mes copains.

V

 

♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 14h56

 

Tes copains ?

SM

  ♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Destinataire : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Date : 05/04/06 14h57

 

Enfin, mon copain.

V

  ♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 14h58

 

???

Mais c'est moi ton copain.

SM

  ♥ ♥ ♥

 

 

Expéditeur : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Destinataire : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Date : 05/04/06 15h00

 

Oui, l'officiel.

V

 

♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 15h01

 

Il y en a un autre ?

SM

  ♥ ♥ ♥

 

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 15h03

 

Il y en a un autre ?

SM

 

♥ ♥ ♥ 

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 15h05

 

Ce soir je vais te frapper.

SM

  ♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 15h07

 

Je t'avertis, ce soir tu vas recevoir la dérouillée de ta vie.

SM

 

  ♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 15h08

 

 

Ce soir tu vas te tordre de douleur en demandant grâce, mais je serai inflexible, et ton corps gardera longtemps les traces de ma colère. Tu vas m'implorer, te traîner à mes genoux, et moi je resterai sourd à tes prières, aveugle à tes larmes, ce soir tu vas en baver, je te le jure.

Je te le jure.

Ce ne sont pas des paroles en l'air.

SM

  ♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Destinataire : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Date : 05/04/06 15h12

 

Allons Salomon... Tu sais bien que ça ne me fait plus rien. Je suis blindée maintenant, les coups que tu me donnes ne m'atteignent plus.

V

 

  ♥ ♥ ♥  

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 15h15

 

Oui mais ce soir ce sera le chef d'œuvre d'une vie. Je le prépare en secret depuis des semaines. Je te laisserai découvrir les subtilités de la chose au fur et à mesure, mais saches que ce soir, tu seras attachée et livrée à des soudards recrutés dans les bars les plus pourris de la ville.

SM

 

♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Destinataire : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Date : 05/04/06 15h16

 

Des détails.

V

♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 15h28

 

Pas de détails je te l'ai dit, il faut juste que tu t'attendes au pire.

SM

 

♥ ♥ ♥  

 

 

Expéditeur : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Destinataire : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Date : 05/04/06 15h29

 

Des détails sinon je ne rentre pas.

V

  ♥ ♥ ♥

 

 

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 15h37

 

Ils seront quatre. Ce genre de types sûrs d'eux parce qu'ils ne se posent jamais aucune question – tu vois de quoi je parle, des types capable de tout, autant de faire des mauvais coups comme de tourner dans des films porno. Pour eux la femme est un objet sexuel à manipuler pour leur seul plaisir. Ils auront carte blanche. Et quand ils te verront... Quand ils te verront Virginie, si fine et si pure, si délicate, le corps si blanc, ils ne pourront pas se retenir, ils se jetteront sur toi, parce qu'ils ont des images comme ça dans la tête, des images de violence envers les femmes qu'ils devraient aimer, ces types sont de la fange, ils sont à la marge de la société, et moi je ne bougerai pas le petit doigt ; ils pourront déchirer tes vêtements et se servir de ton corps comme ils voudront, te prendre et déverser sur toi leurs rivières impures, te faire pleurer et demander grâce, et tu finiras cassée au petit matin, épuisée peut être, mais avec le sentiment de vivre de façon plus intense. Je viendrai alors essuyer ton corps et tes larmes, et je me coucherai à ton côté, heureux de te savoir heureuse.

SM

 

  ♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Destinataire : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Date : 05/04/06 15h40

 

Tu m'aimes donc encore ?

V

♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 15h42

 

Bien sûr mon amour.

SM

  ♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Destinataire : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Date : 05/04/06 15h45

 

Tu n'arrêteras pas, hein ? Si tu savais le plaisir que je prends. Je ne crois pas que tu puisses seulement l'imaginer, même si tu es le seul au monde à me connaître.

Je suis dans un état.

Mh...

Je n'en peux plus...

Vraiment je n'en peux plus, il faut que je fasse quelque chose... mais avant, dis-moi que l'on continuera comme ça.

V

 

  ♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 15h447

 

On continuera comme ça.

SM

 

♥ ♥ ♥

 

 

Expéditeur : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Destinataire : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Date : 05/04/06 15h48

 

Dis-le moi encore.

S'il te plaît.

V

  ♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 15h52

 

On continuera comme ça parce que les choses ne peuvent pas être autrement. Se retrouver l'un sans l'autre, ce serait comme perdre une part de soi. Alors non, on ne perdra rien, on continuera et on continuera même mieux que ça.

De mieux en mieux.

SM

 

♥ ♥ ♥

 

 

Expéditeur : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Destinataire : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Date : 05/04/06 16h02

 

Alors à tout à l'heure mon amour.

V

 

♥ ♥ ♥

 

Expéditeur : «salomon le magnifique» <salomon.granier@blueplanet.com>

Destinataire : «princesseféline» <virginiecortes@jurisconseil.be>

Date : 05/04/06 16h03

 

A tout à l'heure.

SM

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3leg 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 14:14

 

GROUPE DE PSYCHOTHERAPIE DU MERCREDI 2 JUIN 2010, 18H30-20H30, DOCTEUR LEBLANGUI (PARIS, FRANCE)

 

VIII -  INTERVENTION DE CATHERINE CERNA

 

Je vous trouve bien agressifs, à tous, je ne sais pas ce qui se passe en ce moment mais c’est pareil partout, comme si le monde se détachait par plaques et qu’il tombe par petits bouts éparpillés, qu’on ne puisse rien contre ça, comme si la seule défense possible restait l’agressivité, alors qu’il n’y a pas de raison d’agresser les autres, surtout ici, personne ne nous veut du mal, ici, même mademoiselle Karine, quand elle dit qu’elle veut nous péter la gueule, c’est une image, elle ne le ferait pas, c’est une barrière pour elle… Moi c’est pareil mais dans l’autre sens, je traverse la vie comme sans y être, comme un rien, en essayant de me faire la plus petite possible, je ne veux blesser personne et je ne veux pas être blessée, je ne veux être un poids pour personne. Je ne veux pas non plus laisser la moindre trace de moi, chaque trace modifie la réalité, c’est comme ça que je vois les choses, une trace de pas dans la boue et le chemin n’a plus la même forme, il se charge d’une présence de mon être, et mon être est si impur... si vous saviez comme mon être est impur… les gens s’imaginent des choses en me voyant, depuis que je suis toute petite c’est comme ça, les gens me voient et ils s’imaginent des choses, jamais ils ne lisent l’impureté dans mes yeux, c’est pour ça que je ne me fixe pas, je vis dans l’indifférence des autres, je les tiens à distance de la corruption de ma présence qui déforme le monde… l’air que je respire, lui-même, qui fait qu’après chaque inspiration tout est différent, mais respirer, je n’ai pas trouvé le moyen de m’en empêcher… pour le reste, je suis vide, je suis sèche, je n’attends rien, je voudrais ne pas être, me dissoudre, me fondre dans les lattes du parquet et ne plus bouger, devenir matière inerte. Il m’en a fallu des années pour en arriver là… tant d’années jusqu’au détachement total, tant d’années d’efforts et de lutte permanente, et maintenant que j’y suis… maintenant que je n’existe plus qu’entre parenthèses je trouve que ça ne va pas.

 

 


Partager cet article
Repost0

LES LIVRES

9782356390639[1]          

 

img032

 

img028 

img031

        img042

 img030

 img036

  img041 magasin

 

La Recherche

Contrat Creative Commons