Inventaire du monde est une entreprise de création de gilles Moraton qui vise à faire entrer toutes les choses du monde dans le champ littéraire. C'est un projet dans lequel devront à terme se trouver consignées toutes les choses du monde selon un relevé et un ordre aléatoires basés sur la seule volonté de l'auteur mais ne requérant cependant aucun autre effort de la part du lecteur que celui de le lire. Tous les textes composant Inventaire du monde sont des œuvres de fiction.
[Lire d'abord le texte 162]
RÉPONSE DE JACQUES D'OMBREVILLE À LA DIATRIBE REÇUE D'ISIDORE DUPONT D'ALIGNAN LORS DE LA SÉANCE DE L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES ET BELLES LETTRES DE MONTPELLIER DU 14 MAI 1783, RÉPONSE RENDUE EN DERNIÈRE INTERVENTION LORS DE LA MÊME SÉANCE.
Chers académiciens, chers confrères,
Je veux en premier lieu remercier cette assemblée de me donner la parole une dernière fois, car je conçois, pour les raisons que vous savez, que je doive me démettre, sans toutefois me soumettre. La réfutation de mon opuscule par le sieur d'Alignan, sa charge de cheval emballé devrais-je dire, me fut pénible, cela va sans dire, et longtemps j'en garderai l'offense chevillée au cœur. Eh quoi ! Eut-il donc fallu que je renonçasse à ma théorie pour lui complaire ? Que je ne l'imprimasse point alors que je la crois avérée ? Eut-il donc fallu que je cédasse à la raillerie en me gaussant de moi-même, comme nombre d'entre vous l'ont déjà fait à cette même tribune ? Ce serait mal me connaître, mais pourtant chers amis, je ne suis point là pour relancer la querelle et je me garderai d'opposer aux siens mes arguments. La colère ne peut qu'alimenter la colère, nous perdrions tous notre temps à ces enfantillages.
Tempérez vos soupirs messieurs, vous qui fîtes allégeance à la manne d'Alignan. Vous qui déjà, êtes tout acquis à sa cause serez soulagés de mon encombrante présence d'ici peu. D'ici peu vous pourrez continuer à gloser sur les sujets les plus futiles en renonçant à vous occuper de l'essentiel. Tempérez vos soupirs, vous pourrez en toute tranquillité médire sur mon compte dans les soirées, briller par vos mots d'esprit tout en ne cessant de vous épancher sur les limites du mien.
Oui d'Alignan, j'ai rougi à votre diatribe tantôt, mais ce n'est ni l'indignation ni la colère qui en furent la cause, pas plus le nœud de mon jabot, votre imagination a rompu les digues, c'est de honte que le pourpre m'est monté au front, la honte de voir que pouvait s'exprimer ici la bassesse la plus mesquine sans d'autres arguties que celles dictées par une rancœur personnelle servie par votre rhétorique de tribunal.
Vous avez brandi contre moi le glaive de la vengeance, vous en prenant à ces quelques pages, dont certes, je reconnais qu'elles ne feront pas date dans l'histoire, mais je n'ai jamais eu cette ambition, vous le savez, et lorsque vous me voyez me comparant à Voltaire, c'est le rire cette fois qui me monte à la gorge. Mais de Voltaire, si je ne me reconnais pas l'art de la narration, je tâcherai de m'approcher au plus près de ce qui l'a rendu grand, l'art de se défendre contre les puissants.
Puissant d'Alignan ? Encore faudrait-il en être sûr. Un petit puissant. Deux mots vous en conviendrez se trouvant fort mal accolés l'un à l'autre. Un petit puissant régnant comme un grand tyran sur une assemblée de béats confits de reconnaissance et d'admiration feintes. Allons, regardez-vous messieurs. Je vais quitter la place, certes, mais regardez-vous donc, qu'avez-vous à gagner à ce que le premier contradicteur en soit évincé ? N'avez-vous pas encore avoué à vos pauvres esprits allant au rythme de la passacaille que vous n'avez point d'autre dessein que celui d'affirmer votre appartenance à la société des privilèges, de vous rengorger de votre supposée grandeur ?
Messieurs, je ne doute pas un instant que vous suivrez les préconisations du sieur d'Alignan car sans lui c'est le fonctionnement même de l'Académie qui serait remis en question. Sans lui les portes des imprimeurs vous seraient fermées et l'expression de vos lumières ne saurait trouver l'abri qu'elles méritent, ceci ne se peut contester ; sans lui, cette demeure même ne pourrait abriter vos réunions si fécondes et vous vous verriez peu glorieux à les tenir en des lieux sans aucun doute moins prestigieux.
Cette assemblée devrait porter son nom, les choses en seraient simplifiées et chacun saurait à quoi s'en tenir en y faisant son entrée. Qu'en pensez-vous d'Alignan ? Vous aurez beau dire, il vous est facile d'attaquer qui vous souhaitez, vous ne vous en privâtes point dans le passé, et mon ami de Falquières en fit naguère les frais lorsque vous lui demandâtes de présenter des excuses publiques à cette même tribune, lorsque vous l'humiliâtes en le raillant de chaque pièce de son projet de véhicule automobile, pour mettre ensuite votre nom en lieu et place du sien et transmettre ledit projet à l’Académie royale des sciences. De Falquières, celui-là même que je vois ici le front baissé, n'osant même porter sur moi son regard. Allons de Falquières, vous vous ralliez à la masse, c'est dans la nature humaine, je n'en prends pas ombrage, vous savez que la rancune ne m'est pas coutumière, j'espère simplement qu'à l'avenir vous ne raserez pas les murs, me voyant arriver face à vous.
Je vois au silence qui s'impose que je n'ai pas pris un chemin détourné.
Je vous libère messieurs, vous n'aurez pas à prononcer la sentence demandée, je me retire de mon propre chef et vous laisse patauger dans vos miasmes de déférence au maître des lieux.