Inventaire du monde est une entreprise de création de gilles Moraton qui vise à faire entrer toutes les choses du monde dans le champ littéraire. C'est un projet dans lequel devront à terme se trouver consignées toutes les choses du monde selon un relevé et un ordre aléatoires basés sur la seule volonté de l'auteur mais ne requérant cependant aucun autre effort de la part du lecteur que celui de le lire. Tous les textes composant Inventaire du monde sont des œuvres de fiction.
INTIMITE XX – MANUELA COSTA EN MATER DOLOROSA, SEVILLE, ESPAGNE, 14 DECEMBRE 2014
C'est bien ce que j'ai dit oui, tu as baisé tout ce qui traîne, ne fais pas cette tête, tu as a baisé n'importe quoi, parfois je ne voulais même pas te toucher de peur de choper une saloperie que tu aurais ramenée d'un vagin pourri, tu as traîné dans des vagins pourris, je le sais, tu est allé chercher sur des sites les plus improbables les femmes les plus moches, tu es un malade, et moi j'ai passé des années de ma vie à côté d'un malade en me justifiant sans cesse ce choix comme une composante de ma vie, mon paysage, ma stabilité, ma force, tout ce bordel qu'on se met en tête pour justifier ses propres errements. Et puis quoi au bout du compte ? Ces quelques mots lâchés à la va vite devant le frigo, il vaudrait mieux qu'on arrête là, comme si ça allait de soi, comme si je n'avais pas fait tout ce qu'il faut pour ne pas en arriver là. Et mon corps ? Pourquoi tu ne touchais plus mon corps ? Je l'ai regardé longtemps, ce corps délaissé, sous tous les angles, des heures entières, et vois-tu, il me semble qu'il est encore séduisant, pas mal séduisant même, mais toi, rien, rien depuis des années. Regarde-moi. Regarde-moi donc, le carrelage ne t'apprendra rien, tu sais ce que ça veut dire rien pendant des années ? Tu pourras toujours te construire une défense là dessus : tu m'as placé dans l'obligation de glisser d’autres queues que la tienne en moi. Pas tellement pour l'acte lui-même, au fond ce n'est pas grand chose et je suis capable de me satisfaire seule, mais pour le besoin de séduire, tu dois savoir ce que ça veut dire toi, le besoin de séduire, de plaire. Parle-moi, dis quelque chose. Non bien sûr, ce serait trop simple de parler. Pauvre chou. Pauvre petit chou qui se croit incompris au fond de sa détresse. Tu ne me touchais plus parce que tu ne le voulais plus, c'est aussi simple que ça. Et tu ne le voulais plus parce que mon statut de mère a effacé mon statut de femme. C'est comme ça depuis qu'est né notre enfant, tu te souviens ? Si, allez, fais un effort, répète après moi, c'est pas si dur tu vas voir, je ne veux pas baiser une mère parce que personne n'envisagerait de baiser la vierge Marie, c'est un sacrilège, je suis empêtré dans ma culture catho, enfoncé jusqu'au cou dans le sentiment de la faute, la femme est une salope, la mère est intouchable, la mère ne peut pas être une salope, la mère de mon enfant au même titre que la mienne, une mère est une mère, et le statut d'une mère n'est pas compatible avec les saloperies qu'on fait dans un lit. Fais pas cette tête, je suis sûre que c'est ça, on aurait baisé une seule fois ça t'aurait suffi, et notre fils vient d'avoir quatorze ans.