Trois heures trente à feu vif

[Roman co-écrit avec Fabrice Combes et publié par Gallimard en 2002]

Postulats

 Soit une maison de plan carré dont la somme des côtés est égale au total de ses quatre arrêtes verticales et dont le long jardin, sous le soleil accablant, décrit un parallélépipède presque rectangle. Dans laquelle on dénombre deux enfants : l’un à quatre pattes, jouant, l’autre, pensant, absorbé par quelque problème sans doute insoluble. Un nombre égal d’adultes : une femme, brune bien sûr, dans une tenue légère, un homme, au demeurant affairé. Et tout au fond de la cuisine, sur une étroite console de bois blanc immaculé, trônant entre une marmite d’eau bouillante et le percolateur, deux belles caisses de tomates.

Enoncé

1

Sachant que, tout au fond de la cuisine, la marmite d’eau bouillante a porté l’hygrométrie à un degré sensiblement supérieur à celui qui a cours dans le jardin, que, ce faisant, le bois dont est fait les caisses, passant du soleil accablant de la mi-août à la lourde moiteur intérieure, accuse une surcharge pondérale de 10% supérieure au poids initial, lequel, pour chacune d’elles, était de 370 grammes ;

sachant que les deux caisses sont empilées dans un équilibre précaire sur la console encore immaculée, que le contenu de celle du dessus est 30 fois supérieur à son contenant, le contenu de la caisse du dessous étant de 110 grammes inférieur à celui de la caisse du dessus, à présent que parvient du séjour, en de suaves effluves, Que reste-t-il de nos amours ? de Charles Trénet ;

sachant en outre qu’il est parfaitement impossible qu’un homme, fût-il occupé par une intense activité culinaire, demeure indéfiniment insensible aux volubiles attraits d’une femme en tenue légère, qu’à l’impossible nul n’est tenu, et qu’à cela ne tienne ;

2

sachant que quelques jours avant le début de cette journée, dans les alentours de Jaen (Andalousie, Espagne), l’un des ouvriers affectés au pressurage des olives en vue d’en obtenir de l’huile et de la mettre dans de belles bouteilles vertes est mort subitement pendant son travail, et que, entraîné par son propre poids, il a chuté dans l’une des trois grandes cuves de l’unité de conditionnement, entraînant avec lui, bêtement accroché à sa manche, l’ensemble de la chaîne de mise en bouteille provoquant ainsi, bien involontairement mais quand même, une grande pagaille dans l’entreprise, la mise au chômage technique de 800 ouvriers, un arrêt total de la production de trois semaines, une hausse du cours de l’huile de 40%, et la colère des latifundistes. (Mais comment se venger d’un mort, pensèrent-ils aussitôt, le pire est déjà fait) ;